Méga bassine ou l'exploitation du bien commun

Les méga bassines sont d’immenses infrastructures de stockage d’eau conçues pour satisfaire les demandes de l’agro-industrie. Elles s’étendent en moyenne sur une superficie de huit hectares. Coûteuses, peu efficaces, elles ont des impacts particulièrement négatifs sur l’environnement. Aurélie, 39 ans, membre des Soulèvements de la Terre, raconte son combat écologiste à l’encontre de celles-ci.

Pour vous, que représente une méga bassine ?

A la base, c’est une bassine d’eau pour de gros agriculteurs, pas de petits paysans, qui ont des exploitations qui sont très gourmandes en eau. Elles vont pomper dans les nappes phréatiques et aussi récupérer l’eau qui tombe. Il est important de noter qu’elles vont principalement pomper, et ne récupèrent que très peu d’eau de pluie (c’est ce qu’ils ont voulu nous faire croire pendant longtemps). L’idée c’est de pomper toute l’eau avec de gros tuyaux pour des champs de maïs par exemple, qui demandent beaucoup d’eau. Les quelques agriculteurs qui les utilisent s’accaparent l’eau.

Pourquoi s’y opposer ?

La question de l’eau, surtout en ce moment, fait beaucoup débat. Il y a une raréfaction de celle-ci qui se fait de plus en plus dans certaines régions (c’est un constat posé y compris par les climato-sceptiques qui ont du mal à ne pas le voir maintenant). Cela va s’aggraver selon tous les rapport du GIEC . Les questions sur comment partager l’eau, et comment l’utiliser et comment organiser l’agriculture (les besoins des céréales et autres) sont essentielles. La méga bassine est la concrétisation de l’exploitation de l’eau faite de manière complètement anachronique, accaparée par quelques gros agriculteurs au dépend du bien commun et de la logique.

Quels étaient les principaux objectifs des manifestations de Sainte-Soline en mars 2023 ?

L’idée était de faire une grosse démonstration avec des actions un peu “coup de poing”, mais aussi d’amener le plus de monde
possible et que tout le monde puisse se retrouver y compris des familles avec leurs enfants et des personnes âgées. Il y avait plusieurs modes d’action. L’objectif était de pénétrer sur les chantiers des bassines ou sur des bassines déjà construites, et de saboter toute l’installation qui pompe l’eau, de faire les trous dans les bâches, et d’amener le plus de monde possible dans le trou au sol. En termes de “sabotage”, ce sont des choses assez mineures, étant donné que les bassines ne sont que des gros trous avec des bâches et des tuyaux.

Pouvez-vous nous partager un moment particulièrement marquant que vous avez vécu lors de la manifestation ?

Je n’étais pas à la toute dernière manifestation mais j’étais à celle d’avant, en octobre 2022, qui était plutôt une victoire (assez
offensive néanmoins). La police a été tenue en échec par la stratégie, il y avait plusieurs groupes et elle s’est faite déborder. Ce qui était chouette, c’est que tout le monde s’est retrouvé, moi j’ai pu y aller avec mes enfants et on pouvait s’y amuser de manières différentes.
Par contre, le deuxième épisode, en mars, où je n’étais pas, était un peu plus dur pour mes camarades. Il y a eu des témoignages très glauques de gens qui ont vu Serge et qui ont pensé qu’il était mort, des gens faisant partie des Médics qui ont vu des chaussures avec des bouts de pieds dedans. On est dans les blessés de guerre, il y a eu un vrai traumatisme, lié à l’acharnement de la police qui était prête à tuer. Après quand même, derrière ça, il y a eu la tentative de dissolution des Soulèvements de la Terre qui n’a pas marché, des gens aussi qui sont venus vers les Soulèvements. Je le vois bien car au départ on était deux à partir de Caen pour ce mouvement, et aujourd’hui s’il y avait un autre mouvement, il y aurait une quarantaine de gens. Il y a
eu un réel élan de solidarité par rapport aux victimes, car il y en a beaucoup, et, au-delà de Serge qui se remet miraculeusement, il y a des personnes qui sont mutilées à vie au niveau du visage. Et c’est horrible parce qu’on sait que les condamnations de la police ne mèneront à rien.

La radicalité est obligée par rapport à une situation qui pose problème, face à une démocratie autoritaire.

Comment avez-vous vu l’attitude des autorités locales et de la police envers la
manifestation ?

Le Ministre de l’intérieur a tout de suite utilisé le mot “éco-terroristes” et il y a eu un acharnement judiciaire et une utilisation de techniques de flicage dignes de choses liées au terrorisme qui n’existaient plus dans les mouvements d’ultra-gauche depuis longtemps. Par exemple, il y a eu des techniques de surveillance qui ont été mises en place de manière très accrue, des déplacements de policiers pour savoir qui appelle qui et qui va où. Au niveau local, une des figures qui a subi beaucoup de pression c’est Julien le Guet (de Bassines non merci), il y a eu des balises sous les voitures qui ont été retrouvées. La FNSEA a aussi mis la pression sur les militants locaux, et a insisté auprès du gouvernement pour mettre en place la dissolution des Soulèvements.

Quels sont les résultats concrets que la manifestation a apporté dans le contexte des méga bassines à Sainte-Soline ?

Aux premières manifestations, il y avait trois cents personnes alors qu’à la dernière c’était des milliers donc on peut déjà y voir un résultat. Mais aussi, on peut demander à n’importe qui dans la rue ce que sont les méga bassines, on aura toujours des réponses car maintenant les gens savent ce que c’est. Cela a permis de visualiser un enjeu écologique que les gens n’imaginaient pas, n’avaient pas conscience.

Aujourd’hui, est-ce qu’être militant écologique c’est être radical ?

La situation actuelle, quelle qu’elle soit, est un ensemble (écologique, social…). La radicalité est obligée par rapport à une situation qui pose problème, face à une démocratie autoritaire. Les problèmes d’écologie sont liés à un problème de gestion économique. Si on ne prend que le biais écologique et qu’on ne veut sauver que les petites plantes, évidemment là je caricature, et les petites bêtes mais qu’on ne veut pas détruire un système capitaliste derrière ça ne fonctionnera pas et ne donnera pas un changement à long terme. Il ne peut y avoir qu’une radicalité car il ne peut y avoir qu’un changement radical derrière, ce qui passe par des actions et des moyens révolutionnaires.

Bassines non merci -“A celles et ceux qui ont marché à Ste Soline”

Les résidences

De quelques jours à plusieurs semaines, les journalistes et photographes de Grand-Format s’immergent dans un établissement scolaire, une médiathèque, une ville... pour y mener des ateliers d’éducation aux médias et un travail journalistique. Avec des jeunes et des moins jeunes, nous construisons ensemble ces éditions spéciales de Grand-Format issues de ces résidences.