Précarité étudiante

Le jour où Lucie a abandonné ses études

Selon une note ministérielle sur les parcours et réussite en licence publiée en 2017, 31 % des étudiants renoncent dès la première année. Employée dans un cinéma à Cherbourg depuis février 2021, Lucie, 21 ans, est une ex-étudiante de l’université de Caen. Elle a abandonné ses études pour des raisons financières.

La garantie jeunes est un droit ouvert qui s’adresse aux jeunes de 16 à 26 ans, en situation de précarité qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en étude. Depuis le 1ermars 2022, lecontrat d’engagement jeune (CEJ)remplace la garantie jeunes.

« <em>J’étais heureuse d’être à la fac, de trouver l’indépendance.</em> » À cause de soucis de santé, Lucie (prénom d’emprunt) a décroché son bac en septembre 2019 au lieu de juin. Elle a raté l’inscription à Parcoursup et a dû frapper à la porte de la Mission locale. Ce n’est qu’à la rentrée suivante qu’elle a pu entrer à l’université. Avec l’ambition de faire de grandes études. Elle a vite déchanté. Car Lucie s’est rapidement heurtée à la réalité de la vie étudiante et des charges qui y incombent. Dès le début de sa licence, celles-ci se sont avérées trop élevées comparées à ses revenus. Lucie touche encore un reliquat de la garantie jeune attribuée par la Mission locale : en conséquence, elle se voit refuser l’aide sociale de l’État. Ça bloque aussi avec la bourse du Crous (Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires, qui a pour mission d’améliorer les conditions de vie et d’études des étudiants) par manque de pièces justificatives : elle ne peut fournir l’avis d’imposition de ses parents, avec qui elle est en rupture.

«Je n’avais pas assez d’argent pour subvenir à mes propres besoins ».

Après plusieurs semaines à dormir sur le canapé de ses camarades, elle obtient finalement une chambre universitaire par le Crous. Elle pense être sortie d’affaire. Mais Lucie s’est vite rendu compte que ses problèmes n’étaient pas résolus. « J’étais soulagée d’avoir enfin un endroit où vivre, mais c’était le début de la fin. Je n’avais pas assez d’argent pour subvenir à mes propres besoins ». Comme se nourrir. « Un jour, une amie m’a achetée un plein de courses parce qu’elle savait que je ne mangeais pas à ma faim et je culpabilisais parce que je savais qu’elle n’en avait pas les moyens ».

Sans solution, elle se désinscrit de l’université

Pour survivre, Lucie a essayé de trouver des solutions : « J’ai cherché de l’aide avec la CAF, les assistantes sociales du Crous, j’ai sollicité les banques financières et alimentaires, je me suis tournée vers des associations. Aucun n’avait de solutions pour moi ». Après avoir rendu les clefs de son logement, Lucie doit se désinscrire de l’université « J’ai vécu ce moment comme un échec », confie-t-elle. Surtout, au moment où elle a dû prendre toutes ses affaires pour rentrer à Cherbourg, dans sa ville d’origine, « J’avais le moral au plus bas, mais quelque part, j’étais quand même soulagé de m’enlever cette pression ». Le sentiment de culpabilité est un point commun à tous ces étudiants qui abandonnent leurs études supérieures sous la pression. Lucie culpabilisait de devoir dépendre des autres. Elle a vu l’abandon comme la seule solution.

Aujourd’hui le manque d’aide et les difficultés administratives découragent et empêchent certains étudiants de vivre dignement. Lucie ne s’est pas découragée pour autant, et envisage de reprendre des études. Elle recherche actuellement un travail étudiant pour subvenir à ses besoins dans les années à venir et porte un message d’espoir: « Même si les choses ont été très compliquées pour moi, j’espère que l’année prochaine, si je suis acceptée en licence de droit, je pourrais y assister. Aidée de l’État ou non, je compte bien m’en sortir ».


Crise du logement: la galère des étudiants normands

À Caen, qui accueille cinq campus et plusieurs établissements d’enseignement supérieur, la présence de 34 000 étudiants pose le problème du logement.Trois étudiants témoignent de leurs difficultés.

Le logement individuel reste le premier choix des étudiants. Pour Anouk, étudiante aux beaux-arts de Caen «c’était un choix qui m’a paru évident. Je n’ai pas de problème à vivre seule, je n’ai de compte à rendre à personne.». Les logements individuels sont le choix de la liberté. Il n’en reste pas moins que leurs coûts sont conséquents. «Quand je regardais sur les sites le prix de certains studios ou logements avec une chambre à Caen, ça me faisait très peur, je trouvais que c’était exorbitant par rapport à d’autres villes. Surtout que lorsqu’on est étudiant, nos revenus ne sont pas si élevés que ça.».

