Mars 2020

28 jours en néonat'

Simon Gouin (texte), Marine Duchet (dessins)

Azélie pèse 550 grammes et fait une vingtaine de centimètres. Elle est une extrême prématurée.

Si elle peut être maintenue en vie, c’est grâce aux connaissances des médecins et des puéricultrices qui l’entourent, et au dispositif technique qui l’accompagne. Presque tout ce qu’Azélie n’est pas capable d’assumer seule est externalisé à des machines. Et il en faut, des machines, quand on naît à 24 semaines.

Un petit brassard entoure son pied pour mesurer le taux d’oxygène dans son sang. Sur son torse, on écoute son cœur. Sur son avant-bras, une perf sera posée pour la nourrir et lui administrer les médicaments qui arrivent à partir de cinq ou six pousse-seringues programmées régulièrement. Sous son pied, on vient régulièrement la piquer pour prélever de son sang et vérifier sa glycémie. Dans son nez, les soignants ont glissé un tube qui lui apporte de l’oxygène directement dans ses poumons. Autant d’éléments utilisés en réanimation pour n’importe quelle personne, mais adaptés pour de tout petits bébés.

Dessin : Marine Duchet

Une machine envoie l’oxygène et le monoxyde d’azote, un gaz qui permet de combler des problèmes de respiration.

Entre nous et Azélie se dresse une frontière. Une enveloppe de plastique rigide qui assure un milieu quasiment étanche où notre fille est censée grandir tranquillement et être protégée des microbes. Deux ouvertures circulaires sont disposées de chaque côté de la couveuse où les soignants et nous pouvons glisser nos mains pour la toucher et prodiguer des soins.

Au dessus de la couveuse, deux écrans permettent de suivre les «performances» d’Azélie. Son rythme cardiaque et son taux d’oxygène dans le sang, principalement. Dès qu’ils passent en dessous d’un seuil critique, la couleur de l’écran change, devient orange puis rouge, et des bips retentissent. Dans le rouge, les puéricultrices qui suivent les écrans de toutes les chambres accourent pour augmenter l’oxygène et «réanimer» les bébés.

Au milieu de sa couveuse, Azélie est endormie, paisiblement. Régulièrement, les machines sonnent. Des calmants lui sont administrés afin qu’elle soit la plus relâchée possible. La machine qui soutient sa respiration fait vibrer son torse légèrement.

Elle est sauvée. Pour combien de temps?

« À quel moment est-ce que l’on pourra savoir qu’elle peut respirer? « 

Un jeune pédiatre suit Azélie au cours de ces premiers jours. Il a de petites lunettes rondes, est très calme, extrêmement sérieux. Il parle tout bas pour éviter d’ajouter aux bips incessants des machines un bruit supplémentaire. Il procède toujours de la même façon. Après une salutation rapide, il passe des minutes à tout observer: les écrans, les machines, notre fille. Il ne dit rien pendant de longues minutes: «Je préfère faire le bilan d’abord et vous parler ensuite», nous dit-il au cours des premiers jours. Nous l’observons. Puis il débriefe avec nous.

Deux jours après sa naissance, nous faisons le point sur les capacités respiratoires de notre fille. C’est la principale interrogation qui nous taraude:

«On nous a parlé des risques d’hypoplasie pulmonaire, à cause de la perte du liquide amniotique depuis trois semaines. À quel moment est-ce que l’on pourra savoir si elle pourra un jour respirer?
Pour l’instant, c’est trop tôt. On ne peut pas le savoir. Elle a les mêmes problèmes qu’un prématuré né à ce stade.
Mais est-ce qu’elle aurait pu ne pas du tout réagir à la naissance?
Oui, mais il faudra encore attendre pour savoir si elle peut respirer. C’est la seule réponse que je peux vous donner, au jour d’aujourd’hui.»

