Septembre 2022

Tranches de vie-rois•es

Simon Gouin/Emmanuel Blivet/Participants à la résidence

Auxiliaire de vie: métier utile en quête de reconnaissance

Depuis 13 ans, Annabella Tribout aide les personnes dépendantes dans leur toilette, leurs repas, leurs courses, leur ménage. Elle est «auxiliaire de vie», un métier peu reconnu malgré le soutien quotidien qu’elle apporte à ces gens à qui elle évite d’aller en maison de retraite. Ce qui a fait déborder le vase: elle n’a pas obtenu la prime Covid. «On a travaillé pendant tous les confinements, on n’a jamais arrêté, et on n’a même pas eu un remerciement.»

Ecoutez Annabella Tribout

«Être auxiliaire de vie, c’est aider à la toilette, le repas, les courses, le ménage. C’est aussi un soutien moral. Les repas, les couchers, les levers… auprès de personnes très très âgées, des personnes dépendantes, d’autres qui sont autonomes mais qui ont juste besoin d’une aide pour le ménage. Parfois, ce sont des personnes plus jeunes qui sont handicapées.

Aux dernières nouvelles, sur 60 auxiliaires de vie au CCAS (Centre communal d’action sociale) de Vire, on était 59 femmes et un homme. Je pense que les personnes chez qui nous allons préfèrent une femme…. C’est ce que j’ai toujours entendu. Quand j’annonçais que mon collègue masculin allait venir chez une personne, j’entendais parfois: «Oh non ! Moi, je préfère une femme.»

En général, on est toute seule. Cela peut arriver d’avoir le Siad (service de soins infirmiers à domicile) avec nous, chez des personnes qui sont très lourdes. Sinon, la manipulation se fait toute seule. Il faut porter, lever, tourner les gens. C’est beaucoup de manipulations et c’est très physique. Il faut tenir. On est debout toute la journée : du matin au soir, pratiquement, à part quand on se pose pour manger.

«Se sentir utile»

Ce que j’aime dans mon métier, c’est le fait d’aider les personnes, et de se sentir utile. De toute façon, si on n’était pas là, pour la plupart, ça serait la maison de retraite. Sauf qu’en maison de retraite il n’y a pas assez de place. En fin de compte, c’est grâce à nous qu’ils peuvent rester chez eux. On leur assure le maintien à domicile. C’est essentiel. C’est un métier qui recrute mais qui peine à trouver parce que ce n’est pas attractif. Ce n’est pas assez reconnu.

Les personnes chez qui nous allons, en général, sont seules. Il y en a qui ont des enfants, il y en a qui n’en ont pas. Ils ont besoin de parler, d’être écoutés. Je dirais que ça représente 70% de notre travail, en fait. On est un lien avec eux. On est un lien de l’extérieur et un lien social avant tout. On parle de la pluie et du beau temps, des problèmes, des douleurs parfois. Il y a des gens qui souffrent. Des problèmes familiaux qu’ils rencontrent autour d’eux. C’est très varié. On écoute et on essaie de réconforter. Ce n’est pas toujours facile parce qu’on prend quand même la misère des gens sur nos épaules. Je ne suis pas stressée par ce travail, pas du tout, c’est une passion !

J’ai toujours dit que quand j’en aurai marre – on sait jamais, ça peut arriver – j’arrêterais. Je préfère arrêter de faire ce métier là. Il vaut mieux arrêter parce qu’ils le sentent, les gens. Il est important d’être très souriante, gaie… Ils aiment bien. C’est vrai que si vous arrivez en déprimant, ça ne va pas le faire! Oui, moi je suis toujours comme ça. Je crois que même quand ça va mal, je souris…

«On n’a même pas eu un remerciement.»

On n’a pas eu la prime covid. Juridiquement, c’est impossible de nous la donner car la mairie n’est pas notre employeur. Par contre, on a obtenu un dialogue, et on va avoir un changement de statut. Depuis un an, une étude est menée pour savoir si ça vaut le coup de changer de statut. Suite à nos revendications, nous avons rencontré Monsieur le maire hier. L’étude arrive pratiquement à sa fin.

