David Desclos n’a pas besoin d’inventer des histoires pour les jouer. Sa vie en est une. L’ancien cambrioleur, qui a grandi à la Pierre-Heuzé à Caen, s’est donné pour mission de réveiller «une jeunesse qui se gâche» avec un spectacle qui tourne dans toute la France.
Maison d’arrêt de Vannes, 20 juin 2023. Attendre qu’on lui ouvre une porte, il en a l’habitude. Combien de fois s’est-il retrouvé dans cette situation ? Le bruit des lourdes clés dans la serrure, une porte qui s’ouvre sur une autre porte. Une galerie qui mène à la cour de promenade, ceinte de hauts murs. Aux fenêtres, des barreaux et des rubans de linge qui volent au vent : ce sont les « yoyos » qui servent aux détenus à s’échanger des choses d’une cellule à l’autre. David Desclos ferme les yeux et se souvient.
Maison d’arrêt de Caen, centre de détention d’Argentan, Draguignan, Fresnes, Perpignan. Cambrioleur multirécidiviste, il a passé plus de dix ans de sa vie en prison. « Dix ans de perdu. Mais j’ai arrêté de regretter. Aujourd’hui, je me dis que j’ai une mission et je l’accomplis. » Son objectif ? « Provoquer des déclics dans la tête d’une jeunesse qui se gâche. Les gamins sont comme des graines. Si tu les arroses bien, elles éclosent au bon moment. Mais certaines n’ont pas eu cette chance et les graines n’ont jamais germé. Tous ensemble, avec les parents, les éducateurs, les flics, les juges, les politiciens, les victimes, les anciens détenus, toute la chaine, il faut qu’on se batte pour faire bouger les choses. Sinon demain, on ouvrira plus de prisons que d’écoles. »
L’Arsène Lupin des planches
C’est ce message que porte le spectacle qu’il joue depuis 2016, seul en scène: «Écroué de rire». Il a passé des années au mitard à écrire ses textes, peaufiner son idée, la tester devant ses co-détenus. «Un jour un vieux bagnard m’a dit:
– Elle est géniale ton idée, mais demande-toi si elle n’est pas utopiste.
– Pourquoi ?
– David, à qui profite le crime? Qui a intérêt à voir les prisons se vider? Tu crois qu’ils veulent moins de délinquance?
– T’es fou.
– Tu verras.
Depuis, je cherche à lui prouver qu’il avait tort. Je relève le défi.»
En cavale, David monte sur les planches des cabarets parisiens sous le nom de David PINLU. Il retrouve ses copains de la bande de Sarcelles, les rappeurs du Minister A.M.E.R. Passi et Stomy Bugsy, qui deviendra le metteur en scène de son spectacle. Par petits bouts, patiemment, avec ténacité, comme lorsqu’on creuse une galerie souterraine pour aller cambrioler une banque, il est parvenu à ses fins.
Conteur de banditisme sur scène
Son spectacle est à l’affiche chaque semaine au Jamel Comedy club à Paris et en tournée dans toute la France depuis deux ans, dans les quartiers, les écoles, les théâtres et les prisons. Toujours suivi d’un débat, souvent précédé d’ateliers. David a inventé sa formule: il se dit «conteur de banditisme sur scène». Il raconte sa vraie vie avec humour et second degré. Sur la scène nue, il fait surgir la prison, le parloir, la cour de promenade, la cellule de garde à vue, la cavale dans les rues de Caen, le périphérique et la tour du quartier, tous les protagonistes de sa propre vie. Il lâche des rafales avec un débit de mitraillette, toujours très fort, comme on imagine les échanges entre détenus et surveillants.
Alors quand il joue en prison, ça matche. La cinquantaine de détenus venus assister au spectacle à la prison de Vannes, dos au mur ou assis sur les quelques chaises en plastique, rient et applaudissent. C’est leur quotidien qui se joue. David s’est placé au centre de la petite cour de promenade. Il parle fort, mime chacune de ses histoires, se saisit d’une grille d’exposition pour imiter les barreaux de la prison. Les détenus n’en perdent pas une miette; ceux qui s’étaient mis en retrait se rapprochent. Et quand il les interpelle: «mettez votre culot, votre énergie, votre talent dans l’honnêteté», certains relèvent, «l’honnêteté?» et vont lui serrer la poigne à la fin du spectacle: «Bravo David, beau message!»
Découvrez la suite de cette histoire la semaine prochaine : Une jeunesse au parloir.