Rendre gratuits les transports publics à Caen : fausse ou vraie bonne idée ?

Publié le 17 juin 2024

Dunkerque, Niort, Calais, Châteauroux, Montpellier… Toutes ces villes ont un point commun : elles ont opté pour la mise en place de la gratuité des transports en commun. Au total, elles sont une quarantaine à avoir fait ce choix. À Caen, un comité a été créé afin d’atteindre le même objectif.

C’est un nouveau droit qu’il faut conquérir”, affirme Pascal Gourdeau, membre du comité pour la gratuité des transports publics de l’agglomération caennaise, quand il définit ce qu’est la gratuité des transports en commun. Ce comité pour la gratuité des transports publics de l’agglomération caennaise est né en avril 2023, d’une volonté collective de répondre aux défis environnementaux, sociaux et économiques auxquels la région fait face. Il découle de la Coordination nationale pour des transports collectifs gratuits et est composé d’une quinzaine de personnes, dont la plupart sont déjà engagées dans plusieurs mouvements écologistes ou étudiants.

Son principal objectif ? Convaincre les autorités locales de promouvoir l’utilisation des transports en commun en rendant les trajets gratuits pour tous les usagers, indépendamment de leur situation financière. En éliminant les barrières financières liées aux déplacements, le comité cherche à inciter un plus grand nombre de personnes à abandonner les modes de transport individuels, souvent polluants et encombrants, au profit de modes de transport collectifs et durables, tels que les bus, les tramways, les trains ou encore le covoiturage.

Échanger avec les élus et les habitants

Pour cela, le comité va au contact des habitants. « On met en place des actions de sensibilisation dans les rues et on présente notre pétition en vue d’avoir l’avis des citoyens de Caen et de l’agglomération sur la question de la gratuité. Pour l’instant, nous avons récolté 5 000 signatures », déclare Pascal Gourdeau.

Il sollicite aussi les élus locaux. « Nous allons à la rencontre des collectivités, des communes et des maires de l’agglomération caennaise afin de leur présenter le sujet sur lequel nous militons », explique Pascal Gourdeau. « La plupart de ceux avec qui nous avons pu échanger ne sont pas opposés ou favorables à l’idée, ils souhaitent juste être mieux informés du sujet et de ses multiples enjeux. »

À la suite de ces échanges, certains élus locaux sembleraient intéressés par l’idée de mettre en place une phase d’expérimentation où la gratuité des transports est testée une ou deux journées dans la semaine. Comme c’est le cas dans la ville de Rouen qui a rendu ses transports en commun gratuits le samedi, depuis le 5 septembre 2020. ​​

Réduire l’impact des transports sur le climat

Confrontée à des défis tels que la pollution atmosphérique, la congestion routière et le réchauffement climatique, la gratuité des transports en commun semble présenter de nombreux avantages pour l’agglomération caennaise. Elle contribuerait, selon le collectif, « à réduire la congestion routière en incitant les automobilistes à opter pour les transports en commun, ce qui entraîne une diminution de la pollution sonore et des émissions de gaz à effet de serre, lorsque l’on sait que le transport est responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre annuels des Français, ainsi qu’une amélioration de la qualité de l’air. L’empreinte carbone de la région serait moindre et la qualité de vie de ses habitants seraient nettement meilleures. »

« L’empreinte carbone de la région serait moindre et la qualité de vie de ses habitants seraient nettement meilleures. »

Pour Sébastien, conducteur de bus, mettre en place la gratuité permettrait d’avoir « plus d’usagers à bord » et d’éviter ainsi de faire « des tournées à vide où l’essence est gaspillée pour rien. »

Favoriser l’inclusion sociale

Le comité met en évidence un autre point essentiel : celui de la justice sociale. Selon eux, la gratuité des transports du quotidien permettrait de mettre tout le monde à égalité. « Nous avons besoin de mesures fortes. Rendre les transports gratuits, c’est créer un droit à la mobilité abordable à tous, et cela permettrait une redistribution du pouvoir d’achat », souligne Pascal Gourdeau.

Sur le plan économique, la gratuité des transports publics peut, selon le comité, « stimuler l’activité commerciale en facilitant l’accès aux commerces et aux services pour un plus grand nombre de personnes ».

L’attractivité de la région est, elle aussi, mise en avant. « En réduisant les coûts de déplacement des travailleurs, on peut attirer davantage d’investisseurs et d’entreprises au sein de l’agglomération. »

Caen la mer s’oppose fermement au projet

Bien que l’idée de la gratuité des transports publics soit prometteuse, sa mise en œuvre n’est pas sans défis. L’un des principaux réside dans le financement nécessaire pour compenser la perte de revenus provenant des billets et des abonnements.