Quand j’ai entendu que nous n’aurions pas la prime covid, ça m’a énervée, d’abord. C’est le fait de ne pas être reconnue comme les autres, qui font le même travail… Tout ça à cause de notre statut. C’est surtout ça qui pose problème. Ce n’est même pas la somme, en fait… On a travaillé pendant tous les confinements, on n’a jamais arrêté, et on n’a même pas eu un remerciement.

Jusque là, personne ne disait rien. Il a fallu cette chose là pour en fin de compte, voir qu’on existait ! Et maintenant, les choses commencent à avancer. Tout doucement, mais elles avancent avec le dialogue. Il y a un espoir déjà !»

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«Venez faire du théâtre chez nous»

Alors qu’il est assistant social scolaire au lycée Marie-Curie, Alain Revet crée un groupe théâtral pour les lycéens. En 1992, on lui propose d’aller jouer en Roumanie. C’est le début d’une aventure humaine extraordinaire pour des dizaines de jeunes et de familles, qui mènera au jumelage entre Vire et Săcele, en 2002. «Je pense que ça a apporté aux élèves un petit bout d’Europe. On a quand même un avenir commun. Les liens restent. Des anciens élèves m’en parlent encore.»

Ecoutez Alain Revet

« En novembre 1992, je suis dans la cour du lycée Curie, à Vire. A l’époque, j’étais assistant social scolaire et j’animais le groupe théâtral du lycée le mercredi après-midi, sous l’égide du foyer socio-éducatif. Je rencontre alors quelqu’un que je connaissais bien et qui s’appelait (parce qu’elle est aujourd’hui décédée), Colette Tirel. Elle était accompagnée de Sanda Focşan, une prof de français, roumaine. Sanda me dit : «Venez donc faire du théâtre chez nous». Comment faire? Je ne connais pas la langue, je connais pas le pays. J’avais entendu parler de la Roumanie, surtout avec la chute de Ceausescu. Et n’était pas si vieux que ça. Elle me répond : «Ne vous inquiétez pas, chez nous, on parle français!»

C’est comme ça que cela a démarré. J’ai dit : on va essayer, pourquoi pas. Je suis un peu fou, moi aussi, dans ma tête. Le mercredi suivant, j’ai vu mes élèves du groupe théâtral qui étaient une vingtaine. Je leur ai raconté cette rencontre et l’invitation. Évidemment, les ados, tout de suite, me disent : «Ouais, chouette!» Je vais alors voir le proviseur de l’époque, qui était M. Morisson. Il a hésité avant de me donner l’autorisation. «Vous faites attention!» m’a-t-il dit.

«On vous fait confiance !»

Nous avons organisé une réunion avec les parents. C’est un souvenir extraordinaire. Je leur explique: «J’ai le projet d’aller en Roumanie, mais je vous dis tout de suite : je ne connais pas la langue, je ne sais pas ce qu’on va y trouver». A l’époque, on avait déjà eu des correspondances avec nos amis, je dirais maintenant ma «famille de Roumanie», donc on savait qu’on était attendus. Les parents d’élèves m’ont dit: «On vous fait confiance !» J’avais trouvé ça extraordinaire. Nous sommes partis au printemps 93 pour la première fois.

Le voyage a été épique! Peu de signalisation, des routes en travaux; Heureusement, on était partis avec des cars couchettes, donc on pouvait dormir dedans. C’est comme ça qu’on est arrivés à Săcele. Reçus comme des rois, chaque élève a été accueilli avec une écharpe et une rose. Et on a joué nos pièces de théâtre – en français. Eux, ils ont joué leurs pièces en roumain.

L’année suivante, avec les parents d’élèves de l’époque, on avait créé une association qui s’appelait TRAC. Cette association a permis d’organiser des fêtes pour pouvoir récolter des fonds. Les roumains n’étaient pas riches. On a pu financer, à l’époque, la moitié de leur trajet. Ils sont donc venus pour la première fois en 1994. Beaucoup découvraient l’Ouest… Les élèves de cette époque que j’ai croisés dernièrement s’en souviennent encore. Voilà le départ. Ensuite, avec les parents d’élèves, on s’est dit: puisqu’ils sont là et qu’ils désirent avoir des relations avec nous, nous souhaitons qu’un jumelage soit mis en place.

