Sur la côte d’Albâtre, un chœur d’un nouveau genre, décalé, rock et engagé, connait un vif succès. Rencontre avec ses joyeux choristes et sa charismatique cheffe de chœur.
C’est un lieu emblématique pour les Dieppois et les habitants des villes voisines de Seine-Maritime. Sur la Place Nationale, à deux encablures du port, on venait faire la queue pour s’enfermer dans ses salles obscures. Le Rex, ancien plus grand cinéma de la ville, a éteint ses grands écrans en 2019. Mais sa devanture multicolore n’a pas eu le temps de perdre de son éclat puisqu’en 2021, l’espace est reconverti en un cabaret, une salle de sport et deux salles de réunion. C’est dans la plus spacieuse des salles de meeting que répètent les 70 choristes de La Sauvage. Pour les rencontrer, il suffit de traverser le bar du cabaret La Sirène à barbe au rez-de-chaussée et de pousser la porte du fond. C’est ici qu’a élu domicile la chorale dieppoise tous les jeudis soir.
Ça s’affaire dans un joyeux vacarme, le piano électrique est en train d’être installé, une table au fond se remplit de biscuits apéro et de bières. Tout le monde s’embrasse, se sourit, discute. Le concert du 9 mars est dans toutes les conversations. Les choristes vont se représenter dans deux jours dans un centre socioculturel du quartier de Janval. Un événement pour les droits des femmes et dont les fonds récoltés seront reversés au collectif LGBT, Phoenix Queer. La cheffe de chœur prend le micro pour essayer de capter l’attention comme avec une classe excitée qui préparerait une sortie d’école. Après quelques rappels, Olga réussit à retrouver le calme et annonce l’ordre des chansons: «Hit me baby one more time, La mauvaise réputation, Sunday bloody Sunday, Tous les mêmes, Poker face, Where is my mind, J’ai vu». Ça promet d’être rock and roll !
Inclusion, antiracisme, écologie, solidarité
Le filage commence. Altis, ténors, barytons et sopranos, les quatre pupitres se lancent.Le chœur intergénérationnel donne de la voix sous la direction très impliquée de sa leader. Grâce à ses arrangements, on retrouve les hits transformés, modernisés. L’acoustique est très bonne aussi dans la salle entièrement recouverte de bois. Edith Piaf les surveille d’un œil bienfaiteur. «L’ancien Rex était un music-hall, c’est pour ça que j’ai installé un portrait de La Môme », explique Valérie, la propriétaire des lieux et aussi choriste.
Une main de fer dans un gant de velours qui veille à garder une harmonie. La conductrice use d’un ton parfois plus ferme tout en dansant au milieu des chanteurs concentrés et souriants. «Sinon, ça part vite en pagaille», affirme Guillaume. Léa et Shawn, son compagnon trans, tous les deux la vingtaine, apprécient particulièrement cet environnement à la fois rigoureux et bienveillant: «On peut être nous-mêmes».
Les femmes forment le gros de la troupe. Et ce n’est pas un hasard puisque la chorale, créée en septembre 2022 par Olga Giardelli, est féministe. A l’image de sa meneuse, La Sauvage est très engagée: inclusion, antiracisme, écologie, solidarité. Certaines comme Isabelle, militante LGBT, ont tout de suite « étéinterpelées par les valeurs défendues par le projet». Pour d’autres, l’engagement est «la cerise sur le gâteau». Une chose est sûre, lors des concerts, des plus jeunes aux plus âgés, chacun porte fièrement les couleurs rouges et noires de l’association.
Outre le chant a capella, on comprend que le social est le ciment du groupe : « Je suis arrivé ici seule avec une amie et maintenant c’estcomme si on se connaissait depuis toujours », explique Hélène, 71 ans. Faut dire que le timing était parfait. Sortis de la crise du Covid, les Dieppois avaient besoin de se retrouver et faire la fête ensemble. La Sauvage leur a apporté tout ça sur un plateau d’argent.
«On aurait pu être 85, on a dû refuser du monde»
Là où tous sont unanimes, même si la cheffe de chœur s’en défend, le succès n’aurait pas été au rendez-vous sans elle. La professeure de technique vocale n’en est pas à sa première répétition non plus. Cela fait 20 ans qu’elle dirige des chorales de musiques actuelles à Paris. Les professionnels du coin étaient dubitatifs. Pourtant, 70 personnes s’inscrivent en septembre 2022. Et cette année: «On aurait pu être 85, on a dû refuser du monde», indique la musicienne. Aussi, son principe du prix libre fonctionne, les inscrits donnent selon leurs moyens tout en se basant sur un prix conseillé. L’association parvient à équilibrer ses comptes depuis deux ans.
C’est le jour J, les chanteuses et chanteurs rentrent en scène devant une centaine de spectateurs. C’est parti pour 1h de concert. Malgré le trac, les amateurs dégagent une énergie de professionnels. Olga rêve d’emmener un jour la troupe dans un bus La Sauvage pour une tournée d’été. En attendant, le prochain projet est d’organiser un festival avec des chorales du 76. Le nom est déjà trouvé: «La Grande Sauvagerie». Avec sa chorale décalée, Dieppe a retrouvé le sens de la fête.
Romain Amichaud (texte et photo) et Philippe Pelat (photos)