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« Si un de mes petits enfants ne m’avait pas posé de question, je n’aurais pas eu tous ces souvenirs »

Un bruit d’avion et des larmes. Le musée de Juno Beach venait d’ouvrir et Brigitte Meyer le visitait pour la première fois. Dans la première salle, embarquant sur la barge des hommes du débarquement, Brigitte se mit à pleurer quand elle entendit ce son des avions. Ils lui rappelèrent Paris, le 12e arrondissement et sa chambre en face du métro aérien, la Seconde Guerre mondiale, et ces nuits d’angoisse où toute la famille rejoignait les caves pour s’abriter face aux bombardements allemands. Une voisine, adulte, était prise de panique et pleurait. La mère de Brigitte ne comprenait pas pourquoi « elle ne se tenait pas » face aux enfants.

Un jour, aux musées des beaux-arts de Caen, c’est une affiche qui rappelle le traumatisme de Brigitte. Une femme est allongée sur un transat. Au-dessus d’elle passent des avions.

Bien après la guerre, quand Brigitte fut mariée, elle se rappelle de la peur qui l’assaille quand son mari ne rentre pas à l’heure, à la fin de sa journée de travail. L’époque était aux Trente glorieuses, la guerre était loin, mais la peur d’une séparation brutale était toujours là. « Je vois encore ma tante arrivant chez nous, pendant la guerre, en pleurs parce que son mari était fait prisonnier », se rappelle Brigitte.

Ces souvenirs sont ceux du corps, du vécu intérieur, du ressenti, analyse l’octogénaire. Des histoires orales sur cette époque, il y en eut peu dans les années qui suivirent la guerre. Ses parents n’en parlaient pas, ou peu. Avec six enfants à élever, le quotidien était chargé, la vie, devant eux.

La fin de la guerre est marquée par deux souvenirs : l’un de désolation, l’autre d’une joie immense. C’est à Paris que la petite Brigitte apprend par des sirènes et des cloches qui sonnent à tout rompre que la guerre est finie. La fillette saute de joie dans la cour de l’immeuble. Elle se souvient précisément aujourd’hui quel était le tissu de la robe qu’elle portait ce jour-là.

Et c’est à Graye-sur-Mer que la famille retrouve la maison dont les vitres ont été soufflées par les bombardements. A la place, son père dispose des cartons. La plage de Graye sera désormais leur terrain de jeu. Il y a des mines dans les champs et des chemins desquels il ne faut pas s’écarter. Des tas de ferrailles et des gros bateaux de guerre échoués sur la plage où les enfants s’aventurent malgré tout. La mer à l’horizon dans laquelle Brigitte apprend à nager, avec une bouée. Une bouée d’un soldat, en tissu, qu’elle gonfle autour de sa taille et de son cou. Puis qu’elle dégonfle à mesure qu’elle prend ses aises. Une bouée qu’elle retrouvera dans le musée de Juno Beach, à Courseulles.

Ces souvenirs, Brigitte les raconta à ses petits-enfants plutôt que ses enfants. Celle qui devint marionnettiste et conteuse les mit en scène, accompagné d’un conte, dans l’école de ses petits enfants. « Si un de mes petits enfants ne m’avait pas posé de question, je n’aurais pas eu tous ces souvenirs », dit-elle aujourd’hui.