«Si on nous refuse, on fait une manif et on pose notre pierre, gravée.»

Pour cela, il fallait l’accord de la mairie de Vire, qui, à l’époque, était assez réticente. Elle disait que c’était trop loin, trop pauvre, aussi, que ça n’allait pas durer, etc… On avait alors constitué un comité de jumelage officieux au sein de l’association TRAC. Au parc de l’Europe, il y avait trois pierres représentant les trois jumelages de l’époque: une pour l’Angleterre, une autre pour l’Allemagne et une dernière pour l’Espagne. On avait dit: «si on nous refuse ce jumelage avec la Roumanie, on fait une manif et on pose nous-mêmes notre pierre, gravée, et on fait venir la presse». L’équipe municipale a fini par être convaincue. Le jumelage n’a eu lieu qu’en 2002.

Les Roumains sont un peuple très hospitalier, comme beaucoup dans les pays de l’Est. Ils accueillent très facilement. La France y est bien vue. On parle encore pas mal français qui est enseigné la-bas. Et aussi, l’histoire roumaine a été très liée à l’histoire française.

Le fait pour les Français de se dire qu’il y a des gens à 2600 kilomètres de là, qui peuvent être comme nous, et qu’ils nous ressemblent, c’est extraordinaire. Je crois que c’est ça qu’ils ont compris, les jeunes. La deuxième chose, je pense, c’est qu’en dépit du fait qu’un pays est plus pauvre qu’un autre, cela ne veut pas dire que les gens sont différents. L’accueil, ces amitiés qui sont nées et qui perdurent… Et puis je pense aussi que cette aventure a apporté un petit bout d’Europe. On a quand même un avenir commun, je l’espère. Et les liens restent. J’ai encore d’anciens élèves qui m’en parlent avec ravissement.

A cause du Covid, les échanges se sont arrêtés en 2019. Le lycée ne suit plus comme avant. Je n’ai jamais su pourquoi. Cela me ferait très mal que ça s’arrête.

Jouer en roumain

Depuis une dizaine d’années, les élèves français jouent en langue roumaine, là-bas, devant un public roumain. Et alors, on apprend quelque chose en plus d’apprendre le théâtre. Le théâtre, c’est bon pour la personnalité, ça apporte de l’assurance pour affronter le regard de l’autre, c’est évident. Là, ils apprennent en plus une langue, et à travers elle, une civilisation, une culture. A la fin des représentations, des Roumains venaient nous voir pour nous dire: «Mais ils ont appris comment notre langue ? On vous enseigne le roumain ? Les Roumains n’auraient pas mieux parlé!»

Quand j’ai dit ça aux élèves, ils avaient un grand sourire, et il y avait de quoi. Ça a été un sacré boulot. Et puis, pour les Roumains, voir des Français qui parlent leur langue, qui n’est pratiquement pas parlée dans les pays étrangers, ils étaient heureux que leur culture soit reconnue. Et ça, c’est important.»

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« Quand vous partez de votre pays, vous ne savez pas ce qui vous attend. »

Pour protéger sa famille, Etienne a dû quitter son pays. C’est à Vire qu’il est arrivé le 24 décembre. Depuis, ses enfants sont scolarisés ; sa femme et lui apprennent le français et tentent de trouver du travail, et toute la famille a obtenu un titre de séjour de 10 ans. « Je voudrais dire un grand merci, aux bénévoles ! Ils nous ont très bien aidés. »

« Je suis arrivé en France il y a quelques années. Je suis sorti de mon pays comme touriste. Dans un autre pays, j’ai acheté un billet d’avion pour Paris. Je suis arrivé à Saint Lo, Cherbourg, puis Vire.

En France, j’ai obtenu un titre de séjour de 10 ans en novembre 2021. Maintenant, je commence une nouvelle vie. C’est une autre langue, une autre culture. Il faut s’adapter, c’est un peu difficile. Mais en France, toutes les personnes… je voudrais leur dire un grand merci, aux bénévoles! Ils nous ont très bien aidés.

