L’Australie a rompu, le 15 septembre dernier, le «contrat du siècle» passé avec la France en 2019 pour la livraison dedouze sous-marins conventionnels. La construction de ces derniers avait déjà commencé aux chantiers Naval Group à Cherbourg. L’accord représentait un montant de 50 milliards d’euros et engageait les deux pays pour cinquante ans. Le ministère des Armées français a parlé de «trahison»; celui des Affaires étrangères de «coup dans le dos».
Il y avait pourtant déjà de l’eau dans le gaz. La presse australienne dénonçait des retards de calendriers et des hausses des tarifs. Dès 2018, la télévision publique australienne ABC évoquait «des incertitudes et le risque que le projet français finisse par couler». Et si, en juin, le ministère australien de la Défense se disait «absolument déterminé» à résoudre les problèmes avec Naval Group, il dévoilait aussiun «plan B» sans donner plus de détails puisque classifié.
Pacte Aukus contre l’influence chinoise
L’Australie a choisi de miser sur une technologie à propulsion nucléaire de fabrication américaine.«Un changement de besoin et non d’avis» a expliqué le Premier ministre australien. Mais dans les faits, cette décision s’inscrit dans le cadre d’un accord géopolitique bien plus large : un partenariat trilatéral entre l’Australie, les États-Unis et la Grande-Bretagne en matière de sécurité, appelé Aukus, axé sur l’alignement des technologies et visant à contrer l’influence de la Chine dans la région.
Quel impact pour Naval Group ?
Sur les 17 000 salariés de Naval Group, 650 travaillaient en France sur le projet, dont 40 Australiens, essentiellement dans les bureaux d’études. Quelque 350 autres, dont 20 Français, œuvraient en Australie, notamment pour nouer des partenariats avec des industriels locaux.
À Cherbourg, 600 des 3 400 salariés travaillaient sur le contrat australien. L’entreprise perd 10 % de son activité, mais minimise l’impact sur ses salariés, en arguant d’un carnet de commandes de 14 milliards d’euros. Le PDG de Naval Group s’engage à repositionner sur les autres contrats les salariés affectés et annonce le gel des recrutements externes d’ingénieurs et de cadres. Les sous-traitants s’inquiètent des répercussions. En 2021, le groupe prévoyait 1000 recrutements supplémentaires, en partie sur Cherbourg.Quant aux indemnités que devraient verser l’Australie, le chiffrage vient de démarrer. La presse australienne évoque le chiffre de 250 millions d’euros.
Au revoir les Australiens !
Les 120 familles australiennes arrivées au fil des années à Cherbourg, ont appris la nouvelle par la chaîne ABC. Elle devraient repartir d’ici quatre mois. Tout avait été fait pour les accueillir « pour des dizaines d’années » : construction de logements (dans l’ex-Cité Coloniale), ouvertures de classes bilingues dans deux écoles, un collège et un lycée. À la rentrée 2017, on annonçait l’arrivée d’une centaine d’enfants. En réalité, les cohortes n’ont jamais été aussi importantes (seulement six collégiens scolarisés cette année) et les cours profitent surtout aux enfants de migrants venus d’Afghanistan, de Syrie ou d’Afrique de l’Ouest. Pour combien de temps encore ?
Marylène Carre