Chantiers Communs – Dans l’Orne, à Sap-en-Auge, la jeune coopérative Anatomies d’Architectures a rénové une longère traditionnelle avec 100% de matériaux naturels présents dans un rayon de 150 km. Ce chantier expérimental est retracé dans une exposition et bientôt un livre. Rencontre avec Mathis Rager, architecte cofondateur de la coopérative.
En quoi consiste ce projet?
Il s’agissait de rénover une maison traditionnelle ornaise en ayant le moins d’impact environnemental et le plus de retombées positives pour le territoire : 0% de béton, 0% de plastique et 100% de matériaux ultra locaux et naturels (chanvre, terre, bois, réemplois). Nous avons cherché tous les matériaux et savoir-faire à moins de 150 km du site et remis au gout du jour des techniques de construction ancestrales.
Comment en êtes-vous arrivés là?
Il faut revenir à notre parcours. Nous nous sommes rencontrés avec Raphaël Walther à l’école d’architecture de La Cambre à Bruxelles. Nous avons commencé à travailler tous les deux pour de grandes agences d’architecture, mais assez rapidement, derrière nos ordinateurs, nous nous sommes posés la question du sens de notre travail. En école d’architecture, on suit des cours de sociologie, de philosophie, qui nous ouvrent des horizons, que le monde du travail referme.
Nous avions 22 ans, je construisais un stade de foot au Qatar et Raphaël une usine militaire pour Dassault, quand nous rencontré Emmanuel Stern. Lui était anthropologue et revenait de six mois de terrain sur l’habitat vernaculaire en Malaisie et au Mexique. Il nous a proposé de le suivre en Corse pour participer à un chantier en auto-construction d’une maison en pisé, à partir de la terre extraite du site. Nous avons retrouvé du sens à être sur le chantier, les mains dans la terre et nous nous sommes rendu compte de la plus-value que l’on pouvait apporter en tant qu’architecte dans ce type de projet.
C’est là que vous avez créé la coopérative?
Pas encore! D’abord, nous nous sommes dit qu’il fallait documenter toutes ces initiatives isolées d’auto-construction pour montrer ce qui marche et ce qui ne fonctionne pas. En 2018, nous sommes partis deux mois en van faire un tour de France des maisons écologiques. Nous avons documenté, analysé et dessiné une trentaine de maisons en paille, bois, chanvre, roseaux… qui ont abouti à une exposition d’abord, puis un livre (Le tour de France des maisons écologiques, Gallimard, éditions Alternatives, 2020).
Nous avons très vite compris que nous avions affaire à des militants écologistes assez fous ou singuliers pour nous suivre très loin dans l’expérimentation.
À partir de là, nous avons été contactés par des particuliers qui voulaient qu’on les aide à construire leur maison écologique. Nous n’étions pas très chauds à l’idée de refaire de la maitrise d’œuvre, jusqu’au jour où nous avons été contactés par les propriétaires du château du Costil. Des boulangers parisiens, qui, a priori, avaient de l’argent et des contacts chez les architectes et qui venaient d’acquérir ce manoir dans l’Orne. Nous nous sommes demandés pourquoi ils faisaient appel à nous. Nous avons vite compris que nous avions affaire à des militants écologistes assez fous ou singuliers pour nous suivre très loin dans l’expérimentation, en nous laissant carte blanche. Nous avons alors décidé d’en faire un chantier exemplaire et de le documenter. Le projet avait déjà démarré quand nous avons déposé les statuts de la coopérative «Anatomies d’Architecture» en avril 2021.
Comment s’est déroulé le chantier?
Au départ, les propriétaires voulaient rénover tout le bâti, le manoir et ses dépendances. On a finalement décidé ensemble de se limiter dans un premier temps à la rénovation de la longère en briques de 83 m2, suffisant pour vivre à trois. En mai 2020, nous sommes venus nous installer dans le manoir en ruines dans lequel nous avons vécu au total dix-huit semaines. Une résidence d’architecture et d’anthropologie, au cours de laquelle nous avons parcouru le territoire pour identifier les savoir-faire et les gisements de matériaux locaux, rencontré les habitants, exploré les ressources locales et ses acteurs qui œuvrent au quotidien pour défendre leurs pratiques de plus en plus marginalisées.
La maison la plus écologique est bien celle qu’on ne construit pas, mais plutôt celle qu’on rénove.
Suite aux études territoriales, premier coup de pelle pour le curage du bâtiment existant en avril 2021, avec l’objectif de conserver un maximum d’éléments constructifs. Car la maison la plus écologique est bien celle qu’on ne construit pas, mais plutôt celle qu’on rénove. S’en est suivi 18 mois de chantier laboratoire avec des entreprises militantes qui ont portées au quotidien ces engagements écologiques. Nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir travailler pour ces commanditaires sur ce projet démonstrateur. Leur confiance au jour le jour a guidé la bonne réussite du projet.
En juillet 2022, on a inauguré la maison avec les habitants, les entreprises et artisans et tous ceux qui avaient participé à l’aventure, 400 personnes sont venues. C’est ce chantier que l’on raconte dans l’exposition et bientôt dans un livre.
Propos recueillis par Marylène Carre
CHANTIERS COMMUNS – Exposition«Le Tour des matériaux d’une maison écologique», au Forum, 48 rue Victor-Hugo à Rouen, jusqu’au 29 avril, du mardi au samedi de 14h à 18h. Rencontre avec les architectes vendredi 10 mars à 18h et visite de l’exposition en leur compagnie samedi 11 mars à 15h. Tout le programme de Chantiers Communs ici. A venir un livre sur le projet aux éditions Gallimard en octobre 2023.
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Anatomies d’Architecture est une coopérative pilotée par Alice Mortamet, Mathis Rager, Emmanuel Stern et Raphaël Walther qui explore l’habitat écologique à travers trois prismes : Construction et conception pour une architecture bioclimatique, 100% locale, naturelle et réversible. Recherches de terrain et enquêtes aux 4 coins du territoire à la rencontre de ceux qui réinventent l’architecture écologique. Pédagogie et Transmission des nouveaux savoirs en matière d’écoconstruction au grand public comme aux professionnels. Plus d’infos ici. |
