La Préfecture du Calvados s’est engagée à faire cesser toute occupation illégale dans le Calvados. La répression s’accroit sur les squats, tandis que toujours plus de personnes dorment à la rue à Caen, dont des enfants.
Le 16 octobre, la préfecture du Calvados a évacué le dernier grand squat de Caen, dans les anciens locaux de la Chiffo, une association de recyclage de vêtements, dans le quartier de la Demi-Lune. Il était occupé depuis bientôt un an par une soixantaine de personnes, dont une vingtaine d’enfants, partis à l’école à l’heure de l’expulsion et qui n’allaient pas retrouver leur « maison » le soir venu. Une quinzaine d’entre eux ont tenté de s’installer quelques jours plus tard dans une maison vouée à la démolition dans le cadre des travaux du tramway, dans le centre-ville. Ils ont été évacués par les forces de l’ordre (qui ont défoncé la porte à la masse, voir l’article de Ouest-France) le 23 octobre. Le 26 octobre, un nouveau squat ouvre à Giberville, qui héberge une femme et ses trois enfants, expulsés d’un précédent logement fin août.
Un squat ferme, un autre ouvre : ça pourrait ressembler au jeu du chat et de la souris, sauf qu’il s’agit de vies cabossées, trimballées, d’enfance maltraitée. Un feuilleton sans grand suspens relaté dans la presse locale depuis des années, mais qui s’intensifie. Depuis quelques mois, la Préfecture semble bien décidée à faire cesser toute occupation illégale, comme le constatent les membres de l’AG de lutte contre les expulsions, qui milite depuis douze ans sur l’agglomération caennaise pour occuper les logements vides que l’Etat refuse de réquisitionner. Selon le décompte de l’AG de lutte, « dix appartements, six maisons et deux maisons du collectif de Lisieux » sont encore aujourd’hui occupés. Une dizaine d’évacuations ont eu lieu depuis le début de l’été.
« Plus aucune occupation illégale » pour la Préfecture
La répression s’est-elle effectivement durcie ? Oui, estime Maitre Clément Cavelier, avocat spécialisé dans les expulsions à Caen, qui constate une utilisation de plus en plus fréquente de l’article 38 de la loi Dalo, « qui permet à la préfecture de prendre un arrêté de mise en demeure de quitter les lieux sous sept jours. » Cette accélération de la procédure est l’un des objectifs de la loi Kasbarian, promulguée en 2023, dite « loi anti-squat », qui renforce la protection des propriétaires contre les squats. « Auparavant, la procédure classique voulait que le propriétaire aille devant le tribunal judiciaire pour demander une expulsion. Celle-ci était en général accordée après un délai plus ou moins long, selon la situation des occupants (familles avec enfants, situation irrégulière qui exclue l’accès aux dispositifs d’urgence…) et du projet immobilier sur le bien en question, poursuit l’avocat. Il se passait en général un délai minimum de deux mois avant de prononcer l’expulsion qui permettait alors au propriétaire de solliciter la préfecture pour demander l’intervention des forces de l’ordre. »
Avec la loi Kasbarian, le propriétaire peut saisir directement le préfet, sans passer par la voie judiciaire, et ce pour tout type de local qu’il soit d’habitation, commercial, agricole ou professionnel. « Il n’y a plus de procédure contradictoire devant un juge qui permet d’accorder un délai avant expulsion ou le bénéfice de la trêve hivernale (qui ne s’applique pas pour une occupation illégale, ndlr). »
Cet été, quatre maisons appartenant au bailleur social CDC Habitat, ont été évacuées sur le Plateau à Colombelles. Des maisons vides, qui étaient occupées par des familles, pour la plupart expulsées de l’ancien Ehpad de la Feuilleraie, à quelques centaines de mètres. Pourtant au moins l’une de ces maisons, qui abritait une femme seule avec quatre enfants, scolarisés sur le quartier, bénéficiait d’une autorisation d’occupation temporaire accordée par le tribunal judiciaire, en reconnaissance d’une situation d’urgence. Mais le tribunal administratif a autorisé la Préfecture à expulser, en vertu de l’article 38. « On a un juge qui dit oui, elle peut rester, et un juge administratif qui donne raison au préfet de passer outre la décision de justice. C’est la première fois que ce cas se produit à Caen », explique Maitre Cavelier qui a soumis la question au Conseil d’Etat.

