Un garçon, ça ne danse pas

À 9 ans, Léo devient danseur professionnel. Tandis que la joie et l’engouement accompagnent répétitions et tournées, les moqueries fusent dans la cour d’école, faisant se développer chez Léo une phobie scolaire. Aujourd’hui adolescent, Léo lève le tabou des étiquettes du genre.

« La danse c’est pour les filles ! » : voilà ce qu’entend Léo, 9 ans, lorsqu’il décide de s’inscrire dans un club de danse. « J’étais en primaire quand j’ai commencé la danse donc je ne faisais pas vraiment attention à ce que disaient les autres, c’était comme ça pour tout le monde pendant les récréations. Quand je suis entré au collège c’est devenu plus difficile ». En effet, un an après son inscription et alors qu’il vient d’entrer en classe de 6ème, Léo est repéré par une compagnie de danse, Silenda. Face à la passion et à l’engouement de Léo sur scène, la danseuse Laura Simi le prend sous son aile et décide de monter un projet avec lui. De là va naître le projet Prélude. Léo devient donc un danseur professionnel, les journées de répétition s’ajoutent à ses journées de cours.

Les rires en douce, les insultes, l’isolement…

« Au collège, je n’avais dit à personne que je faisais de la danse, mais les répétitions et les tournées me faisaient rater certains jours de la semaine et mes camarades se posaient des questions. Ma mère avait tenu mes professeurs au courant de mon activité et ne savait pas que je voulais cacher ça, du coup les élèves de ma classe ont vite été mis au courant, puis après tout le collège l’a su ». Commencent alors les rires en douce pendant les cours d’EPS, les pointages de doigt lorsqu’il revient en cours après une répétition, les insultes, l’isolement…

« Tous les jours c’était pareil : je faisais des insomnies et le matin j’avais mal au ventre, je me mettais à pleurer et je demandais à ma mère de me garder à la maison. Tout ça pour quoi ? Parce que je suis un garçon, et que les garçons ne dansent pas ».

Léo commence alors à rater de plus en plus de cours, il n’a plus le courage d’affronter ses camarades. En parallèle, sa passion pour la danse semble diminuer au même rythme que son énergie sur scène.

« J’aimais la danse sans vraiment savoir pourquoi. J’ai aussi eu la chance de mener une expérience incroyable pour mon âge : j’ai rencontré plein de professionnels, participé à des festivals, réalisé des spectacles dans plusieurs pays européens… » explique-t-il, mais malgré ça, et après trois ans en tant que danseur professionnel, il décide d’arrêter. « Je ne sais pas si c’est à cause du regard des autres ou parce que ça commençait à m’ennuyer, ou peut-être un mélange des deux, mais je n’avais plus envie de continuer. » Les tentatives de ses proches et de ses professeurs sont vaines, Léo veut arrêter la danse et se mettre au foot. « Le coup du foot, je pense que ça c’était pour ressembler aux autres, pour leur plaire. J’ai tenu six mois avant de comprendre que c’était vraiment pas mon truc ».

« Je ne regrette pas d’avoir arrêté la danse, révèle l’adolescent, j’y ai appris énormément de choses mais si je m’étais forcé à continuer, ça aurait tout gâcher », affirme-t-il du haut de ses 15 ans. Ce qu’il retient aujourd’hui, en plus de son expérience artistique, c’est le tabou de la norme des genres. « Je vois de plus en plus de personnes qui essaient d’évoquer le sujet et de faire changer les choses, et j’aurais aimé voir ça il y a quelques années. Il faut que ça change et je veux participer à cela. »

Aujourd’hui, Léo n’a plus honte d’évoquer son ex-statut de danseur et il profite même des réseaux sociaux et des stages de danse organisés par son ancienne professeure pour en parler ouvertement. Il veut inciter les jeunes qui pourraient se trouver dans la même situation à se détacher du jugement des autres et des étiquettes du genre. « Les couleurs, les vêtements, les activités… c’est vraiment nul de penser que certains sont réservés aux filles et d’autres aux garçons, conclut-il, chacun devrait pouvoir faire ce qui lui plaît sans se demander si ça fait pas trop fille ou pas trop garçon ».

Manon Launey, licence Humanités Numériques, Photo ©Laura Simi

Les résidences

De quelques jours à plusieurs semaines, les journalistes et photographes de Grand-Format s’immergent dans un établissement scolaire, une médiathèque, une ville... pour y mener des ateliers d’éducation aux médias et un travail journalistique. Avec des jeunes et des moins jeunes, nous construisons ensemble ces éditions spéciales de Grand-Format issues de ces résidences.