Suite à un projet autour de la charge mentale, des habitantes du quartier du Chemin Vert, au Nord-Ouest de Caen, sont en train de créer un collectif. Elles ont partagé leur difficulté de parler du poids des tâches quotidiennes, encore trop attribuées aux femmes.
Faire face à des démarches administratives de plus en plus dématérialisées, des demandes de logement sans réponse et puis penser à tout, tout le temps, pour le bon fonctionnement d’un foyer. Lorsque Chafiaa, salariée du centre socioculturel de la Caisse d’allocation familiale du Chemin Vert à Caen lance son projet dans le cadre d’une formation, elle n’en imagine pas la portée. Pendant plusieurs semaines, elle a mené des entretiens filmés avec une dizaine de femmes rencontrées à la halte garderie du quartier ou aux cours de français du centre socioculturel. A travers ces rencontres, elle s’est rendue compte des problématiques qui lient ces femmes, souvent mères de famille, parfois vivant seules.
Chafiaa décide d’aller plus loin. Elle veut mettre un mot sur ces maux: la charge mentale. Elle va donner rendez-vous tous les jeudis matins à ces femmes, âgées de 18 à 77 ans, pour enquêter et échanger sur les habitudes de chacune. Chafiaa expliqueque «très vite elles ont pris conscience du retour des enquêtes que je menais» grâce aux bienfaits de ces partages de vie. Elles ne sont plus seules. Puis elles sont devenues des «enquêtrices» à leur tour en allant à la rencontre d’autres femmes du Chemin Vert. Chafiaa a alors multiplié les recueils de témoignages.
«On a l’impression qu’il faut être parfaite dans tous les domaines»
Parmi ces femmes, Karina devenue mère à 19 ans. Elle s’est vue confrontée très jeune et seule à cette charge mentale qui la tient au quotidien. «Je ne peux pas me louper, parce que la société et l’administration, elles, ne vont pas me louper», raconte-t-elle. Une échéance administrative dépassée et c’est la sanction. Manon, 26 ans, va même jusqu’à utiliser le mot de «sacrifice» lorsqu’elle a dû renoncer au chemin des études à 19 ans pour ses enfants. Face à ces situations, le monde du travail semble bien trop peu adapté aux familles monoparentales. Pour Laura, il est difficile d’imposer des horaires aux employeurs lorsqu’elle doit aller chercher son enfant à l’école. En peine de payer une nourrice, une place en centre aéré ou en garderie, pour elle, «ce n’est pas évident de trouver du travail en imposant ses contraintes».
Surtout, ces femmes mettent en avant la nécessité de ne pas faire de vague et de la difficulté de parler de cette charge mentale lorsqu’elles ont un conjoint. Marion évoque cette performance à laquelle elle doit se contraindre. «On a l’impression qu’on doit être parfaite dans tous les domaines. Il faut être la bonne mère, la bonne épouse, la bonne secrétaire, la bonne ménagère.Et puis bien sûr être solides psychologiquement! », ironise-t-elle.
S’unir pour agir
Chafiaa a aussi voulu donner la parole à un habitant du Chemin Vert. Denis, la cinquantaine est père de deux jeunes adultes handicapés. Il a été interpellé par la présentation du projet et comprend les difficultés endurées par ces femmes: « Je n’ai pas de temps à consacrer à ma vie d’homme. J’y ai mis une croix».
Lors d’un rendez-vous citoyen organisé par la MJC du quartier le vendredi 19 mai, la vidéo de Chafiaa a été projetée pour que la cinquantaine d’habitant.es présent.es puissent débattre et imaginer des solutions. Pour l’heure, le collectif, qui est en train de se constituer, voit en cette solidarité le moyen de libérer la parole, de s’entraider. Et puis faire bloc pour porter la voix de celles qui n’en ont pas.
Lucille Derolez