Quand j’ai eu des problèmes dans mon pays, il fallait que je parte. J’ai cherché par Internet: quel pays peut me protéger? Dans la première place, il y avait la France. Après, il y avait l’Angleterre. Avec mes enfants, avec ma famille, c’est difficile. Parce que quand vous partez de votre pays, vous ne savez pas ce qui vous attend dans le nouveau pays.

Le 24 décembre, nous sommes arrivés à Vire. La première fois où je suis sorti dans la rue, il n’y avait pas de personne. Tous les magasins étaient fermés. J’étais un peu en panique. Pourquoi ? Parce que c’était le 24 décembre, et c’était la fête de Noël !

Avant, j’habitais à Cherbourg. C’est l’association Jean Bosco, avec le Cada (Centre d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile), qui m’ont donné un appartement, et nous ont beaucoup aidés. Sylvie, de l’Avar (Association Viroise pour l’Aide aux Réfugiés), m’a aidé comme professeure de français ! C’est un peu difficile, la grammaire… les prépositions, les articles. 

Maintenant, je fais un stage au Greta. Après le stage, j’espère commencer le travail. Avant, je travaillais comme technicien de télécommunication. J’aimerais continuer ma profession.

J’ai quatre enfants, trois garçons et une fille. Ma petite fille va à l’école maternelle. Mes deux garçons vont au collège Maupas. Mon troisième garçon va à l’école Castel. Mon grand fils, en dernière année de collège, va aller au lycée Mermoz, en logistique.

A Vire, c’est une petite ville. Pour moi, c’est très bien. Quand j’ai reçu le titre de séjour, j’ai choisi de rester à Vire, parce que les enfants apprennent ici, au collège, à l’école et à l’école maternelle. C’est très bien. Pour les enfants tout va bien. Ils ont compris ma situation, dans mon pays. Quand ils sont arrivés, je leur ai expliqué. D’abord, cela a été difficile, parce qu’on ne comprenait rien.

Pour moi, la priorité, c’est d’apprendre la langue française et de trouver du travail.»

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L’hospitalité sénégalaise

Né au Sénégal, Abdul Karim Barry est arrivé en France, à Ouistreham, à l’âge de 18 ans. Depuis novembre 2021, il a ouvert un restaurant sénégalais à Vire. «Notre objectif n’est pas de gagner des mille et des cents, mais d’accueillir… C’est l’hospitalité, c’est pouvoir servir les gens…»

Ecoutez Abdul Karim Barry

«J’ai travaillé pendant longtemps dans un restaurant au Sénégal qui était tenu par un Breton. Je suis arrivé en France à l’âge de dix-huit ans. Et puis des gens qui sont venus au Sénégal, dans ce restaurant où j’ai fait connaissance avec eux, m’ont ramené ici. Ils avaient un restaurant à Ouistreham, le bar “la Marine”. Après la Marine, ils ont créé une crêperie qui était à côté – Le Goéland – où j’ai travaillé pendant 6-7 ans.

Puis j’ai arrêté la restauration. J’étais marié à cette époque-là. Je me disais, «bon, je ne vais pas rester sans rien faire quoi, il faudrait que je trouve quelque chose». Qu’est-ce qu’il me faut maintenant ? Ce n’est pas la restauration. Les études, bon… maintenant, je ne vais plus continuer les études. Je vais essayer la sécurité, agent de sécurité. Le premier jour où je suis arrivé, on m’a donné un CDI. J’ai dit au patron:«Vous savez, Monsieur, je fais ça parce que je n’ai pas le choix, je n’aime pas ce métier-là, je n’ai jamais fait ça. Là, je n’ai pas le choix. Il faut que je travaille. C’est pour ça que je le fais.» Il me répond: «Vous dites ce que vous voulez, mais je vous prends». Parce que quand même, j’étais costaud. Je suppose que black+costaud = agent de sécurité.

Un rêve: ouvrir un restaurant

Je suis resté là-bas pendant 20 ans, au Chemin Vert à Caen. Vous allez là-bas, vous demandez Karim, on vous amène directement chez Carrefour. Làbas, je suis connu comme le loup blanc comme on dit!

