Septembre 2020

XR : les nouveaux rebelles de l'écologie

Texte : XR / Photos : XR et Emmanuel Blivet

Février 2020. L’heure de ma première action arrive. Nous avons décidé de lancer une opération nocturne anti-pub à la veille de la Saint-Valentin, grande fête de la consommation, pour interpeller les citoyens sur les excès de la surconsommation, et forcer les candidats aux municipales à s’emparer de la question de la publicité. L’opération consiste à retirer une grande partie des affiches publicitaires des arrêts de bus et de tram du centre-ville de Caen. Dans l’espace public, la publicité nous est imposée sans notre consentement et sans que nous puissions y échapper. Or, nous voulons, en tant que citoyens, pouvoir décider quel usage doit être fait de l’espace public.

Station de tramway de Caen, au lendemain d’une action anti-pub d’XR. ©Emmanuel Blivet

La lutte contre la publicité, c’est mon cheval de bataille. Et pour cause: j’ai moi-même travaillé dans ce secteur quand j’étais plus jeune en tant que rédactrice publicitaire! Les années ont passé et peu à peu, j’ai développé une véritable allergie à tout ce qui est publicitaire. Dénoncer le matraquage publicitaire prend un sens nouveau avec XR. Le parasitage de nos cerveaux est une chose, mais l’impact sur l’environnement de la pub est un axe de lutte supplémentaire. Sans parler de l’impact direct des industries dont elle fait la promotion…

Action anti-pub XR Caen pour la Saint-Valentin, 14 février 2020. ©XR

Actions anti-pub

L’action anti-pub est l’un des modes opératoires d’XR. Il s’agit à la fois de lutter contre les conséquences environnementales de la publicité et de libérer l’espace public de ces injonctions à consommer, alors que l’urgence climatique devrait inciter à la sobriété. D’autant que la plupart des annonceurs sont des multinationales parmi les plus polluantes (agro-alimentaire, automobile, industrie de luxe, numérique…). Les actions visent en priorité les écrans publicitaires lumineux, accusés de «consommer sept fois plus d’électricité que des dispositifs traditionnels» et d’être responsables «d’une pollution lumineuse qui affecte la biodiversité et aussi le cycle du sommeil des citoyens». Sur les forums d’XR, on trouve des vidéos et des kits opératoires pour apprendre à démonter un panneau, muni des clés adaptées, afin d’en retirer l’affiche qui sera remplacée par un message de sensibilisation signé XR(«Notre regard n’est pas à vendre», «la paix visuelle», ««réappropriation de l’espace public»…) puis de remonter le panneau. Sans destruction de mobilier urbain. Après chaque action anti-pub, XR envoie un communiqué à la presse assorti d’un «argumentaire» pour expliquer ses motivations. Dans celui-ci, il ne manque pas d’interpeller les collectivités locales sur le rôle qu’elles peuvent jouer, dans le cadre des contrats passés sur les mobiliers urbains publicitaires, afin de limiter la publicité dans l’espace public (type, taille et nombre des panneaux).

À 1h30 du matin, le réveil sonne: nous avons rendez-vous à 2h en centre-ville pour démarrer l’opération. C’est assez étrange et excitant pour moi, dont la vie est plutôt rangée, de me trouver dans cette situation en plein milieu de la nuit. Nous avançons discrètement, tout en nous répartissant les secteurs de la ville et les rôles.

Pas très courageuse, je ne souhaite pas m’exposer au risque. On m’attribue donc un rôle de guetteur. Je surveille la rue pendant que mes acolytes démontent à vitesse grand V les panneaux lumineux pour en retirer les affiches, et les remplacer par des messages signés XR. C’est plutôt amusant… j’ai l’impression de suivre un jeu de pistes. Je découvre la ville comme je ne l’ai jamais vue, en plein milieu de la nuit. Vers la gare, je profite d’un véritable concert d’oiseaux.

