Les Minières : là où germent les pratiques artistiques, poussent les légumes

Publié le 7 juillet 2025

Mêler pratiques artistiques et maraîchage sur sol vivant, c’est le pari de l’association Les Minières, à la Ferrière-aux-Étangs, dans l’Orne. Fondée par un frère et une sœur aux univers complémentaires, cette ferme pas comme les autres accueille, au fil des saisons, des événements pour cultiver, d’une manière plus responsable, le lien de chacun à la nature.

Au cœur des Minières, cette ferme nichée dans un écrin de verdure, entre deux averses printanières, quelques silhouettes se faufilent entre les herbes hautes, un carnet dans une main, une plante dans l’autre. Philippe Sizaire, conteur et Flora Delalande, poète botaniste, se sont appropriés ce lieu pour guider les participants dans un stage singulier. Ils apprennent à raconter des histoires où fleurissent les plantes.

Préparation des stagiaires pour une balade botanique dans la ferme des Minières.

Par binômes, les stagiaires, qu’ils soient « plutôt du côté botanique, qu’ils viennent du conte ou qu’ils soient curieux », explorent le terrain des Minières, à la recherche de plantes comestibles ou médicinales. Une cueillette pour trouver de quoi nourrir leurs histoires. Ici, chaque feuille, chaque fleur, devient un moyen pour faire vivre ou survivre, les protagonistes de leurs contes. Parmi les participants, figure Émilie Gallier, l’une des fondatrices de l’association.

Dans sa ferme, elle accueille ce type d’initiative avec enthousiasme. Car aux Minières, tout est pensé pour favoriser la création, l’échange, l’expérimentation. « Être dans un lieu qui soit inspirant en termes de nature, où on puisse être à la fois bien à l’intérieur et à l’extérieur pour aller faire des excursions, c’est merveilleux. Parce que ce qu’on propose naît aussi du lieu dans lequel on se trouve », explique Flora Delalande. Un stage à la croisée des disciplines, qui illustre ce que Cyril Gallier et sa sœur Émilie veulent construire.

Présente en Normandie, la Digitale pourpre séduit par sa douceur mais cache un poison mortel. Les stagiaires l’ont observé de plus près. 

Les Minières, une histoire de famille

« La rencontre entre les pratiques de maraîchage sur sol vivant [rendre le sol plus riche pour qu’il donne aux plantes ce dont elles ont besoin] et les pratiques artistiques, ça commence vraiment d’une histoire assez intime, familiale », se remémore Émilie Gallier. Un jour, son frère, ancien paysagiste, lui confie vouloir s’engager dans une reconversion pour « créer un jardin qui contribue à modifier l’appréciation esthétique de celui-ci. » « Il cherchait à lutter contre le désir de vouloir vraiment contrôler les pelouses, les parterres fleuries tels qu’on a l’habitude de le faire, tels que beaucoup de gens envisagent la beauté d’un jardin », raconte la chorégraphe.

En découvrant cette ferme située à la Ferrière-aux-Étangs, nait le projet de mêler leurs deux univers. Celui d’un frère qui se forme au maraîchage et d’une sœur, chorégraphe-chercheuse, qui vit désormais aux Pays-Bas. L’association voit le jour en juin 2021 avec une cinquantaine d’adhérents, des artistes ou des personnes qui ont aidé à la création des jardins. Depuis, chaque année, l’association compte plus d’une centaine d’adhérents et une vingtaine de bénévoles, unis autour d’un même projet : entremêler l’art et le maraîchage pour sensibiliser à un meilleur respect de la nature.

Cyril Gallier, maraîcher et propriétaire des Minières, et un de ses jardins maraîchers sur sol vivant.

« Changer les regards, les habitudes et les pratiques »

« On a la conviction que la complémentarité entre les pratiques de jardinage et les pratiques artistiques a du potentiel pour changer les regards, les habitudes et les pratiques. D’y contribuer en tout cas », affirme Émilie Gallier. Le programme de l’association s’articule autour de quatre événements, rythmés par les saisons. De la retraite hivernale où plusieurs artistes se retrouvent à la ferme pour « se retirer, ne rien faire, et voir ce qui émerge dans leur pratique » à la fête annuelle ouverte aux membres, aux habitants et habitantes et aux touristes, chaque événement invite à repenser le lien au vivant à travers des performances, toujours rémunérées.

« Un artiste qui vient faire une performance en forêt et qui nous demande un sol très régulier, très accueillant pour pouvoir se rouler par terre, on comprend son besoin, mais on lui explique que la forêt ce n’est pas ça. Il y a des petits arbres qui poussent. Parfois, il y a des oiseaux qui nichent. Il y a toute une vie », poursuit Émilie Gallier. Sur les neuf hectares de terrain, son frère développe des jardins en syntropie, une technique qui consiste à « cultiver les plantes de manière très resserrée pour qu’elles se nourrissent les unes les autres ». Un environnement qui bouscule les habitudes : ici, les artistes apprennent à composer avec le vivant, plutôt qu’à le modeler. « Beaucoup apprécient la beauté de ce lieu où les herbes sont hautes, où ça déborde un peu partout. Dans ces méthodes de maraîchage sur sol vivant, de syntropie, il y a reconnaissance que l’on ne peut pas tout contrôler et qu’il faut laisser vivre », conclut la chorégraphe.

Les stagiaires partagent leur carnet botanique réalisé pendant le stage.

Sensibiliser tous les publics à des pratiques plus écologiques

Les Minières ne se contentent pas d’accueillir des artistes : elle ouvre aussi ses portes aux plus jeunes. Depuis un an, Émilie et Cyril Gallier accueillent des élèves du lycée Flora Tristan, à La Ferté-Macé, pour une journée par saison. L’occasion de « découvrir les pratiques des jardins et les pratiques artistiques ».

Un partenariat que la fratrie tient à maintenir : « On se retrouve avec des jeunes parfois en situation de handicap ou des personnes racisées. Et aller chercher ces publics, ça nous motive, parce qu’on est conscients qu’ils sont directement impactés par les crises qu’on traverse », confie Émilie. « Les rendre plus acteurs, ça a vraiment du sens », poursuit-elle.

Au coeur du bocage Normand, la ferme des Minières est à la lisière de la forêt d’Andaine.

Les Minières proposent des tarifs réduits pour les étudiants et étudiantes ou les personnes au chômage (10 euros au lieu de 20). « L’engagement humain est tout aussi important pour nous », résume Émilie. Mais pour continuer à se développer, en créant une nouvelle serre pour porter de nouveaux projets pédagogiques, il faut aussi s’occuper des racines administratives. S’ils ont reçu des aides de la commune de La Ferrière-aux-Étangs et du département, l’agglomération de Flers a rejeté leur demande. Motif invoqué : « le caractère hybride rend le projet pas clair ». Prochaine étape donc : mettre le nez « dans la paperasse » et affiner leur projet.

Juliette Rigaud (texte) et Marine Thomann (photo)