J’ai eu des gosses, des enfants. On habitait dans le quartier du Chemin Vert. La famille s’agrandissait. Il fallait qu’on trouve quelque chose quand même… Parce que dans un HLM… Il faut qu’on achète, on ne va pas rester tout le temps en location. On a alors vu que du côté de Vire, c’était moins cher. Donc on s’est lancés. On a trouvé un terrain qui se vendait à 1 euro le mètre carré. On a eu cette opportunité. Et puis on a fait construire pas loin d’ici – à 10 kilomètres de Vire. Et là, rebelote, je faisais la navette entre Caen, Vire, Chemin Vert. C’était très fatiguant.

Et puis il y eu le COVID qui a tout accéléré aussi. Je suis resté un mois à la maison sans aller travailler. J’avais toujours dans ma tête mon projet de restaurant. Un jour, j’ai vu des locaux à Vire. Il y a toutes les nationalités mais pas de restaurant sénégalais. Pourquoi pas le Sénégal ? Donc j’ai dit: «on va se lancer». Avec mon épouse, j’ai commencé à transformer ce lieu, qui était auparavant une charcuterie.

Le maire de Vire est vraiment sympa. Sur ma route, j’ai trouvé des gens pas bons… mais j’ai aussi rencontré des gens sympas qui m’ont facilité la tâche. Quand j’ai exposé mon projet au Maire, il m’a dit “c’est ça qui nous manquait à Vire! Il y a tout, mais il nous manque le Sénégal. Donc vous êtes les bienvenus.” C’est tout. C’est ça l’histoire de «la Signare».

«La Signare», au Sénégal, cela veut dire femmes épicées, filles métisses issues de la colonisation. Elles représentent les belles femmes africaines, élancées. Je l’ai choisi parce que j’aime bien ce mot sénégalais.

«Faire voyager les gens, sans partir.»

Là, c’est ma femme qui est en cuisine pour l’instant. Elle ne travaille pas en ce moment donc elle vient faire la cuisine. Sinon, c’est moi qui suis à la cuisine. C’est moi qui prépare tout. Vous savez, comme on dit aussi, la cuisine, ce n’est pas seulement les hommes qui peuvent le faire, mais si une femme le fait, elle a une touche que les hommes n’ont pas. Je peux tout préparer, mais quand ma femme fait quelque chose, on le reconnaît tout de suite : «ah, ça c’est bon».

Quand vous émigrez dans un pays, si l’accueil est bon, tu fais tout pour t’en sortir. Je n’ai pas connu la galère que les sans-papiers rencontrent.

Au restaurant, il y a des familles entières qui viennent pour fêter des anniversaires par exemple. Notre objectif n’est pas de gagner des mille et des cents, mais d’accueillir… C’est l’hospitalité, c’est pouvoir servir les gens…

Comme on dit au Sénégal, c’est un pays de Téranga – c’est un pays accueillant, que vous soyez musulman, chrétien, juif.. on ne regarde pas. Lorsque l’heure de manger est venue, tout le monde mange.

Mon restaurant fait voyager les gens sans partir.»

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«J’ai retrouvé une seconde famille à Vire.»

Sonia Tallon Llorente a quitté son Andalousie natale pour rejoindre Vire, il y a trois ans. D’abord à la MJC en tant que volontaire européenne, puis en service civique, et enfin en tant qu’employée du Crean, une structure qui vise à informer les citoyens sur l’appui que peut donner l’Union européenne à leur projet. A Vire, malgré le froid auquel elle a dû s’habituer, elle a trouvé une deuxième famille. «Ici, c’est différent, tout est vert. J’adore le bocage normand. La nourriture aussi, et les gens sont très accueillants et gentils.»

Ecoutez Sonia

«Je suis arrivée en France pour faire un volontariat européen à la MJC de Vire. Cela s’est très bien passé. Après, j’ai fait un service civique. Ça a été un tremplin pour mon travail actuel : chargée de mission Europe, au Crean (Carrefour Rural Européen des Acteurs Normands), à Vire. On informe tous les citoyens sur l’Europe, on fait aussi des formations, on donne des informations aux gens.

Vire est très différent de ma ville d’origine, Grenade. Les paysages sont très différents. C’est ce qui m’a le plus étonnée. Les paysages en Andalousie sont dorés car le climat est sec. Ils sont plus désertiques, méditerranéens. Ici, c’est différent, tout est vert. J’adore le bocage normand. La nourriture aussi, et les gens sont très accueillants et gentils. J’ai tout adoré à Vire.