Tout va bien, jusqu’au moment où je repère une voiture de police banalisée. C’est que j’ai été briefée par un activiste beaucoup plus chevronné, qui a déjà été confronté aux forces de l’ordre dans des actions précédentes. Or, alors que la voiture banalisée longe la rue au ralenti, mes «collègues» sont en pleine actionà seulement quelques mètres ! Par un cri d’appel qui sort tout seul, je les préviens in extremis. Ils s’enfuient tels une volée de moineaux; je poursuis mon chemin comme si de rien n’était, le véhicule suspect me suivant au pas dans la ville déserte… Mon cœur bat plus vite qu’à l’habitude. Il s’éloigne. Nous nous recontactons et nous rassemblons à nouveau, le plus discrètement possible. Je suis échaudée: pas envie de me retrouver en garde à vue! Courageux, mes acolytes terminent en beauté en détournant tous les panneaux de la station de tram.

Voilà, j’ai fait ma première action sur le terrain. Un peu d’adrénaline, beaucoup de satisfaction, un climat de saine et sympathique complicité. Je rentre chez moi un peu avant 5 h. La nuit aura été courte, mais bien remplie. Je suis contente, comblée même: j’ai eu le courage de réaliser une action en accord avec mes convictions. Je suis sortie de la passivité qui est le grand piège de notre monde. Nous avons retiré une centaine d’affiches et éteint nombre de panneaux lumineux. Nous avons rendu l’espace public à nos consciences. Au moins pour un temps.

XR VS Candidat

Novembre 2019. Le maire de Caen, Joël Bruneau, doit inaugurer les premiers aménagements de la Place de la République. Le dossier fait polémique depuis 2016. Il est prévu de construire, sur la moitié de la place, une nouvelle halle commerciale qui entrainera l’abattage d’une cinquantaine de tilleuls. En outre, pour réaliser le projet, la ville a cédé deux parcelles publiques au groupe privé Sedelka-Europrom JEL. Un collectif pour la défense de la place de la République s’est constitué, réunissant des élus d’opposition, des associations écologiques et des citoyens, qui mène une bataille juridique contre le projet. Pour de nombreux opposants, dont XR, qui réclament un référendum local, le projet municipal est tout simplement archaïque au vu de l’urgence écologique et climatique actuelle.

Au bitume, nous préférons les arbres qui créent des îlotsde fraicheur dans nos villes bientôt surchauffées.

Cette fois, pourtant, je ne fais pas partie de l’action. Je la découvre le lendemain dans les colonnes de la presse locale. Et je souris: ils sont couillus les copains, c’est génial! Ils ont gâché la petite fête, déjà compromise par une pluie véhémente, en occupant la place par leurs chants et leurs slogans: «Le monde n’est pas une marchandise», «Plus d’arbres, moins d’béton!». Le maire, Joël Bruneau, a fini par s’éclipser de sa cérémonie en fustigeant les «militants radicaux.Ce n’est pas un mouvement ponctuel d’activistes pendant une soirée d’inauguration qui doit changer le projet.» Il n’en n’a pourtant pas fini avec les «rebelles».

23 novembre 2019, inauguration des nouveaux aménagements de la Place de la République. ©XR
1er février 2020. Action XR dans les bureaux de Sedelka, promoteur immobilier titulaire du marché de centre commercial de la Place de la République. ©XR

La campagne municipale est lancée et le maire est candidat à sa propre succession. Nous avons décidé de nous inviter aux meetings de campagne pour l’interpeller sur ce que nous considérons comme des grands projets inutiles et nuisibles: il y a le dossier de la Place de la République, mais aussi l’extension de l’aéroport de Caen-Carpiquet ou encore le projet de futur palais des sports sur une zone naturelle. Nous mettons une stratégie au point: chaque fois que nous le pourrons, nous enverrons aux réunions de campagne un groupe de deux ou trois militants. L’un reconnu et identifié comme XR, qui prendra ouvertement la parole. Et un ou deux citoyens lambda qui abonderont dans son sens pour montrer à l’élu candidat et à nos concitoyens que l’écologie n’est pas une question réservée aux «activistes».