En vue de tenir ses ambitions de développement d’offres, Caen la mer a besoin de ses recettes obtenues via la tarification. « Les billets de bus nous rapportent environ 15 millions d’euros tous les ans », déclare Nicolas Joyau, ​​vice-président de Caen la mer en charge des mobilités et Maire-Adjoint à l’Urbanisme de la Ville de Caen. « Et ce montant doit permettre un report modal qui se fait de la voiture vers les transports en commun et doit aussi permettre d’investir pour être au service de nouvelles offres. C’est la volonté principale des maires, des citoyens et des entreprises lors des réunions publiques que nous organisons, et non pas la tarification comme certains pourraient le croire. La plupart mettent aussi en avant le temps de trajet ou les contraintes horaires. »

Des villes ont réalisé des enquêtes quantitatives et qualitatives suite à la mise en place de la gratuité partielle ou totale de leurs réseaux de transports. « C’est le cas de Dunkerque. La fréquentation a doublé de 50 % la première semaine et de 130 % au bout de cinq ans », raconte l’élu. « Toutefois, malgré cette augmentation d’usagers, la plupart sont d’anciens cyclistes ou piétons. Ça ne répond donc pas un enjeu de justice environnementale. » Nicolas Joyau cite un autre effet indésirable qui serait constaté après l’adoption de la gratuité : la saturation des transports. « Beaucoup vont prendre le bus ou le tramway, même lors de trajet court, et cela va venir les surcharger, mettant ainsi de côté le confort des passagers. »

De nouvelles offres de transports en commun

En 10 ans, sur le territoire de Caen la mer, la part des voitures individuelles a baissé de 10 % et celle des vélos a doublé pour atteindre les 30 à 40 000 déplacements par jour. Ces changements sont rendus possibles grâce au développement d’infrastructures cyclables, d’investissements dans la mise en place d’une nouvelle ligne de tramway qui verra le jour en 2028, et le renforcement de l’offre de transports en commun, notamment des bus, avec la mise en place du service transport public à la demande Twisto-Flex. « Ce service donne la possibilité aux habitants de plusieurs lieux de périphérie qui n’avaient pas de ligne de bus Twisto, de pouvoir utiliser les transports en commun », affirme Nicolas Joyau. « Avant, il n’y avait pas de solution publique, donc nos concitoyens étaient isolés et étaient contraints d’utiliser leur voiture individuelle ou de ne pas se déplacer, pour ceux qui n’ont pas les moyens d’en acheter une. »

Cette solution innovante, mise en place sur le croissant ouest de Caen (Rots, Thue et Mue, Saint-Manvieu-Norrey, Carpiquet, Rosel, Thaon et Le Fresne-Camilly) depuis l’été 2022 et sur le secteur sud-est de Caen (Grentheville, Soliers, Ifs, Bourguébus, Castine-en-Plaine, Le Castelet) depuis l’été 2023, et plus récemment sur la ville de Troarn, semble efficace. « Nous avons constaté que les fréquentations ont été multipliées par trois. Et cette augmentation n’est pas prête de s’arrêter puisque nous avons pour projet de développer le service sur l’ensemble des zones périurbaines de Caen la mer d’ici à l’été 2025. La gratuité n’est donc pas forcément utile. »

Par ailleurs, rendre les transports gratuits engendrerait la gestion de la demande accrue de transports en commun, et nécessiterait des ajustements logistiques et opérationnels. Il faudrait investir dans l’expansion des infrastructures, l’optimisation des horaires et la formation du personnel pour assurer un service de qualité répondant aux besoins de la population.

Aller au-delà de la tarification sociale

Plutôt que la gratuité pour tous, l’agglomération caennaise mise pour le moment sur une tarification solidaire, qui permet selon elle au plus grand nombre d’adopter quotidiennement la mobilité douce. Celle-ci a changé il y a deux ans. « Nous avons baissé de 25 % le tarif des abonnements étudiants et de 50 % celui des enfants de moins de 11 ans. » Quant au tarif des 26 – 65 ans, il n’a pas changé. « Cette tranche de population peut se faire rembourser son abonnement Twisto de 50 à 75 % par son employeur. » Ainsi, si une personne prend un abonnement, celui-ci lui coûtera 440 euros par an, mais son employeur devra lui rembourser minimum 220 euros.

« Nous souhaitons que la marche à pied et le vélo soit moins coûteux que de prendre les transports en commun, plus polluants. »

Il existe également des gratuités ciblées sur les réseaux de transports publics caennais. 10 000 habitants de Caen la mer en bénéficient actuellement. Parmi eux : les demandeurs d’emploi (touchant moins de 150 % du RSA), les personnes bénéficiant de l’allocation enfant / adulte handicapé et les personnes âgées de plus de 65 ans non imposables. « Cette tarification solidaire permet d’accompagner les ménages les plus modestes », explique Nicolas Joyau. « Mais mettre en place une gratuité totale revient à aller à l’encontre de notre politique de gradation des transports puisque nous souhaitons que la marche à pied et le vélo soit moins coûteux que de prendre les transports en commun, plus polluants. »

Pour autant, les tarifications solidaires ne sont pas assez efficientes, selon le comité favorable à la gratuité des transports publics. « Ces tarifications ne remplissent pas leurs rôles puisqu’un nombre important de personnes renoncent à faire les démarches et les différents tarifs suscitent des discriminations et des tensions », estime-t-il.

Carla Della Vedova

Photo : CC Mr. Ibou

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