En Espagne on a une image des français très Parisienne, où c’est la grande ville, la vie est rapide, il y a de nombreux travaux, du trafic et les personnes n’ont pas le temps d’être gentilles avec toi et de t’expliquer les choses. A l’inverse, pour les andalous, la vie est tranquille. Tout est plus relaxé. On prend du temps pour les petites choses. On est accueillants avec les personnes. On a l’impression, lorsqu’on voyage en France, que Paris représente toute la France. Mais lorsque je suis arrivée en Normandie, les gens étaient très accueillants. Ils ont fait des efforts pour me comprendre. Cela a cassé les clichés.

J’avais étudié le français à l’école, je connaissais quelques mots mais ce n’était pas suffisant pour m’exprimer. Je devais donc utiliser un traducteur ou mon langage corporel pour m’exprimer. C’était impératif d’apprendre la langue. Ce fut progressif mais c’est arrivé vite parce que lorsque tu es en totale immersion, ça vient vite. Au début tu ne comprends pas, puis tu comprends de plus en plus.

Le français et l’espagnol sont proches: les mots se ressemblent beaucoup et ne sont pas difficiles à apprendre. Mais je galère avec la prononciation – notamment v et b, et avec double s. Par exemple, poisson/ poison ou encore boire/voir. J’avais vraiment des problèmes. Un jour, on fêtait un anniversaire. Et j’ai dit que j’allais offrir un «rateau» d’anniversaire. Tout le monde m’a dit «mais c’est un peu bizarre, je ne sais pas quelles sont les coutumes en Espagne mais on ne fait pas ça ici». (rires)

Je suis arrivée en hiver, en janvier – sous la neige. Il faisait très froid. Les premières semaines étaient très grises. Le soleil ne sortait jamais. La lumière me manquait et j’étais triste. Il me manquait la vitamine D du soleil. Maintenant, j’ai du mal à retourner en Espagne et à retrouver 45 degrés en plein mois d’août. On pourrait aussi modérer un peu le froid ici car c’est dur! Mais on s’habitue. Le corps s’habitue à tout.

«Ne pas avoir peur et partir»

En Europe, quand on est étrangère, on peut voter aux élections municipales et européennes. Ici quand je suis arrivée, quelques mois après, on a voté pour les élections européennes. Comme j’étais loin de chez moi, je me demandais si le vote à distance était possible. Je me suis dis que je voulais voter ici. Je devais m’inscrire sur la liste électorale en France, avec ma colocataire italienne. On l’a fait. Tout s’est bien passé.

Le Crean, c’est une association régionale qui est labellisée par la Commission européenne comme centre d’information. On a trois associations qui sont labellisées comme nous, en Normandie, une à Caen, une à Vire et une à Evreux. Vire, c’est vraiment un territoire rural, parce qu’en comparaison avec Caen ou Evreux, le territoire n’est pas le même. On est très proches des citoyens et des petits territoires. On essaye de faire arriver l’information: comment l’Europe peut les aider et comment la personne peut bénéficier des programmes européens. Il y a beaucoup de choses qui se passent. On a beaucoup de projets en établissement scolaires : missions locales, ou maisons familiales rurales. On discute avec les jeunes sur la citoyenneté, les valeurs.

C’est une des plus belles expériences de ma vie. J’ai retrouvé une seconde famille à Vire. Je pense qu’il faut le faire au moins une fois dans sa vie. Il faut aller vivre l’expérience d’aller rencontrer de nouvelles personnes dans un autre pays, de connaître une autre culture, de profiter des possibilités que la vie dans un autre pays te donne. Les conseils principaux que je donnerai, c’est de ne pas avoir peur et de partir.»

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«Le bénévolat est une richesse humaine»

Professeure et directrice d’une école, Angélique Chénel passe son temps libre à le donner pour des associations. Elle est présidente de la MJC et trésorière de la Bibliothèque pédagogique, arts et culture de Vire. «On ne le dit pas assez, mais le bénévolat est là où l’État ne peut pas intervenir ou ne peut plus intervenir pour des raisons souvent financières.»

