Esclave numérique

Publié le 2 septembre 2025
Screenshot

C’est un pan invisible de notre société : derrière les promesses de l’intelligence artificielle, les assistants vocaux, les traducteurs automatiques, les chatbots, la reconnaissance d’images, des millions de petites mains précaires travaillent en dehors de toute règle, de tous droits. Le journaliste Camille Vandendriessche, compagnon de route de Grand-Format, a mené l’enquête pour le journal Fakir. Et son récit démarre à Rouen, auprès d’un jeune étudiant, micro-travailleur caché de l’IA.

« À l’époque, j’étais en Terminale en distanciel, à cause d’une phobie scolaire. Entre chaque cours ou chaque révision, je regardais vite fait sur la plateforme pour voir si on ne m’avait pas lancé quelque chose, s’il n’y avait pas une tâche disponible pour que je puisse travailler. C’était super chronophage : je pouvais passer six heures à checker mon ordi pour seulement deux heures de travail effectif. Pendant ce temps-là, tu ne peux te lancer dans aucune autre activité. J’avais l’impression de ne pas sortir du travail. Comme je suis plutôt insomniaque, je travaillais aussi la nuit. »

Et contrairement aux promesses, le boulot se révèle assez rébarbatif, et paie moins que prévu : 15 à 20 dollars de l’heure, après commission.

« La plupart du temps, on faisait de la modération sur des conversations entre utilisateurs et l’intelligence artificielle. On devait noter si l’IA avait bien répondu aux questions des gens, si elle avait bien respecté les chartes éthiques de l’entreprise, s’il n’y avait pas de discours de haine, de propos discriminatoires, de conseils pouvant porter atteinte à la vie en général… On devait aussi pousser l’IA dans ses retranchements, tester les failles. Par exemple, si on lui demande comment fabriquer une bombe, elle doit nous répondre que c’est interdit. »

Mais Josse est motivé : il en va de sa survie matérielle pour sa première année à l’université, son rêve de gosse. Alors il ne compte pas ses heures, empile des dizaines de tâches par jour,,jongle avec les réponses de l’algorithme. Il charbonne, tout l’été, sur la plateforme, sans prendre de vacances. Quand son nouveau solde affiche un peu plus de 1300 dollars, il décide de retirer cet argent. Sauf que son compte est bloqué. Toute trace de son travail sur DataAnnotation a disparu.

Son argent aussi.

« J’étais sous le choc, surtout qu’il n’y avait aucune explication. Toutes mes tâches avaient été validées par les clients, il n’y avait pas de problème particulier. J’ai eu beau écrire plusieurs mails à la plateforme, elle ne m’a jamais répondu. J’en ai parlé à des étudiants en droit à la fac, qui ont demandé à leurs professeurs. Ils ont dit qu’il n’y avait pas grand-chose à faire juridiquement. Que j’étais dans la merde… Il n’y a aucun contrat qui nous relie à la plateforme, pas de garantie, juste des conditions générales d’utilisation qu’on doit accepter pour accéder aux tâches. En fait, on est considérés comme des clients, pas des travailleurs. Comme j’ai pas les moyens de prendre un avocat, j’ai compris que j’étais foutu. »

[…]

Découvrez cette enquête passionnante dans le numéro de Fakir n°118 ou en ligne (accès payant) : Dans l’enfer de nos esclaves numériques