Avril 2021

Malaunay, une ville en transition

Christine Raout (texte et photos), Joëlle Passeron (illustrations)

Jean-Louis Levé est un pêcheur de truites qui observe le Cailly, la rivière qui traverse Malaunay, depuis 1982. Si le cours d’eau en a vu de toutes les couleurs, aujourd’hui ce passionné veille à ce que cet écosystème fragile soit protégé.

Jean-Louis Levé, qui longe et observe Le Cailly, jour après jour. ©Christine Raout

Le Cailly est la rivière qui traverse Malaunay, avec des bras qui se séparent et qui se rejoignent, des portions qui traversent des terrains privés et d’autres bordés de promenades aménagées par la ville. Ce cours d’eau a été l’objet de toutes les attentions de l’équipe protection de la nature et de la biodiversité, lors de l’expérimentation «La transition prend ses quartiers». Ce sont les membres de l’association Vallée du Cailly environnement qui ont formé ce groupe chargé de dresser un état des lieux et de faire des propositions pour améliorer la biodiversité à Malaunay.

Parmi eux, Jean-Louis Levé, malaunaysien depuis 1982 : «Je suis un ancien pêcheur. On peut pêcher la truite fario dans le Cailly, et comme il n’y a pratiquement plus de poissons sauvages, ce sont des poissons qui sont issus de la pisciculture de la fédération de pêche. Moi, c’est la rivière et ce qu’il y a autour qui m’intéressent : ça peut être des problèmes d’environnement, une usine qui fait mal son travail ou des problèmes de riverains.»

Les bras du Cailly sont parfois minces et traversent des terrains privés. ©Christine Raout

«Une rivière, ça sentretient comme un jardin»

L’homme se définit comme un lanceur d’alerte. Chaque jour, l’ancien pêcheur longe l’eau et observe : sa clarté, son niveau, les insectes, la flore qui l’entoure… C’est d’ailleurs cette balade qu’il propose de faire : parler de la rivière en la longeant et en l’observant.

« Pour l’aménagement, il faut privilégier les méthodes douces : coupe de bois manuelle, fourche, scie. Même si un arbre est abattu, il est important de laisser les souches. Les poissons trouvent à manger dans les racines et c’est leur habitat. Une rivière, ça s’entretient comme un jardin, explique-t-il. En faisant des aménagements, peut-être que dans quatre ou cinq ans, on aurait une population de poissons en augmentation.»

Les arbres qui bordent Le Cailly permettent d’attirer la faune. ©Christine Raout

Dans son groupe de réflexion sur la biodiversité lors de «La transition prend ses quartiers», c’est sur ces bases que Jean-Louis Levé a travaillé. «L’association fait des propositions à la ville. Des employés de la métropole sont intervenus pour nettoyer des cours d’eau, y compris de ruisselets. L’eau circule mieux et le courant revient, ce qui fait que la vase s’en va, constate-t-il. On retrouve une rivière propice au retour des poissons. Il n’y a pas grand-chose à faire. Ce sont des petits travaux. Notre projet est d’avoir l’appui de la ville de Malaunay et des associations locales pour organiser une journée pour faire ces petits travaux.»

L’expérimentation de filets antidéchets

La Métropole de Rouen et la ville de Malaunay ont installé en novembre 2020, des filets de filtrage antidéchets à la sortie des buses de déversements dans le Cailly. Ces installations sont conçues pour permettre de capter les déchets plastiques, y compris les plus petits de 1,2 millimètre, des eaux pluviales qui rejoignent la rivière. Depuis, des relevés sont effectués régulièrement par les techniciens et chercheurs du Laboratoire eau environnement systèmes urbains (Leesu) pour évaluer le volume et identifier les sources de pollution. Des informations qui peuvent ensuite servir à trouver des solutions pour éviter et réduire ces pollutions.

Les filets récupèrent les déchets, y compris de très petite toile avant qu’ils ne se déversent dans le Cailly. ©Christine Raout

Les longs dégâts de la pollution

En plus de la pollution quotidienne de la rivière, des accidents industriels peuvent réduire à néant des années d’efforts de préservation du cours d’eau. Avec son passé de ville industrielle textile, l’eau du Cailly en a vu de toute les couleurs. «À l’époque, je représentais l’association de pêche de la Vallée du Cailly, président pendant trois ans, raconte Jean-Louis Levé. L’association avait été créée dans les années 1980 par des pêcheurs qui en avaient marre… Il y avait une vocation industrielle, en amont, il y avait beaucoup de teintureries avec des turbines pour faire leurs bains, donc ils avaient besoin d’eau. Mais à cette époque, les résidus de teinture étaient rejetés dans la rivière. Donc la rivière pouvait passer du rouge le matin, comme au noir le soir. On s’est battu là-dessus. Juridiquement, on a eu gain de cause, pas toujours mais, ils ont été obligés de se doter de stations d’épuration.»

Jean-Louis Levé conserve tous les articles sur Le Cailly et la protection des rivières. ©Christine Raout

Aujourd’hui, la crainte de Jean-Louis Levé porte surtout sur une usine Ceveso de stockage de produits chimiques, à Montville, au nord-est de Malaunay. «Malheureusement, il y a eu un problème avec leur station en 2009, c’était de l’eau de javel industrielle (ndlr : hypochlorite de sodium) qui partait dans le Cailly. Le cour d’eau a été pollué sur environ 20 km. C’est un collègue qui s’est aperçu que les poissons pipaient, ils sortaient de l’eau et ils étaient morts. C’est moi qui suis allé porter plainte à la gendarmerie de Quincampoix. On a obtenu satisfaction dans la mesure où la société (Brenntag, ndlr) a été condamnée civilement et pénalement. Elle a payé à l’époque 160000 €. On a eu au moins un an de remboursement de carte de pêche, par la Fédération et on a eu dans la saison suivante des lâchers de poissons gratuitement pour dédommager le monde de la pêche. Et maintenant, le milieu là-bas, il est hostile, car l’acide, c’est pas bon. Ça a détruit le milieu et on ne retrouve pratiquement plus de population de truites. Même les insectes, ce que l’on appelle les invertébrés, par exemple les mouches, il y en a peu. C’est très long à se remettre.»

Le Cailly passant entre les maisons construites pour les employés et dirigeants des usines. ©Christine Raout

Dans les projets qui ont découlé des défis de «La transition prend ses quartiers», l’aménagement des berges a été un de ceux qui ont pu être réalisés. Pour Jean-Louis Levé, il est important d’amener les habitants à se promener au bord du Cailly. «Il y a des choses intéressantes qui se font sur les cours d’eau, ils ont commencé à en prendre conscience. Il y a des plans avec des projets d’aménagements. La protection des berges et de l’habitat est encore mise un peu trop de côté, mais néanmoins avec la mairie, on a quand même des gens qui sont là et qui sont sensibles à nos arguments.»

?>