Le 115 est saturé : il n’y a plus de places d’hébergement d’urgence
Lors de l’évacuation du squat de la Chiffo en octobre dernier, la Préfecture a justifié que le maintien du squat aurait « engagé la responsabilité pécuniaire de l’Etat vis-à-vis du propriétaire, dans un contexte où les deniers publics doivent aller avant tout au renforcement de l’offre d’hébergement dans le Calvados. » Maitre Cavelier explique qu’en effet, un propriétaire qui a sollicité la préfecture pour obtenir l’expulsion d’un squat, si celle-ci n’est pas engagée, pourrait se tourner vers le tribunal administratif pour demander une indemnité de préjudice à l’Etat.
Le problème, c’est que les économies réalisées en libérant le squat, ces fameux deniers publics, sont très peu mis à contribution de l’hébergement dans le Calvados. La résiliation du marché de l’hébergement d’urgence avec accompagnement social par le ministère, en avril 2024, a provoqué la perte de 500 places. 159 places ont été reconstituées suite à l’intervention à l’Assemblée nationale du député socialiste Arthur Delaporte et un nouvel appel à manifestation d’intérêt va permettre d’ouvrir une centaine de places supplémentaires. Mais le compte n’y est pas, alors que le nombre de sans-abris s’accroit.
« Dans le Calvados, chaque semaine, en moyenne, on compte 1 025 appels au 115 », le numéro d’urgence des sans abris, a alerté la sénatrice Corinne Féret, lors d’une question ouverte au Sénat le 23 octobre dernier. « L’hébergement d’urgence est saturé que ce soit l’hébergement généraliste (1 478 places), l’hébergement des demandeurs d’asile (1 316 places) ou l’hébergement des réfugiés (104 places). Des ménages avec enfants de moins de trois ans, des femmes en situation de grossesse ou encore des personnes victimes de violences se retrouvent ainsi régulièrement sans solution, ce qui n’est pas admissible. »
300 personnes à la rue à Caen dont 80 enfants
Rappelons que l’hébergement est un droit inconditionnel et qu’il est contraire aux droits de l’Homme de laisser une personne à la rue, et ce quels que soient son âge, son genre, son statut administratif ou les raisons qui l’ont conduite dans une telle situation. Comme le souligne l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles : « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ».
Les associations estiment que 300 personnes dorment à la rue chaque soir à Caen et alentours, dont 80 enfants. Même les plus précaires, ceux qui dormaient sous tente sur la Presqu’ile de Caen, ont dû quitter les lieux. Le constat est alarmant, à quelques jours de l’hiver.

« Il faut réquisitionner des logements », disent des élus
Ne pas rester impuissant et spectateur d’une « situation inadmissible ». C’est ce qui a poussé Damien de Winter, maire communiste de Giberville et conseiller communautaire, à appeler à un premier rassemblement devant la Préfecture du Calvados le 5 septembre, reconduit depuis, avec cet appel : « Trop d’enfants dorment à la rue ». Quelques jours plus tôt, il avait cherché en vain une solution pour une mère et ses trois enfants qui n’avaient pas de toit pour passer la nuit. « Au 115, on m’a répondu qu’il n’y avait pas de place », explique l’élu.
Aux côtés d’Arthur Delaporte, député PS de la deuxième circonscription du Calvados, de Rudy L’Orphelin, conseiller municipal écologiste d’opposition à Caen par ailleurs candidat de gauche aux municipales 2026, des maires de Louvigny, Fleury-sur-Orne, Colombelles et Bénouville, ainsi que plusieurs conseillers départementaux, ils entendent « rappeler à l’État qu’il s’agit de sa responsabilité ». Les élus cosignent une tribune qui sera remise à l’Assemblée nationale. « Il faut des réquisitions de logements, fustige Damien De Winter. Que le préfet fasse un plan famille d’hébergement d’urgence, calqué sur le plan grand froid, lorsque l’on est capable d’accueillir des personnes à la rue en plein hiver. »
Damien de Winter a réussi à mettre le sujet à l’ordre du jour de la conférence des maires : un état des lieux des logements disponibles dans l’agglomération va être lancé. Et ces élus ont des pistes : l’ancienne caserne militaire Koening à Bretteville-sur-Odon, propriété de Caen la mer, qui a déjà accueilli des réfugiés ukrainien. Ou encore des logements de fonction inoccupés dans les collèges du département. « Régulièrement, on est informés de situation d’enfants scolarisés dans un collège où un appartement est vide alors qu’eux-mêmes n’ont pas de logement. C’est aberrant ! », critique Alexandra Beldjoudi, membre de l’opposition au conseil départemental du Calvados.
Marylène Carre