Éoliennes sans concertation locale

Publié le 17 octobre 2023

Vienne‑en‑Bessin, Calvados, 25 juillet 2023

Au bout d’une impasse, à la sortie du village, Christophe Triboulet m’attend de pied ferme. Ici et là, dans le village, autour de l’église du XIe , les pancartes fleurissent, sur les palissades :« Non aux éoliennes ! »

« J’ai emménagé dans ce moulin à eau en 1986, et un an plus tard je produisais ma propre électricité. En 2007, j’ai fait poser des panneaux photovoltaïques. Alors les énergies renouvelables, je ne suis pas contre : ça fait plus de 35 ans que je les touche du doigt ! » Pourquoi, alors ? Il y a la visibilité, bien sûr, pour les voisins. Mais Christophe évoque un autre point. « Tout ça, c’est qu’une histoire d’argent », il peste. « Tout ce qu’ils veulent, c’est faire du fric, des dividendes. Les marchands d’éoliennes comme Vensolair ne viennent pas ici par hasard. Leurs commerciaux ont tous une carte de ce genre, où sont délimitées les zones à plus de 500 mètres des habitations. Regarde, c’est tout ce qui est en bleu… » Sur la plaquette commerciale du promoteur, Christophe me montre une grande croix, ces endroits où sont autorisées les installations, entre le Manoir, Vienne‑en‑Bessin, Sommervieu, Ryes et Bazenville. « Les mecs font du porte‑à‑porte à toutes les mairies éligibles pour proposer une simple étude de faisabilité. Au Manoir, le maire s’est laissé endormir par un commercial efficace. Ils ont réussi à l’appâter avec de l’argent. Ils se donnent du mal, avec les jolies plaquettes, l’antenne de comptage, etc. Une fois le projet vendu, ils vont lancer un appel d’offres ou faire travailler des groupes étrangers comme Iberdrola ou General Electric. Ce sont juste des vendeurs de salade ou de soupe, ou de ce que tu veux. Ils arrosent tout le monde pour arriver à s’implanter. »

Ce point m’éclaire un peu, moi, le béotien : le manque de retombées locales. De concertation locale. Et on ne pourra pas suspecter Christophe d’avoir le profil du militant écolo. « Moi, pourtant, je suis un capitaliste. J’ai monté des sociétés dans la restauration, l’immobilier, les fruits et légumes, le forage d’eau… Mais j’estime que l’humain a quand même sa place. Et là, l’humain, on n’en a rien à faire. » Un manque de débats, de projets menés de concert, impliquant les citoyens. Des profits qui partent on ne sait où, alors que l’énergie est produite localement. Sur les éoliennes « bien sûr, il peut y avoir des oppositions », explique Anne Debrégeas, économiste de l’énergie. « Mais parfois, les habitants ont le sentiment qu’un projet ne va rien leur apporter. À Saint‑Brieuc, par exemple, une entreprise locale candidatait. Le marché a été donné à Iberdrola, une grosse entreprise espagnole… »

Jean‑Christophe, aux Monts d’éole (projet dans le département du Rhône), avait fini par en arriver à la même conclusion, lui aussi, finalement. Bien sûr, il y a les « tourbières », les « zones humides ». Mais bon, « c’est pas d’avoir une éolienne en face de ma fenêtre – ça, je m’en fous, mes tilleuls vont me cacher la vue ». Ce qui le fout en rogne, par‑dessus tout, c’est de ne pas avoir son mot à dire, sur l’emplacement, la gestion, le devenir d’un parc d’éoliennes. Un sentiment de déclassement démocratique. Et que ce soit un grand groupe, au final, qui rafle la mise. « Ici, c’est Hanwha, un groupe coréen. Et avec les renouvelables, ils se rachètent une virginité environnementale, soupire Jean‑Christophe. En 2014, ils ont acheté Samsung General Chemicals, qui fabrique de l’éthylène à partir de la distillation du pétrole. Un truc bien polluant à tous les niveaux. D’ailleurs, ils nous ont dit qu’une fois les éoliennes construites, ils revendraient leurs parts à des fonds de pension. Pendant que ce temps‑là, nous on est dans la rue pour défendre nos retraites… » Hanwha Solutions : le patronyme ne vous dit rien, on parie. L’ancien nom de la société, « Korea Explosives », est déjà plus évocateur. Mais la production de nitroglycérine et de dynamite, qui a fait son succès dès les années 50, est loin d’être la seule spécialité du géant sud‑coréen.

Comme tout conglomérat à plusieurs dizaines de milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, Hanwha s’est diversifié dans à peu près toutes les activités lucratives possibles et imaginables : hydrocarbures, défense, immobilier, bâtiment, hôtellerie, finance, assurance et même aérospatial. Depuis 2010, le groupe a aussi investi massivement dans les énergies renouvelables, d’abord dans le solaire. Et en France, sa filiale Q Energy compte déjà à son actif plusieurs projets éoliens dans le Nord, en Côte‑d’Or, dans la Drôme et la Vienne. Mais le mélange des genres ne semble gêner personne, sauf parmi les riverains des trois communes où doivent être implantées les six éoliennes. Jean‑Christophe écarte les bras, l’air désabusé. « Le vent, c’est une ressource naturelle, gratuite et locale. Pourquoi l’offrir sur un plateau à un groupe asiatique qui fait dans la pétrochimie, l’armement et les explosifs ? »

Mon mystère s’éclaircit, du coup…

💨 L’intégralité du dossier, Les voleurs de vent, est à retrouver dans le dernier Fakir, en kiosque ou en ligne ! Un dossier de Cyril Pocréaux et Camille Vandendriessche.

Explorez Grand-Format
par thématique.

Découvrez Petits formats, la newsletter gratuite de Grand-Format.

Une fois par mois, des articles courts pour faire le tour de l’actualité en Normandie.

En savoir plus