Les Baigneuses de la Presqu'île

Publié le 5 mai 2022

« Je sors dans la nuit comme on se jette à l’eau, les dents serrées. Je marche droit devant moi, frôlée par les phares des voitures, ces prunelles aux aguets. Chaque fois que l’une d’elle s’arrête, la portière s’entrouvre, et une main me fait signe. Mon cœur s’arrête de battre.
Qui est là, qui m’attend à l’intérieur de cette voiture pleine de nuit ? Je suis clouée sur place. Défense de s’enfuir ! J’approche pas à pas, retenue par une corde invisible. Penchée, je regarde : cette seconde, c’est ma vie que je joue !
Une autre seconde aiguë et douloureuse, il faut que je me décide. Vite, la voiture n’attend pas, d’autres suivent, on m’observe, on m’appelle. Je n’ai plus qu’à sauter, à me laisser emporter, à peine la portière refermée.
Oui, la voilà la porte secrète et humiliée du Paradis, celle qu’il faudra lâcher et sucer comme une hostie nauséeuse, si on veut bouffer désormais. Chaque aube est une délivrance, une résurrection : on a échappé au pire.
 » Extraits de « Le noir est une couleur » de Grisélidis Réal.

En mai 2020, le collectif Bazarnaom s’est installé sur la Presqu’île de Caen, transformant un hangar désaffecté en fabrique artistique et lieu de production mutualisé devenu le « B3 ». Sur cette friche industrialo-portuaire de 300 hectares en pleine transformation urbaine, nombre de bâtiments sont désertés, mais habités clandestinement par des personnes non recensées, à la marge, SDF, migrants, prostituées… Ces dernières travaillent dans des camions, jour et nuit, aux yeux de tous et pourtant ignorées. C’est pour leur donner la parole, comprendre ce qu’elles vivent, les reconsidérer, que Cendres Delort, comédienne et artiste plasticienne du collectif Bazarnaom, a imaginé le projet « Les baigneuses de la Presqu’île », qui prendra la forme d’une performance le 13 mai prochain.

Prostituer : exposer aux yeux, mettre en vue.


La baigneuse est une figure emblématique dans l’histoire de l’art, réinventé avec chaque courant artistique, sensuelle ou sexuelle, belle ou monstrueuse, parfois sujet à scandale. « Dans la peinture, l’image des baigneuses est associée à la nudité. Pourtant à la fin du XIXe siècle, les femmes se baignent en corset et pantalon bouffant, précise Cendres Delort. Il faut attendre le XXe siècle pour que la figure de la baigneuse s’émancipe avec les moeurs. Viendront les congés payés et le bikini. » S’inspirant de ces représentations, l’artiste créé cinq figures de baigneuses contemporaines – la Poilue, la Marraine, la Debout et la Précieuse – pour évoquer celles qui « posent » aujourd’hui sur les bords du canal de la Presqu’île. Au cours de cette performance, elles seront incarnées par quatre artistes, qui interpréteront des textes de Grisélidis Réal, activiste de la « Révolution des prostituées » à Paris dans les années 1970. « Les baigneuses de la Presqu’île représentent des personnages singuliers, exposés dans l’espace public, situés à la frontière du réel et de l’imaginaire. Une métaphore de la condition humaine liée à un territoire spécifique : une presqu’île. »

Vendredi 13 mai à 21h. Accueil: 20h30à La Maisonau 21, rue Gaston Lamy, Presqu’île de Caen. Public: à partir de 16 ans. Durée: 30 minutes. Participation libre. Jauge limitée. Réservation conseillée (jusqu’au 12 mai inclus): voyellesproduction@gmail.com
En extérieur: peignoirs et parapluies bienvenus selon la météo du jour…

Photographies ©Delma

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