Fin 2022 sonne la fin de mission pour les 31 éducateurs spécialisés du Service d’action préventive (SAP), qui interviennent auprès des jeunes dans les quartiers à Caen. Le Département a mis un terme à la convention avec leur employeur, l’ACSEA, pour reprendre la compétence en interne. Les salariés craignent l’abandon des jeunes qu’ils suivaient.
«Dans certains quartiers, il n’y a plus que nous et la police. Qui ira après nous?» Xavier (prénom d’emprunt) est éducateur spécialisé du SAP dans le quartier de la Guérinière, au sud de Caen, depuis sept ans. Son métier consiste à «aller à la rencontre des jeunes dans la rue, et aussi ceux qu’on ne voit pas, les invisibles, qui restent cloitrés chez eux. On parle de ce qui ne va pas, de leurs freins, de leurs qualités aussi. On essaie de les réanimer, de susciter l’envie, le désir. Il faut du temps pour ça, deux à trois ans avec chacun d’eux, pour tisser une relation de confiance et se parler vrai, même des choses qui fâchent.
J’ai toujours en tête que le tempo n’est pas le même dans le quartier que dans le monde extérieur. Ici, le temps est long, il s’étire. Tout prend plus de temps pour construire quelque chose. Mais on a réussi à monter avec eux des projets, des chantiers éducatifs. On les accompagne dans leurs démarches et leurs rendez-vous. On travaille sur le quartier avec les autres partenaires socio-éducatifs, les associations, la mission locale, la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse), le club de foot. Et même avec des partenaires à l’extérieur du quartier, parce qu’il y a un vrai problème de mobilité. À la Guérinière, il y a plein de jeunes qui n’ont jamais vu la mer. C’est de l’accompagnement global. On est trois éducateurs sur le quartier pour une centaine de jeunes.
«Je suis triste et en colère»
Parmi les grands principes de la prévention spécialisée, il y a la libre adhésion du jeune et l’anonymat. On ne transmet pas d’informations à la police, on ne surveille pas les feux de poubelle, ce n’est pas notre job. Aujourd’hui, je suis triste et en colère. Inquiet aussi pour les jeunes qu’on suit. On ne sait pas qui va prendre le relais, on ne sera plus là pour faire le passage de témoin. Ça peut mal se terminer pour eux, on sait qu’ils peuvent vriller à tout moment. Pendant le confinement, il y a eu rapidement de la tension, des tendances complotistes face à la situation. On est restés confinés chez nous pendant quinze jours, en maintenant le lien sur les réseaux, et on est repartis dans les quartiers avec des masques. Il fallait rassurer, apaiser.»