Chambre universitaire: un petit loyer

C’est ce critère financier qui a amené Hugo (prénom d’emprunt), un étudiant en langue étrangère à l’université de Caen, à postuler pour un logement universitaire attribué par le «Crous». Il précise que «ce n’est pas cher. Habituellement, à Caen, on met au moins 250 euros pour un logement de 9 m² plutôt convenable, alors que moi je ne paie que 112 euros.». Mais si ces logements ont le mérite d’être abordables, une clause dans le contrat précise que les agents du Crous peuvent venir dans le logement à n’importe quel moment. «Un manque d’intimité qui pose un problème », estime Hugo.

La colocation contre la déprime

La colocation est comme une alternative efficace qui concilie un budget restreint et une proximité avec les lieux d’apprentissage. C’est le cas d’Océane, une étudiante à l’E2SE business school. Cette dernière précise que sa motivation est à la fois financière et psychologique. «C’était évident parce que je n’aime pas rester seule. Je suis vite déprimée et donc la vie à deux est vraiment un choix évident pour moi. » Dans la réussite scolaire, le lien social est un moteur essentiel.En revanche, question budget, la colocation n’est pas nécessairement synonyme d’économies. «Dans mon cas, cela a été une illusion, regrette Océane. Je pense que la location d’un T2 à deux est intéressante, mais comme avec mon amie on voulait avoir chacune notre chambre, les coûts ont vite été doublés

Tous les étudiants n’ont pas la chance de trouver un logement. Nombreux sont ceux qui n’ont pas réussi à se loger, ou le sont dans des conditions trop précaires pour poursuivre leurs études. L’absence de solution est alors souvent synonyme de déscolarisation.


Mes jobs étudiants, mon indépendance !

Comme beaucoup d’étudiants, Océane cumule plusieurs jobs étudiants pour subvenir à ses besoins. Afin d’entretenir son autonomie, l’étudiante caennaise doit arborer depuis sa dernière année de BTS les casquettes d’employée en alternance dans une entreprise alimentaire la semaine, et d’hôtesse de caisse dans une firme de biscuit ornais le week-end.

Océane est étudiante depuis trois ans à l’E2SE Business School de Caen, ses deux années de BTS ont été financées en grande partie avec l’aide de ses parents. « Ils me disaient qu’ils avaient les moyens, mais au fond, je savais que j’étais en quelque sorte un poids financier pour eux. ». L’étudiante précise qu’à ce même moment, elle travaille déjà en alternance « L’alternance me prenait la majorité de mon temps, mais mon employeur payait mes frais de scolarité » précise-t-elle. Mais Océane relativise beaucoup, parce qu’elle considère que l’alternance est un travail instructif pour ses études, « L’alternance, c’est fatigant, mais je peux gagner en expérience, c’est enrichissant quelque part » déclare l’étudiante.

Pas de job, pas d’étude

Pour sa troisième année, Océane a cherché un travail supplémentaire pour palier au manque de revenu, car ses parents ne pouvaient plus l’aider « Bien que l’alternance paye une partie de mes frais, j’ai beaucoup de charge à payer, j’ai une voiture qui est un gouffre financier, et je loue une chambre à Caen pour mes études. » La future manageuse en entreprise décide alors de cumuler un deuxième travail. « La biscuiterie m’a proposé du travail pour les week-ends en intérim, en moyenne je travaille douze heures dans la semaine ».

« Quand je rentre chez moi le soir après sept heures de travail, je suis mentalement incapable de faire n’importe quel autre travail. »

Les jobs étudiants sont, pour beaucoup d’entre eux, une solution pour pallier le manque d’argent. Le cas d’Océane est commun avec beaucoup d’étudiants, son alternance et son lieu de travail ainsi que son logement se situent dans la ville où elle a grandi, à la Ferté-Macé à une heure et demie de Caen, son lieu de scolarisation. « L’avantage avec le fait d’habiter dans ma campagne natale, c’est que la semaine, je vis chez ma grand-mère donc le coût de la vie est amorti ». Océane doit en conséquence louer une chambre pour une nuit chez l’habitant, cette dépense représente un coût mensualisé qui s’additionne avec le prix de l’essence ainsi que de l’entretien de sa voiture qu’elle utilise également pour ses déplacements vers ses lieux de travail. D’un point de vue scolaire, le manque de temps pour se consacrer pleinement à ses études est un inconvenant conséquent pour Océane « Je n’ai plus vraiment le temps pour travailler mes cours, quand je rentre chez moi le soir après sept heures de travail, je suis mentalement incapable de faire n’importe quel autre travail ». Son témoignage soulève un problème en ce qui concerne l’équité des chances entre les étudiants français.

Malgré cela, Océane estime que tous les efforts qu’elle a fournis sont des moments essentiels dans sa vie d’étudiante, « C’est vraiment compliqué de mixer les études et le travail, mais je suis fière de ce que je fais et cette expérience m’a fait grandir ». D’autres étudiants n’en tirent pas la même expérience et n’arrivent pas à concilier les deux.

Dossier réalisé par Théo Bourge, Abigaëlle Dusart, Alisée Harivel, Romane Lerit, étudiants en Licence 3 Humanités Numériques, Université de Caen