Des bombes à retardement sous la mer

Publié le 24 septembre 2022

Des munitions, des épaves pleines de carburants fossiles ou de cargaisons dangereuses gisent au fond de la mer. Malgré des opérations de dépollution ponctuelles, le risque environnemental est effrayant. Deux enquêtes de Basta et Enquêtes d’Actu alertent sur ces pollutions, notamment au large des côtes normandes.

À quinze kilomètres au large du cap de la Hague, un effondrement du plateau continental sous la mer a créé la Fosse des Casquets. La profondeur y atteint 160 mètres. Et c’est dans ce «trou» que se sont accumulés pendant des années des déchets toxiques: des munitions de la seconde guerre mondiale, des déchets chimiques et radioactifs. C’est dans cette zone qu’a coulé en 1993 le porte-conteneurs Sherbo et ses conteneurs d’insecticide, et en 2000 le chimiquier italien Ievoli Sun. Tous les ans, de 1949 à 1966, le Royaume-Uni et la Belgique y ont déversé leurs déchets radioactifs. Les pêcheurs de la Manche ont longtemps remonté des grenades et autres caisses de munition dans leurs filets. Souvent, ils les ont rejetés plus loin, pour ne pas ternir la réputation de leur pêche. Sea Shepherd estime que la Fosse des Casquets est «l’une des plus grandes décharges sous-marines qui existent.»

Carte des décharges sous-marines de munitions issues de l’Atlas de la France toxique, réalisé par l’association Robin des bois en 2016 (Ed. Arthaud).

Un «désastre environnemental»

Mais elle est loin d’être isolée. Les fonds sous-marins regorgent d’épaves de navires de guerre, cargos, pétroliers, chimiquiers, avions, bateaux de pêche, munitions, obus abandonnés. Pour chacune des deux guerres, on estime à 2 500 le nombre de bateaux envoyés par le fond. Le temps et la corrosion les ont transformés en bombes à retardement. «On arrive aujourd’hui à un stade critique où les épaves risquent de laisser échapper ce qu’elles contiennent encore», estime Charlotte Nithart, porte-parole de l’association Robin des Bois.Des substances nocives telles que le plomb, mercure, gaz et liquides toxiques, nitrates, phosphores, batteries, amiante, peinture… «Sans action de dépollution, des scientifiques prédisent undésastre environnemental», insiste Sea Shepherd.

La carte du Service hydrographique et océanique de la Marine (Shom) recense les nombreuses épaves le long du littoral français (ainsi que les roches sous-marines et les obstructions).

40 engins explosifs neutralisés chaque semaine

Après les guerres mondiales, les cargos, pétroliers et chimiquiers naufragés sont venus agrandir les décharges sous-marines. Selon Charlotte Nithart, de Robin des bois, on ne pourra certainement jamais établir un «inventaire exhaustif». Les travaux préparatoires des futurs fermes éoliennes offshore risquent de découvrir encore de nouveaux sites, comme les 2 000 munitions repérées lors de la construction de Port 2000 au Havre. Au quotidien, c’est la Marine nationale qui est chargée de surveiller les épaves. En réalité, vu la masse d’épaves, leur localisation souvent inconnue et les faibles moyens attribués à cette tâche, l’action de la Marine ne peut être qu’une réaction à des pollutions très visibles. Les plongeurs démineurs de la Marine nationale neutralisent en moyenne 2 000 engins explosifs chaque année, soit 40 par semaine. Une lutte sans fin, quand chaque tempête, chaque marée découvre de nouvelles décharges.

Lors du Grenelle de la mer de 2009, Robin des Bois avait obtenu l’engagement du gouvernement de consolider l’inventaire des décharges sous-marines, de réaliser des analyses sur la faune, la flore et les sédiments, de dépolluer et sécuriser les épaves potentiellement polluantes et dangereuses. «Tout cela est resté lettre morte, faute de directives claires des gouvernements successifs et de financements», déplore l’association. Se saisir réellement du problème nécessiterait d’agir davantage, comme la Norvège, seul pays européen qui a commencé le pompage des huiles et d’autres matières toxiques des navires se trouvant au fond de ses eaux.

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