Je me propose pour être l’une de ces citoyennes lambda lors d’une réunion de campagne organisée dans un quartier du centre-ville. J’ai revêtu la tenue adaptée: celle d’une femme respectable de la petite bourgeoisie caennaise. Comme je suis plus âgée que mes collègues militants, je passe plutôt inaperçue. Nous sommes venus à trois pour cette opération. Deux doivent intervenir, le troisième filmer les échanges afin de les diffuser ensuite sur les réseaux sociaux pour dénoncer le double discours de l’édile. L’un de nous, déjà connu des équipes de campagne du maire sortant, a eu toutes les peines du monde à se faire admettre dans la salle. Il a pourtant eu l’élégance de se présenter et de prévenir qu’il allait poser des questions. Nous nous installons, la réunion publique commence.

Questions d'XR Caen à Joël Bruneau – 29 fév 2020

Samedi après-midi, nous sommes plusieurs d' Extinction Rebellion Caen à avoir été à la première réunion publique de campagne de Joël Bruneau 2020 pour les Municipales et intervenir lors des questions-réponses.Notre objectif était de le pousser à clarifier sa position sur ses projets nuisibles pour l'environnement (Centre commercial République, Extension de l'aéroport de Carpiquet et le futur palais des sports sur une zone naturelle).Nous voulions aussi lui faire part de nos arguments contre le projet de centre commercial étant donné qu'il a annulé notre rendez-vous prévu le matin même (convenu depuis un mois) et qu'ils ont supprimé nos commentaires sur leur page Facebook (aussi publié sous forme de publication sur le groupe FB Extinction Rébellion (XR) Caen)…→ Joël Bruneau n'a visiblement pas pris connaissances de nos arguments car il répond partiellement à côté. Il ne semble pas prêt à remettre en cause son projet et pas très ouvert à la mise en place d'un référendum sur le sujet.Cette vidéo a été montée afin de couper les passages les moins intéressants et donner des compléments d'informations. Pour ceux qui veulent voir l'enregistrement complet de 24 minutes, il est disponible via ce lien : https://rdv2.extinctionrebellion.fr/index.php/s/58WyMTY8C3EoTWzArgumentaire d'XR Caen contre le projet de centre commerical République : https://rdv.extinctionrebellion.fr/index.php/s/CXE8rwaZFTgYwABNotre dossier complet sur le sujet : https://rdv.extinctionrebellion.fr/index.php/s/m9JTLGf2BQQYi92

Publiée par Extinction Rebellion Caen sur Vendredi 6 mars 2020

Dans ce quartier plutôt bobo, le public n’est pas très varié. Imperméables mastic, jupes droites et escarpins: on ne peut pas dire que le look des participants évoque la rébellion. Du coup, je me sens très discrète dans ma tenue de dame-comme-il-faut. L’élu égrène son discours, parmi nous la tension monte. Mon «collègue» interpelle le candidat, mais impossible de filmer l’échange avec le maire: le service d’ordre bloque discrètement mais sûrement la prise de vue. J’interviens ensuite, dans mon rôle de quidam. Je ressens une puissante hostilité autour de moi: j’avais pourtant la tenue de l’emploi, et voilà que j’invective l’élu! Il faut dire que le public lui est acquis d’avance, étant composé en grande majorité de ses propres électeurs. Lors de cet échange, je ne parviendrai pas à vraiment déstabiliser le maire. C’est un exercice difficile et même si je ne mâche pas mes mots, je m’attaque tout de même à un professionnel de la communication politique. Il détourne ma question et assène des contre-vérités, mais l’emballage de son discours est si bien maîtrisé qu’il parvient à convaincre son auditoire.

La réunion s’achève, les participants quittent la salle tranquillement. Je suis prise à parti par des électeurs qui viennent défendre leur champion. Mes propos sont quasiment tournés en dérision. «Mais voyons madame, vous ne savez pas qu’internet pollue encore plus que les avions? Donc s’opposer à ce projet d’agrandissement de la piste de l’aéroport, c’est vraiment ridicule! Et puis, on ne va quand même pas revenir au moyen âge, non?» Face à ces baby boomers bien pensants et bien nourris, habitués à leurs vacances au soleil, difficile d’argumenter. Nous ne vivons tout simplement pas dans le même monde. Je sors seule de la réunion, car nous avons fait le choix de ne pas apparaître en groupe. Je rentre chez moi dans un rare état de découragement…

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