Trois jours

Le service de néonatologie devient notre deuxième maison. Le matin, je longe l’immense bâtiment du CHU vers 8h00. Prends l’ascenseur, troisième étage. Pénètre dans la salle des familles. Me lave les mains, mets un masque sur ma bouche et mon nez. Parcours le couloir qui mène aux chambres de la réanimation néonatale. César, Paul, Thomas, Lola, Anatole : les prénoms s’égrainent sur les portes souvent ouvertes où les puéricultrices prodiguent des soins. Je ne sais pour l’instant rien de ces petites vies qui luttent elles-aussi.

Vidéo de présentation du service de néonatologie de Caen.

La chambre d’Azélie est dans la pénombre. Les volets roulants sont descendus pour éviter que les rayons de soleil de ces jours froids d’hiver ne viennent se projeter sur la couveuse. Une, puis deux pressions: j’active la solution hydroalcoolique sur mes mains. Je m’approche de la couveuse où Azélie est le plus souvent endormie. Puis je jette un coup d’œil sur son cahier de suivi où toutes ses constantes sont notées.

Cette nuit là, à 1h00 du matin, Azélie a désaturé. L’oxygène a diminué dans son sang, sans raison apparente. Une radio des poumons a été effectuée pour vérifier si le tube qui lui apporte l’oxygène était bien positionné. Aucun problème n’est détecté. «Les alvéoles ne sont pas développées», nous expliqueront les médecins. Pour la soutenir, une transfusion sanguine va être effectuée dans la journée, car son taux d’hémoglobine est bas. Cela peut expliquer que l’oxygène ne circule pas assez.

Une fois mes mains réchauffées, je peux venir toucher Azélie, sa tête et ses pieds, lui signifier ainsi ma présence, lui parler, chanter. C’est notre tête à tête du matin, un moment privilégié et calme avant le défilé des soignants, la tempête de la journée, et souvent, l’absence de bonnes nouvelles.

Grâce à quoi est-on capable aujourd’hui de prendre en charge des enfants dits « extrême prématurés » ?

Extrait de l’interview de Valérie Datin-Dorrière, pédiatre dans le service de réanimation néonatale.

« D’abord grâce aux connaissances sur le plan épidémiologique, tout ce qu’on a pu collecter comme informations sur le devenir de tous ces grands prématurés. En France, c’est l’étude Epipage qui nous permet de savoir où on va et de constater nos faiblesses.
Il y a ensuite les avancées technologiques: les respirateurs qui sont plus performants qu’ils ne l’étaient auparavant. Des techniques d’administration de médicaments: on peut désormais instiller le surfactant [qui agit de telle sorte à empêcher les alvéoles des poumons de coller les unes aux autres, ndlr] avec une petite sonde très fine. Auparavant, il fallait forcément que ce soit avec une sonde d’intubation. C’est désormais beaucoup moins traumatique. Et pour les enfants qui n’ont pas une pathologie respiratoire sévère, cela permet de ne pas aggraver la situation. C’est une avancée.
Il y a aussi les avancées qui concernent la stratégie des soins de développement. On s’est rendu compte il y a quelques années que faire survivre des enfants après un parcours très compliqué était une chose. Mais si ces enfants ont une altération de leur développement, des troubles du comportement, des troubles relationnels, etc… on n’avait pas gagné.

Ce qui est important, c’est de faire survivre, mais avec une qualité de vie somatique et de neuro-développement. Et il faut s’en préoccuper dès les premiers jours d’hospitalisation, pas dans 6 mois ou un an.
Le troisième trimestre, in utero, est un grand moment de développement cérébral (les interactions entre tous les neurones se font au cours du 3ème trimestre) avec énormément d’expériences neuro-sensorielles : le goût, l’odorat qui sont très développés, le sens du mouvement lorsque l’enfant baigne dans le liquide amniotique. A l’inverse, dans le ventre de la mère, il n’y a pas tellement de stimulation sonore, si ce n’est les voix qui sont atténuées. Il n’y a pas non plus de stimulation visuelle.
L’enfant prématuré en réanimation classique, comme on le faisait autrefois, avait de la lumière sur le visage. Autour de lui, ça hurlait de partout. On ne lui proposait pas d’expérience motrice, parce qu’il était attaché. On ne lui donnait pas à manger jusqu’à ce qu’il soit prêt à sortir (autrement que par les sondes). L’enfant n’avait donc pas d’expériences gustatives.»

