À la Maison des Adolescents, les salariés s’inquiètent du devenir de la prise en charge des jeunes

Publié le 22 décembre 2023

Mercredi 20 décembre, le personnel de la Maison des Adolescents (MDA) du Calvados était en grève. L’élément déclencheur ? Une réorganisation des services prévue par l’Acséa. Envahis par un « mélange de colère et d’incertitude », les salariés dénoncent le manque de communication de leurs supérieurs hiérarchiques.

La Maison des Adolescents du Calvados est-elle menacée ? C’est en tout cas ce que craignent ses salariés. Lancé nationalement au début des années 2000 par Bernadette Chirac, le dispositif vise à répondre à l’inexistence de structures adaptées pour la prise en charge des adolescents en état de souffrance. Et c’est en 2006 que la Maison des Adolescents du Calvados s’est installée dans le centre de Caen. Dans ses locaux, infirmiers, éducateurs spécialisés, médecins et psychologues travaillent ensemble pour offrir un soutien psychologique auprès des 1600 jeunes accompagnés par la structure, en détresse psychologique, qui ne vont plus à l’école, sujets à la scarification, rencontrant des problèmes à la maison ou encore touchés par des troubles du comportement alimentaire.

Cet accompagnement se fait notamment par le biais de trois espaces: un espace accueil évaluation qui vise à apporter un premier niveau de réponse rapide ; un espace accompagnement et soutien pour accompagner et soutenir les projets des jeunes; et un espace prévention ressource dont l’objectif est d’aider l’ensemble des acteurs départementaux intervenant auprès d’adolescents et de leurs parents.

En plus de ces trois espaces déployés à la Maison des Adolescents socle, la MDA dispose d’un Centre Médico-Psychologique (CMP), d’une équipe mobile, d’un hôpital de jour et d’un hébergement thérapeutique, un lieu ressource permettant une séparation partielle avec le milieu usuel afin de favoriser un apaisement psychique.

Son originalité, la MDA la puise dans son organisation un peu particulière. La structure a été fondée par deux associations : l’Acséa (Association Calvadosienne pour le Sauvegarde de l’Enfant à l’Adulte) et l’Établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen. Une association, Passado14, a ensuite été créée pour gérer la Maison des Adolescents. La MDA s’est construite une philosophie propre : travailler ensemble avec une complémentarité des approches. « Ce qui fait notre force auprès des jeunes, c’est notre contenance et la continuité de l’accompagnement que permettent les liens entre les professionnels et les différents services de la MDA », affirme un salarié. Mais selon les 50 personnes présentes à la grève de ce mercredi, tout semble sur le point de changer.

Une réorganisation interne qui interroge

Il y a quelques mois, la direction générale de l’Acséa a fait part de son souhait de réorganiser les services de la Maison des Adolescents dans l’objectif de clarifier administrativement et juridiquement son fonctionnement. Ainsi, le 20 octobre dernier, les salariés de la MDA ont appris le départ de trois de leurs collègues vers d’autres structures appartenant à l’Acséa. À ce jour, les salariés de la MDA ne savent toujours pas si leurs collègues seront remplacés.

Par ailleurs, certains salariés craignent de changer d’employeur, de l’Acséa à Passado 14. C’est le cas notamment d’Alma, infirmière à l’espace accompagnement et soutien. Selon elle, ce changement ne serait pas sans conséquences. Passado 14 ne dispose d’aucune instance représentative et n’a pas d’accords d’entreprise à la hauteur de ceux obtenus par les salariés de l’Acséa. Alma craint de perdre certains avantages proposés par son employeur et de voir son salaire diminuer.

Plus largement, c’est la peur de l’isolement qui domine. Cette réorganisation est en effet accusée de fragiliser la structure et de couper les liens entre les professionnels et les différents services. «L’Acséa se désengage du plan humain et de la pérennité des postes», résume une employée.