Ecoutez Angélique Chénel

«Après des études à l’université de Caen, je suis devenue professeure des écoles. J’enseigne depuis maintenant quinze ans sur la circonscription de Vire. A côté, je suis bénévole à la MJC depuis douze ans. Je suis au sein d’un bureau d’une association depuis quinze ans. A un moment, j’étais bénévole dans un bureau ou un conseil d’administration de quatre structures. Maintenant, il ne m’en reste plus que deux: la BPAC, c’est la Bibliothèque pédagogique, arts et culture de Vire où je suis trésorière; et la MJC de Vire Normandie où je suis la présidente depuis neuf ans.

C’est une culture de devenir bénévole, de s’engager quand on côtoie des membres de sa famille qui sont eux-mêmes bénévoles. On se rend compte de la richesse des échanges qui peuvent avoir lieu et on a envie de faire la même chose. J’apprends beaucoup de choses sur divers corps de métier, sur différentes façons d’aborder le travail, le salariat.

«On s’enrichit énormément»

On rencontre des gens formidables au sein des associations. On s’enrichit énormément. Quand on choisit nos associations, on défend des valeurs qui nous tiennent à cœur. A la MJC, c’est l’éducation populaire.

Pour être présidente ou bénévole de l’association, il faut être adhérent. Moi, j’ai été danseuse de claquettes. Quand l’assemblée générale de la MJC a eu lieu et que j’ai vu les membres du bureau, je me suis dit que je connaissais tous ces gens bien. Quand on est soutenus par une équipe qui connaît bien la structure, qui a l’habitude de travailler avec les salariés de la MJC, on peut se dire: «d’accord, je veux bien me présenter en tant que présidente, si vous me donnez un petit coup de main, puisque je ne suis pas à la retraite». J’ai un travail à temps plein.

Le rôle de présidente de la MJC, c’est d’être la représentante de l’association auprès des institutions. Je suis aussi l’employeuse, la personne qui signe les contrats des salariés. Être présidente, c’est assister à toutes les réunions pour déterminer les grandes orientations de l’association, pour prendre les grandes décisions. C’est aussi un travail de partenariat où la MJC est représentée par nous, bénévoles, auprès de nos partenaires. (…) Moi, je suis un peu ressource pour aider l’équipe à monter ces dossiers. Je travaille beaucoup le soir, la nuit, le week-end et pendant les vacances pour m’avancer et pour pouvoir participer à toutes les réunions de la MJC.

Le bénévolat a une place très importante en France. On ne le dit pas assez, mais il est là où l’État ne peut pas intervenir ou ne peut plus intervenir pour des raisons souvent financières. Il y a énormément d’associations en France et énormément d’associations à Vire Normandie. Il y a des bénévoles mais ce qui nous manque, ce sont des bénévoles au sein des conseils d’administration.

Fraternité

J’estime que si je «profite» d’une association, je dois leur rendre un peu la pareille en leur donnant un coup de main. Le bénévolat est très important, il a toujours existé, c’est aussi ce qu’on appelle la solidarité, ou même ce qu’on pourrait appeler la fraternité. C’est vraiment la devise de la France.

Je pense que c’est très important de maintenir ça. Peut-être qu’il faudrait trouver des moyens de valoriser le bénévolat d’une façon visible. Justement, je fais un peu appel aux journalistes. On a beaucoup de chances à Vire parce que tous les organes de presse couvrent beaucoup ce que font les associations. Tous les correspondants de presse, tous les journalistes, ont vraiment conscience de l’importance des associations à Vire et de leur place. A l’échelle de la France, on entend plus parler des problèmes que des solutions qui sont trouvées par les associations. Tout ce que les associations peuvent apporter à certaines catégories de la population ou à certaines personnes, on n’en parle pas beaucoup ou alors on en parle, mais dans le mauvais sens.

On peut prendre l’exemple des associations qui aident à Calais. En ce moment, il y a une interdiction de donner de la nourriture aux personnes immigrées à Calais et ce sont les bénévoles qui veulent sauver des vies, qui ont des amendes. Oui, on a vraiment besoin du bénévolat. En France, il y en aura toujours besoin et c’est une richesse culturelle et également une richesse humaine. C’est l’humanisme qui est bien représenté en France.»

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