« Ce serait bien d’avoir un jardin »
Marie-Odile nous interpelle:
-Vous enregistrez quoi-donc ? L’herbe qu’on retourne ?
-J’enregistre la terre, la pelle.
-Ah oui… tenez : on entend les racines qui craquent.
-C’est dommage, on va entendre la musique qui vient des maisons.
La musique vient de chez les voisins qui résident dans les logements sociaux à côté du terrain. Ils profitent de leur terrasse sous le soleil printanier avec leur sono.
Le jardin a une forme de spirale qui suit la forme du ruisseau non loin, les « nervures » courbes structurent l’ensemble. C’est une feuille de plantain, nous précise Marie-Odile. Parce que c’est une plante qui soulage des piqûres d’orties. Pour la voir, il faudrait être en surplomb ou avoir un drone. Pour l’instant, on ne voit pas grand-chose, on sort de l’hiver, il faut attendre que ça pousse. On perçoit quelques plantes et arbustes, des buttes et des parterres. Les gens de l’association s’activent un peu partout – il ne faut surtout pas dire qu’ils labourent ! – ils préparent la terre pour les plantations. La terre a été bâchée pendant l’hiver, il faut simplement « gratouiller ». Marie-Odile qui nous accueille est une agricultrice bio à la retraite. Elle donne beaucoup de son temps dans les associations et dans celle-ci, Groupe Permaculture, elle transmet son savoir-faire de jardinage aux autres bénévoles qui ne sont pas tous jardiniers.
À l’origine du jardin, une demande de la banque alimentaire du Secours Pop. Ils regrettaient que les légumes qui leur étaient donnés soient en fin de vie et donc, trop abîmés pour être consommés. Le jardin est né de ce double objectif : fournir des denrées fraîches, locales et de saison à la banque alimentaire et permettre aux gens qui n’ont pas de jardin d’apprendre la culture potagère. Jardiner ensemble, apprendre des uns et des autres, expérimenter des techniques de cultures. Le terrain est prêté par la commune de Nocé en bordure de rivière donc en zone inondable. L’espace est parfois submergé mais l’eau ne reste jamais longtemps, on arrive tout de même à faire pousser des choses. On a monté des buttes, on a planté des haies pour barrer la route au vent, on a tiré parti des avantages et inconvénients du milieu.
Les légumes et les fruits sont destinés aux villageois qui en ont besoin mais les familles ne viennent pas vraiment voir ce qui se passe. Peut-être plus tard, va savoir. Pour attirer du monde dans le jardin, l’association projette des animations comme des ateliers cuisine.
Les bénévoles peuvent aussi se servir dans les fruits et légumes. Surtout en août car la banque alimentaire est fermée ce mois-là, les bénévoles amènent directement les légumes du Secours Populaire et se partagent le reste.
-Et alors, vous n’avez pas peur qu’on vous pique des légumes ?
-Non, bah, c’est pas l’esprit… Mais ceci dit, on avait fait pousser des citrouilles en vue d’halloween. On en a eu qu’une seule, elle était belle, on la réservait pour les gosses de l’école. Et puis, elle a été volée. L’an prochain, on mettra un écriteau pour signaler qu’elle est réservée.
L’atelier sauvage
« On se retrouve tous autour de ça. »
Elle rit doucement, Bernadette.
Bernadette anime des ateliers et des démonstrations de vannerie percheronne traditionnelle pour l’association Préaux Patrimoine, depuis plus de 10 ans. Avec le covid, les sessions vannerie ont été annulées, alors les passionnés se retrouvent quelques fois dans son salon, à la ferme du Poirier. C’est l’atelier “sauvage”.
Nous entrons dans cette pièce hors du temps, les vanniers sont assis en cercle près de la cheminée, chacun a commencé son ouvrage et la pièce est envahie de fibres. Les artisans ont déjà noué leur base de panier, les grandes tiges dépassent de toutes parts et chatouillent le plafond pendant que les mains s’affairent. Nous nous asseyons un peu en retrait pour observer, on se croirait transportés au XVIIème siècle dans un tableau de Le Nain.
Bernadette nous fait un petit point étymologie:
-Le mot « vannerie », vient de « van » V.A.N., vous savez c’est une espèce de panier plat comme ça avec des bords à l’arrière et une grande anse. Quand il y avait grand vent, on secouait comme ça et la balle s’en allait et c’était pour semer le blé (je n’ai rien compris).
Régis poursuit:
-Oui le mot « vannier » ça rassemble tout le monde mais avant il y avait les panetiers, les corbillonniers… la corporation date du XIVème siècle. Le patron des vanniers, c’est Saint Antoine.
