Un jeune footballeur talentueux vient de voir son avenir professionnel brisé une seconde fois, à un an d’intervalle. Le 24 février 2022, c’est l’invasion russe en Ukraine qui l’empêche d’intégrer le club Vorskla, à Poltava. Le 22 février 2023, c’est une obligation de quitter le territoire français prononcée par la préfecture de la Manche qui menace de ruiner définitivement des années d’engagement dans le foot. C’est que Clinton Chalokwu est nigérian. Et il a beau avoir quitté l’Ukraine à cause de la guerre, il ne bénéficie pas de la protection que l’Europe a réservé aux Ukrainiens.
Clinton Chalokwu devait signer son contrat de footballeur professionnel, dans l’équipe des moins de 19 ans, avec le Fubolny Klub Vorskla, de Poltava, le 28 février 2022. Quatre jours plus tôt, il découvre la guerre sur son téléphone: «Un ami nigérian qui était resté au centre de formation de Kiev m’a dit qu’il entendait des bombardements.» Le jeune footballeur recruté à Lagos par l’agence ukrainienne Pelican voit son rêve voler en éclats.
A trois jours d’un club de 1ère division
Tout s’était bien passé pourtant, depuis son atterrissage à Kiev, fin octobre 2021. Après deux mois de formation, il avait été sélectionné par ce club de première division situé dans l’est de l’Ukraine, à 150 km de la frontière russe.
L’année qui s’ensuit est une suite de coups durs. Après deux trains bondés de réfugiés, «surtout des mères avec les enfants», une étape hongroise puis parisienne, il arrive à Cherbourg. «Avec mon copain on avait choisi le pays qui avait gagné la coupe du Monde et on nous avait dit que ce serait plus facile qu’à Paris, pour les papiers.»
L’adolescent est pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance du conseil départemental de la Manche et logé à Saint-Lô, en foyer, pendant presque trois mois. «Je ne faisais que manger, dormir, manger, dormir, je ne pouvais rien faire d’autre, ni foot, ni école, ni français, ni papiers», regrette Clinton, aussi sombre, à l’évocation de cette solitude extrême, qu’il était joyeux en racontant ses sélections successives au Nigeria puis en Ukraine.
Fan de foot depuis l’âge de 5 ans, il a été remarqué dès ses 11 ans pour ses qualités de jeu. Mais il fallait convaincre ses parents, «mon père surtout», et «faire de mon rêve un vrai projet». Ses parents, commerçants sur le marché, n’avaient pas les moyens. Quand Pelican le sélectionne, avec trois ou quatre autres parmi 200 jeunes, c’est un ami de sa sœur qui permet de transformer l’essai en finançant l’aventure jusqu’à l’Ukraine.
Mineur, décrété majeur, redevenu mineur
Le passeport de Clinton mentionne bien sa date de naissance, le 2 novembre 2004, mais le service départemental décide de vérifier son âge. Le 9 juin 2022, le verdict tombe: Clinton est déchu de sa minorité et exclu du foyer, sans un sou et avec un ticket de bus. «C’était fou, tellement étrange, je ne comprenais même pas pourquoi ils ne voulaient pas croire que j’étais né en 2004! Je sais mon âge, quand même!», s’exclame le jeune homme, entre ironie et abattement.
Un couple vivant à côté de Coutances, Line et Yannick Rott, l’accueille alors et engage un recours. Le tribunal pour enfants de Coutances infirme la décision du Département et rend sa minorité à Clinton le 17 octobre. Soit quinze jours avant ses 18 ans.
Commence alors la demande de titre de séjour, et la recherche d’une formation d’animateur en club. Car le FC d’Agon-Coutainville, où il joue depuis l’été, est prêt à le prendre en apprentissage. « Ça devait commencer en janvier, mais on attendait son titre de séjour, explique Pierre Bellée. Le co-président du club manchot ne comprend pas «pourquoi la préfecture ne tient pas compte qu’il est arrivé légalement sur le sol européen avec un visa et tout!Pour nous, c’est une très bonne recrue. Et il travaille bénévolement avec nos jeunes, il est très apprécié. C’est très dur pour lui, moralement. C’est normal qu’on lui file un coup de main», conclut Pierre Bellée, évoquant la pétition qui a atteint plus 3800 signatures en moins de 48h.
Le 20 février dernier, Clinton a retrouvé espoir en ouvrant l’enveloppe reçue du Conseil départemental de la Manche: le Djim, un dispositif d’aide à l’insertion dédié aux jeunes, lui était accordé «jusqu’au 30 septembre 2023, renouvelable». Un dispositif «qui prévoit justement une aide à la régularisation», souligne, avec une certaine amertume, Line Rott.
Le 22 février, c’est un recommandé de la préfecture, avec une OQTF à l’intérieur, qui arrivait chez les Rott à son intention. Clinton a sollicité une avocate pour faire appel de cette décision, appuyé par les quatre associations d’aide aux réfugiés de Coutances.
Le collectif 50 pour les droits des étrangers appelle à un rassemblement place Saint-Nicolas à Coutances samedi 4 mars à 14h.
Isabelle Bordes