Un couple normand fait entrer le mot « permaculture » dans le langage juridique

Publié le 4 mai 2022

Constance Canivet et Jule Butaeye habitent une yourte dans leur jardin-forêt, et sont les premiers à avoir obtenu un permis de construire pour leur maison à Merville-Franceville-Plage, près de Caen, sur une parcelle dédiée à la permaculture.

Constance Canivet et Jule Butaeye ont quitté Mondeville, près de Caen (Calvados) pour emménager à quatre, avec les enfants, dans une yourte sans électricité, ni eau courante, à Merville-Franceville-Plage, entre Cabourg et Ouistreham. Ils ont investi dans une parcelle boisée d’environ 7 500 m² avec la ferme intention d’y construire leur habitat en terre et y développer la permaculture en créant L’Epi centre : leur lieu de vie qu’ils veulent ouvrir au public.

Toutes les planètes semblaient alignées pour ceux qui se sont lancés dans les recherches de la pépite rare en décembre 2017 et ont aussitôt trouvé leur bonheur en janvier 2018, grâce au maire Olivier Paz qui a adhéré à leur projet. « On voulait changer de bocal », se plaît à dire ce couple formé en 2015. Ils ont ainsi trouvé un terrain doté d’arbres et à proximité de la mer. « C’est plus encore que ce que nous cherchions dans nos critères alors on a tout vendu. » La tête pleine de rêves mêlant leurs deux activités, de permaculture, pour Constance Canivet, et de projet social, pour Jule Butaeye, éducateur, ils n’imaginaient pas soudain « vivre une rupture administrative ».

Car s’ils entendaient construire leur maison sur ce terrain agricole, ils se sont retrouvés confrontés à six refus. La demande de permis de construire était à chaque fois refusée pour différents motifs: «zone non constructible», «proche d’un monument historique» et soumise à la loi Littoral de 1986 qui protège les côtes de la bétonisation.

«On a appris à faire du lobbying»

C’est depuis le coeur de leur yourte, installée au milieu de leur jardin-forêt qu’ils ont mené leur bataille juridique. De l’éclairage à la bougie au lobbying auquel ils se sont livrés, il n’y a qu’un pas. « On ne voulait pas être pris pour des zadistes, ni pour des hippies », assurent ceux qui voulaient vivre sur leur terrain, tout en étant dans les clous. « Alors on a appris à faire du lobbying, c’est-à-dire, avoir un argumentaire sans faille, avec des arguments concrets, précis, percutants. Ne pas faire peur, avoir un discours rassurant et porteur, c’était notre objectif. »

Puis, après moult péripéties, après avoir failli abandonner à plusieurs reprises, en mars 2021, le préfet, Philippe Court, a accepté de faire une dérogation. Il a ainsi considéré que «l’habitation est indissociable de l’écosystème mis en place, que l’activité agricole est, dès lors, démontrée». Une consécration pour ce couple qui s’est senti compris et entendu.

«La maison d’habitation sera également utilisée comme un lieu de production.»

Et d’ajouter à cet arrêté que «la permaculture est une méthode d’agriculture planifiée consistant à concevoir un système agricole productif exploitant au mieux les caractéristiques des écosystèmes naturels, que la maison d’habitation sera également utilisée comme un lieu de production».
La crise sanitaire avec les confinements successifs ont contribué à convaincre: Constance Canivet et Jule Butaeye ont pu faire valoir qu’en vivant sur leur lieu de production, ils étaient autonomes.

La chance leur a aussi souri parce qu’ils se sont entichés d’une «parcelle agricole illégale compte tenu du nombre d’arbres», excessif. Or, le terrain n’était autre qu’une ancienne jauge de pépiniéristes» où ont poussé des bambous, pieds de vigne et autres essences toutes plus éloignées les unes des autres. En jachère et abandonné depuis 1983, il pouvait donc être «préempté». La victoire emmène désormais le couple vers un nouveau défi : rassembler suffisamment de fonds pour accomplir leur projet de maison d’ici un an et demi. Le tout, sans argent. «On compte sur le mécénat et le crowdfunding pour collecter 350 000 € d’ici 2024», expliquent Constance Canivet et Jule Butaeye.

Un lieu ouvert au public

Le lieu « multifonctions » vise la production d’oeufs, fruits et produits issus de la pépinière, un local d’accueil et d’animation, de la pédagogie de l’environnement et découverte de la permaculture. Outre les établissements scolaires, Constance Canivet et Jule Butaeye aimeraient recevoir des personnes en situation de handicap, en IME ou encore en Ehpad. Pour cela, un bâtiment d’accueil du public est pensé d’inspiration augerone, l’habitation sera semi-enterrée en terre paille, charpentes autoportées. Enfin, sont prévus des aménagements dans la forêt, « sous la forme de passerelles sur pilotis afin de limiter le piétinement du sol par des milliers de pas (impact colossal sur la biodiversité), et permettre la même circulation aux personnes moins mobiles ». En attendant, le couple a fabriqué un four à pain en terre et en paille et invite ses voisins à cuire le leur chez eux.

L’intégration du terme «permaculture» dans le langage juridique est une avancée qui constitue une première en France et le couple espère ouvrir la voie pour les autres projets similaires au sien, bloqués par la loi.

Laura Bayoumy

Explorez Grand-Format
par thématique.

Découvrez Petits formats, la newsletter gratuite de Grand-Format.

Une fois par mois, des articles courts pour faire le tour de l’actualité en Normandie.

En savoir plus