« Plus on insécurise les professionnels, plus on insécurise l’accompagnement du public »

Si les salariés de la MDA manifestent une inquiétude quant à leurs conditions de travail, le devenir de la prise en charge alerte également. Cette réorganisation des services risque d’impacter la prise en charge des jeunes. « Plus on insécurise les professionnels, plus on insécurise l’accompagnement du public », estime un salarié. « Ce qu’on regrette, c’est que les décisions prises par la direction générale sont au nom de l’administration mais pas au nom des jeunes. Ils font leur taff mais sans concertation, sans se préoccuper de l’impact sur la prise en charge », appuie Pascal Guillemin, éducateur spécialisé à la MDA. Car « pour des jeunes déjà fragilisés, voir des adultes se succéder, ça peut être très insécurisant. Tout ce que montre l’Acséa pour l’instant, c’est un désintérêt global pour le soin et le soin psychique, surtout quand on sait à quel point il y a du mal-être chez les jeunes », explique Emélie Tarjus, psychologue à la MDA.

En effet, depuis la crise de la Covid-19, les professionnels de la santé psychique témoignent d’une «situation de plus en plus dégradée et lourde». Par exemple, selon Santé Publique France, parmi les jeunes de 17 ans, 9,5 % étaient concernés par des symptômes anxio-dépressifs sévères en 2022 contre 4,5 % en 2017 et 18 % ont eu des pensées suicidaires dans l’année.

«On ne nous explique pas grand-chose et on a du mal à faire confiance»

C’est donc pour exprimer leurs craintes et leur mécontentement qu’une cinquantaine de salariés de la Maison des Adolescents étaient réunis ce mercredi matin. Au bout d’une heure de grève, les salariés et professionnels de santé se sont exprimés auprès du directeur général de l’Acséa et du directeur de l’EPSM dans l’espoir d’obtenir des réponses. Car si les salariés dénoncent la réorganisation, ils pointent également du doigt un certain manque de communication. « On a du mal à comprendre vraiment ce qui va se passer », explique Mylène Manjoin, éducatrice spécialisée à l’hébergement thérapeutique . «Même nous, on ne sait pas vraiment contre quoi on se bat, rebondit un de ses collègues. Ce n’est pas une fermeture mais on sait que ça va quand même nous mettre à mal. »

Ce mercredi matin, les réponses apportées par la direction de l’Acséa n’étaient pas à la hauteur des espérances. Dans les couloirs de la MDA, certains commencent à s’impatienter. « Ce qu’on a compris aujourd’hui, c’est qu’ils s’en foutent », lance une salariée. Pascal Guillemin, éducateur spécialisé, explique : « En gros, ils nous ont dit que cette réorganisation visait à clarifier, à rentrer dans les cases administrativement et qu’elle n’allait rien changer dans le fonctionnement. Mais ils n’ont pas répondu à nos interrogations pour autant ». Face à l’agacement, certains tentent de relativiser : « La direction générale est totalement fermée à la discussion alors on sait que notre grève ne va pas changer grand-chose. Mais au moins, c’est convivial. On a du café, de la brioche, c’est l’occasion de se retrouver et de discuter entre nous » conclut une salariée.

Pascal Cordier, directeur général de l’Acséa, parle d’un «grand quiproquo». Selon lui, cette réorganisation des services ne toucherait pas la Maison des Adolescents mais la Guidance, un autre service de l’Acséa. «Cela a très clairement été annoncé aux partenaires sociaux. Nous avons répondu à leurs inquiétudes par écrit en leur assurant qu’il n’y aurait pas de changement de tâche, de lieu de travail et de statut. Il n’y a pas de remise en cause de la Maison des Adolescents. Il ne s’agit pas de déconstruire ce qui est une réussite», affirme le directeur général. Il donne d’ailleurs rendez-vous à ses salariés en 2024: « Nous avons fait le choix de la preuve par l’action : au premier janvier, ils verront que rien ne va changer».

Lucie Feuillolay

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