Corset de papier : une histoire de la presse féminine

Publié le 30 mars 2022

La bonne épouse, la bonne mère, la bonne ménagère, une sorte de femme totale : voilà ce que donnent à voir les magazines féminins depuis qu’ils existent. Docteure en littérature et langue française et enseignante à l’université de Caen, Lucie Barette publie Corset de papier, une enquête historique et sociale sur la presse féminine.

Qu’est ce qui vous a motivée à écrire ce livre ?

Au départ, il y a une interrogation. Je feuillette des magazines féminins, j’en achète même. Pourtant, je ne me souviens pas d’en avoir lu un en entier. Pourquoi, alors, si je ne les lis pas? D’où me vient ce réflexe ? Des salles d’attentes des cabinets médicaux? Une forme d’habitude? Voilà qui dédouanerait ma culpabilité d’avoir envie d’être une aussi «bonne» femme que celle que j’y trouve, de chercher à décrypter les codes de l’idéal, les caractéristiques du modèle pour m’assurer d’en adopter quelques-unes.

« Etre une femme n’est pas un choix, encore moins un loisir. »


Ces magazines sont faits, pensés, écrits pour moi, pour nous. Ils nous montrent, nous représentent, ils sont des magazines «féminins» et je suis une femme, je suis donc censée m’y retrouver. C’est tout de même étrange parce que je n’ai pas l’impression qu’être une femme est un de mes choix, encore moins un de mes loisirs. Que disent ces journaux des femmes qui les lisent? Si j’ouvrais le Marie-Claire de ma mère, le Femme Actuelle de ma grand-mère, y trouverais-je leurs doutes, leurs enthousiasmes, leurs curiosités, leurs aspirations? Et avant, il y a un siècle?
Ce qui me motive, c’est de trouver et fournir des clés de compréhension sur la survie du patriarcat, malgré les luttes qui cherchent à le remettre en question.

Pour comprendre comment ce «corset de papier» s’est formé, vous avez eu besoin de revenir au moment où émergent les codes de cette presse spécialisée, à partir des années 1830. Qu’avez vous découvert en décortiquant ces magazines féminins ?

Je crois que la découverte qui m’a le plus interpellée c’est le fait qu’il y ait si peu de différences entre ces magazines du milieu du XIXe et ceux du XXIe siècle. Je pensais que les canons de beauté avaient évolué, que les normes sociales aussi… mais en fait, non, pas tant que ça.

Qu’est ce que ça dit de la place de la femme ?

La Femme (en tant que modèle unique) est un idéal inatteignable, elle est constamment censée faire pardonner la transgression ultime (celle d’Eve, qui a choisi la connaissance plutôt que l’obéissance) et donc toujours être en train de démontrer qu’elle s’essaie à l’atteindre, notamment en se soumettant aux nombreuses contraintes et injonctions domestiques. Les femmes, dans leur diversité, sont assez invisibles. On sait qu’elles travaillent, qu’elles échangent, qu’elles militent, mais elles ne sont pas encore assez implantées dans notre savoir historique.

Paradoxalement, la presse féminine à cette époque est aussi un espace d’émancipation?

Au XIXe siècle, les femmes, déjà privées de citoyenneté, n’ont pas le droit d’écrire sur la politique, la guerre ou la bourse. «Journaliste» est un métier d’hommes. Rares sont celles qui peuvent écrire dans la presse généraliste, sinon la chronique mondaine, déco ou mode. L’espace médiatique ouvert par l’essor de la presse féminine est donc un lieu où s’expriment celles qui ne peuvent le faire par ailleurs, et où elles élaborent des tactiques d’émancipation: figures de style, fictions et écritures intimes pour aborder des questions sociétales comme le divorce… Mais dans l’ensemble, cette presse féminine est le miroir d’une société bourgeoise et conservatrice cloisonnant la féminité dans le dévouement aux hommes, seuls au pouvoir.

Quels sont les traits communs avec la presse féminine actuelle ?

Les normes concernant le corps sont tout à fait similaires : la jeunesse (dans Biba, au début du mois de mars, il fallait atteindre un « teint juvénile », on trouve déjà des encarts publicitaires promettant la disparition des rides et des marques du temps sur la peau dans des journaux du XIXe siècle), la blancheur, la maigreur…
Il existe aujourd’hui une presse féministe alternative, mais on ne la trouve toujours pas dans les salles d’attente!

Pourquoi les lignes ont-elles si peu bougé ?

Je crois que les lignes ont peu bougé, parce que dès l’ancrage dans l’ère capitaliste du marché de l’imprimé, on s’est rendu compte que ça marchait, que ça faisait rentrer de l’argent. À mon avis, en maintenant des injonctions très fortes concernant le corps des femmes et leur fonction sociale (bonne mère, épouse, maintenant girlboss), on encourage leur consommation de produits destinés à les soutenir dans leur quête (impossible, rappelons-le) du modèle idéal.

Corset de papier, Editions Divergences, 136pages, 15€.

Propos recueillis par Marylène Carre

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