Cinq jours

Azélie a les yeux ouverts. Deux petites billes noires.

Aux problèmes respiratoires est venu s’ajouter un problème potentiellement lié au manque d’oxygène. De petits saignements au cerveau sont révélés par une échographie. «Si cela reste comme cela, il n’y a pas de risques», explique le médecin. Une nouvelle échographie est prévue à la fin de la semaine.

Sept jours

Cela fait une semaine qu’Azélie vit. Au milieu de nos inquiétudes, nous avons découvert que nous pouvions passer des heures avec notre fille sur notre torse. C’est ce qu’on appelle le «peau-à-peau». On s’assoit dans un grand fauteuil que l’on incline légèrement. Une infirmière prend notre fille dans ses mains tandis qu’une autre s’occupe de transférer les tubes et les câbles qui la maintiennent en vie. Azélie, en couche, est déposée sur notre torse nu, calée avec des coussins et une de nos mains qui vient se poser contre elle. Les câbles sont fixés avec du scotch sur nos épaules.

Nous voilà partis pour deux, trois, quatre heures de peau-à-peau. Le bébé retrouve les pulsations du cœur qu’il entendait dans le ventre de sa mère, puis l’odeur et la chaleur du corps de ses parents. C’est une parenthèse pour lui et pour nous qui recrée artificiellement la proximité avec sa maman, perdue prématurément. «Le peau-à-peau aide à développer le plan pulmonaire, digestif, cardiaque. Donc vous pouvez en faire autant que vous voulez, quand les durées sont élevées, nous précise une des pédiatres qui suit Azélie. Sinon, en effet, le déplacement n’est pas bénéfique.»

Une petite boule chaude est contre mon torse. Sa main vient gratter légèrement ma peau. La première fois, le temps est long… Il ne faut pas bouger, faire attention aux câbles. Je suis tendu, stressé. Au bout de 10 minutes, ma main gauche est ankylosée. Au fur et à mesure des jours, ces peaux-à-peaux deviennent ma motivation quotidienne.

Un vrai bonheur qui dépend quand même des indications données par l’écran de surveillance: souvent, l’oxygène dans le sang est bien meilleur en peau-à-peau; son rythme cardiaque se stabilise. Les médecins réduisent alors son assistance respiratoire. «Un shoot de bien-être», comme le disent les puéricultrices, qui peut continuer une fois qu’Azélie est retournée dans sa couveuse.

Parfois, ses «constantes» chutent. On vérifie que le tuyau d’oxygène est bien positionné, on rescotche une partie des câbles, les soignants augmentent l’apport en oxygène. Je tente alors de contenir mon stress pour ne pas ajouter une difficulté supplémentaire à ma fille. Je crains de lui transmettre mon anxiété.

Vidéo du service de néonatologie du CHU de Caen.

Le peau-à-peau, d’où ça vient ?

Extrait de l’interview de Valérie Datin-Dorrière, pédiatre dans le service de réanimation néonatale.

« Tout a démarré à Bogota en Colombie, où ils avaient beaucoup d’enfants prématurés ou avec de faibles poids suite à des grossesses compliquées, dues à un contexte socio-économique difficile, beaucoup de retard de croissance et pas assez de couveuses. Ils se sont dit: il ne faut pas que ces enfants aient froid, donc on n’a pas d’autres moyens pour les mettre au chaud et les réchauffer que de les mettre en peau-à-peau, sur leurs parents.
Ils se sont alors rendu-compte que non seulement cela compensait la couveuse, mais que cela améliorait aussi les taux d’allaitement, la régulation thermique et respiratoire.

En terme d’attachement, de lien, il se crée également un contact, un soutien au développement.
Une étude a été publiée sur les bénéfices à 10 ans du peau-à-peau à Bogota. Les enfants avaient un meilleur développement cognitif, une relation plus sécure à leur famille, un épanouissement…
Cette pratique est ensuite arrivée dans les pays développés comme un bénéfice qui peut être apporté aux enfants afin de soutenir une survie de qualité. »

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