Nouvelle prison à Ifs : « plus on construit, plus on remplit »

Publié le 1 décembre 2023

Depuis le 3 décembre, le nouveau centre pénitentiaire de Caen-Ifs remplace la maison d’arrêt de Caen, ouverte en 1904, vétuste et surpeuplée. Mais le nouvel établissement ne risque-t-il pas d’être à son tour saturé ?

La construction de la nouvelle prison avait été annoncée dès 2014 par Christiane Taubira, alors Garde des sceaux. Mais elle s’est faite attendre et la surpopulation carcérale a explosé : 422 détenus occupaient encore les 269 places de l’ancienne maison d’arrêt (ils n’étaient plus que 305 à la veille du déménagement). Placés en détention provisoire (avant leur procès) ou condamnés à de courtes peines, ils vivaient le plus souvent à 3, 4 voire 5, dans des cellules de 16 m2. Pas de douche dans les cellules ni de chauffage, un cabinet de toilette à peine isolé.

«C’est aussi un lieu de vie»

Changement de décor total dans l’enceinte de nouvel établissement pénitentiaire d’Ifs, érigé en périphérie de Caen, pour près de 100 millions d’euros, sur une surface totale de 8 ha, soit quatre fois plus que l’actuelle maison d’arrêt. 19 ha avec les parkings. L’ancienne prison de Caen avait été bâtie sur le modèle architectural du panoptique, inventé par le philosophe anglais Jeremy Bentham à la fin du 18e siècle. Le principe était le suivant : une tour centrale permet aux geôliers de surveiller, sans être vus, tous les faits et gestes des prisonniers, enfermés en cellules dans un bâtiment en anneau encerclant la tour. À Caen, les surveillants sont restés assez attachés à ce modèle où le « rond-point » central permet à tous de se croiser dans la journée. Aujourd’hui, on ne bâtit plus de grande nef, de même qu’on ne bâtit plus de prisons en ville.

La nouvelle prison fait donc partie de la nouvelle génération : dans son plan prison, le président Macron prévoit de construire 15 000 places supplémentaires d’ici 2027. « Sur la cinquantaine de chantiers en cours, la moitié des établissements seront livrés en 2024, a annoncé la première ministre Elisabeth Borne lors de l’inauguration du centre pénitentiaire de Caen-Ifs le 6 octobre dernier. Il n’y a pas de justice crédible, pas de fermeté contre la délinquance sans prison. Mais c’est aussi un lieu de vie. Il doit être digne pour les personnels comme pour les détenus. »

Là-bas, tout est plus grand

330 agents de l’administration pénitentiaires, dont 249 surveillants, exercent à la nouvelle prison Caen- Ifs. Ils sont 130, dont 90 surveillants, à l’actuelle maison d’arrêt. Là-bas, tout sera plus grand, plus aéré, avec quinze bâtiments distincts au lieu d’un seul. Plus d’espaces pour les activités, l’enseignement et la culture : sept salles de classe, deux bibliothèques, une salle de spectacle, un studio audiovisuel, deux gymnases, deux terrains de sport, six salles de musculation, des ateliers de travail (dont la gestion est confiée à Gepsa, acteur national de services en site sensible) et même une boulangerie où des détenus seront formés et produiront le pain pour tout l’établissement. En revanche, pas de cuisinier sur place comme dans l’actuelle maison d’arrêt : la restauration est sous-traitée à Eurest qui assurera la livraison des repas par une liaison froide.

« Si l’on construisait une prison de 1 000 places, on finirait par accueillir 2 000 détenus. »

Six bâtiments sont consacrés à l’hébergement des détenus : un pour les mineurs, un pour les femmes, trois pour les hommes (deux maisons d’arrêt et un autre dit de confiance où les détenus ont plus d’autonomie) et un quartier des arrivants. Le nouveau centre pénitentiaire Caen- Ifs dispose de 551 places de détention (495 pour les hommes, 41 pour les femmes et 15 pour les mineurs), contre 269 places théoriques à la maison d’arrêt. Les cellules sont dotées d’un coin douche sanitaire, d’un téléphone, d’un réfrigérateur, d’une plaque de cuisson. La nouvelle prison compte« 90 % de cellules individuelles », annonce son directeur Jean-Marie Landais, contre seulement 15 % dans l’actuelle maison d’arrêt.

Le hic, c’est qu’on sait déjà que la population carcérale atteindra rapidement le millier, dans les semaines après son ouverture, tant la pression est forte sur les autres établissements. C’est un secret de polichinelle bien entretenu – dans le milieu carcéral, tout le monde le sait, mais personne ne dit rien. On monte déjà des lits à étages dans les cellules. « Mais si l’on construisait une prison de 1 000 places, nous explique-t-on, on finirait par accueillir 2 000 détenus. » La surpopulation n’a jamais empêché un juge d’envoyer un type en prison. En 2023, le nombre de détenus en France a atteint un nouveau record, avec 74 000 détenus pour 60 000 places. Le taux d’occupation global est de 122 % et grimpe à 146 % dans les maisons d’arrêt. « Plus on construit, plus on remplit », analyse Nicolas Ferran, de l’Observatoire international des prisons.

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