On nous explique que le panier percheron a une structure et une forme très typique. Il faut placer les arceaux comme ceci puis tout de suite fixer cette structure avec un tressage en forme de losange. La tige de saule, non on ne peut pas la manier telle quelle, il faut la travailler, la diviser. C’est Régis qui nous montre, il a professionnalisé sa passion. Il nous fait la démonstration, nous observons ses gestes.
-Pour diviser la fibre, je me suis fabriqué un outil. Les autres, je les ai achetés mais pour ce travail, il me manquait un outil qui n’existait pas.
Régis racle les fibres, il les assouplit pour le tressage. Les autres convives continuent à tresser, les paniers prennent forme.
-Non ça fait pas mal aux mains, à la fin de la journée.
-Ah non ! C’est thérapeutique !
-Il y a un mouvement mécanique qui fait qu’on travaille en puissance et pas en force. Il y a aussi le fait d’avoir de l’entraînement. Des novices peuvent avoir des douleurs parce qu’ils tirent trop.
Bernadette déclare qu’elle travaille moins bien que Régis parce que ses fibres sont moins bien serrées et nouées. Elle a fini son petit panier, elle nous le tend, il est pour nous. Le saule est encore vert mais il va sécher et brunir avec le temps.
-Qu’est-ce que vous faites de tous ces paniers ?
-Des fois, on les vend sur des marchés mais la plupart du temps, on les donne. On fait des animations à l’écomusée pour les enfants. On prépare l’armature et les gosses tressent. On propose différents types de contenants. Pas que des paniers, on leur fait faire des petites mangeoires pour animaux, aussi.
-Ce qui est important c’est que le savoir-faire continue.
Avant de se livrer à la passion de la vannerie, Bernadette travaillait sur la ferme, à son compte. Elle élevait des vaches, principalement. Peu de femmes de sa génération ont osé gérer seules une exploitation, elle fut même la première femme de France à lancer un GAEC dans les années 70, avec Roselyne, sa collaboratrice. Ce ne fut pas très facile, non. Bernadette évoque le sujet avec pudeur – elle ne se considère pas comme une pionnière, on le sent bien – mais on devine le machisme ambiant, l’incrédulité du patriarcat, les obstacles et les railleries. Elle y est arrivée. Elle venait d’une famille d’agriculteurs, alors le métier, elle connaissait.
-Je voulais être une agricultrice, pas simplement une ménagère. J’ai eu la chance que mon père m’ait mise sur un tracteur très tôt.
-Vous n’allez pas déjà partir, restez pour le goûter !
Bernadette nous met les tartes maison et la teurgoule crémeuse sous le nez, le café fume dans les tasses, difficile de résister.
La « chapelle », tu parles, comme une cathédrale avec ses deux flèches dressées face au soleil, le tout planté comme ça au milieu des champs et de la forêt. Tout le monde y était allé de son petit commentaire sur ce village étrange.
Il était une fois, un petit curé, l’abbé Buguet. Il avait perdu son frère dans un accident tragique : le clocher de Mortagne s’était écroulé sur lui pendant la messe. Ses filles – les nièces du petit curé – en étaient mortes de chagrin. Alors le curé éploré a fait bâtir à la Chapelle-Montligeon une énorme basilique dédiée aux âmes du purgatoire.
C’est quelqu’un qui m’a dit:
-Heureusement, il y avait une gare et surtout une route pour acheminer tous les matériaux. On l’a appelée la « route au curé ». Bon au niveau architectural, c’est pas terrible. C’est très XIXème…
-Tu veux dire que c’est quoi ? Comme la Basilique de Lisieux ou bien le Sacré-Cœur ? C’est un peu la « choucroute » pompeuse de style éclectique ?
-Oui, voilà. Il était question de construire un dôme mais après vérification des fondations, la portée était insuffisante. Ils ont renoncé. Et il faut dire que c’est du sable, le sol là-bas. Alors…
Un défaut de construction avait déjà décimé sa famille, il n’était pas question de tenter la colère divine avec un clocher ou un dôme de trop.
Parallèlement à l’édification du monument, le petit curé avait développé un petit complexe industriel. Il avait commencé par une ganterie, une fabrique de brosses et puis une grande imprimerie. Le petit curé s’y connaissait en affaires. Aujourd’hui, l’imprimerie n’existe plus, les bâtiments ont été reconvertis en ateliers pour les artisans, les entrepreneurs.
On nous dit qu’il y a toujours une communauté religieuse, là-bas. Il paraît qu’ils sont plutôt traditionalistes. Il paraît.