À Rouen, Au café couture, le tricot rime avec apéro, les machines à coudre servent à tisser du lien social et à raccommoder toutes les couches de la société.
Sur la vitrine, deux lycéennes ajustent une fleur en tissu. « On veut attirer les gens », disent-elles, concentrées. Léna et Louane, en stage, apprennent ici les gestes de la couture et la vie d’un atelier dans lequel se croisent bénévoles, élèves, artistes et habitués. Le projet est d’abord né comme une entreprise, mêlant boutique de tissus, mercerie et cours de couture. Rapidement, la gestion du lieu devient trop lourde pour l’ancienne propriétaire. L’association «Au café couture» est née afin d’intégrer des bénévoles et d’élargir l’équipe de couturières. Une bascule qui permettra au lieu de s’enraciner durablement dans le centre-ville de Rouen.
La majorité des personnes qui franchissent la porte cherchent à apprendre : couture, tricot, crochet. Les cours, limités à cinq participants, favorisent un climat d’entraide. « C’est un endroit où l’on vient pour acquérir un savoir-faire et pour rencontrer d’autres personnes », explique Justine Perdrix, professeure de couture et bénévole.
Un apéro-tricot mensuel, un troc-party tous les deux mois, des vernissages dans lesquels chaque artiste local trouve sa place sur les murs du café. Ce sont autant de prétextes pour que les habitants se rencontrent, échangent un vêtement, une technique, une boisson, un sourire.

« Tout le monde est au même niveau »
Dix bénévoles se partagent les responsabilités dans une gouvernance collégiale où « tout le monde est au même niveau ». Pas de président ni de trésorier officiel, mais des commissions (communication, comptabilité, événements) animées par binômes selon les compétences et les envies.
À l’arrière du local, l’atelier déborde de patrons, de tissus, de dons récupérés chez des grand-mères disparues. Des boutons entassés dans des bocaux, des rouleaux de ruban, un coin de repassage un peu désordonné: « On ne dit jamais non », sourit Justine, même si l’espace déborde parfois. L’association achète peu : surtout du fil et du matériel d’entretien pour les machines.
Sur une des tables, Karine termine une blouse avec une des grandes machines à coudre blanches. La sienne est tombée en panne « en plein milieu du projet ». Alors, elle en loue une. Un tissu glisse sous son aiguille, trop fin, capricieux. « C’est comme un premier flirt : on ne se connaît pas encore », plaisante-t-elle en ajustant le fil.
200 nouveaux adhérents par an
Grâce à ses 11 années d’existence, l’association «Au café couture» s’est fait une place dans le paysage local. Elle participe à des événements comme le Festival de l’ESS – marché de Noël solidaire organisé par l’ARDES et la Ville de Rouen. Elle collabore aussi avec des centres médico-sociaux ou des structures locales pour proposer des ateliers extérieurs : fabrication de lingettes, bouillottes sèches, boudins de porte…
Avec environ 200 nouveaux adhérents par an, une cotisation annuelle de 12 € et plus de 5 000 abonnés sur Facebook, l’association est connue dans la métropole rouennaise et dispose d’une base solide. Les cours loisirs sont payants, avec des tarifs dégressifs selon la formule et un tarif réduit pour les personnes sous le SMIC. Les événements restent gratuits.
Mais c’est la formation professionnelle financée par France Travail, les Opérateurs de compétences (OPCO) ou la Région qui assure l’équilibre. Ces modules, proposés les lundis et mardis, s’adressent principalement à des personnes en reconversion. Une ressource essentielle mais aujourd’hui fragilisée par la baisse des financements publics.

Les cours rassemblent un public composé à 95 % de femmes. Des débutantes, des passionnées, des couturières chevronnées…, ainsi que des enfants dès 7 ans, des adolescents et des retraités. Les personnes viennent surtout de Rouen et de sa métropole, bien que les vernissages mensuels accueillent un public plus varié et plus mixte : curieux du quartier, habitués du café, amateurs d’art et voisins de passage.
« Au café couture » n’a jamais quitté ses locaux d’origine. Le propriétaire, « sympa », n’a presque jamais augmenté le loyer. Pourtant, l’association n’a pas été épargnée par les secousses. La pandémie a failli tout arrêter : fermetures répétées, élèves absents, lente reprise. « Ça a été compliqué, mais on s’en est sortis grâce à un noyau engagé », résume Justine. Des passants poussent la porte, intrigués par ce café qui regroupe des machines à coudre et des photos d’artistes. On découvre un lieu où l’on apprend avec précision comment créer ou réparer, mais également une manière plus collective et solidaire de faire.
Carolina Roatta