Entretien. Plongeons dans l’univers du vrac, une révolution dans notre façon de consommer.
L’essor du vrac dans le secteur de la vente, au cours de la dernière décennie, a été le signe d’une révolution silencieuse mais puissante dans nos habitudes de consommation. Cette tendance, initiée dans les années 2010, a pris racine dans la conscience collective en réponse aux défis environnementaux pressants qui menacent notre planète. Face à l’urgence climatique et à la pollution plastique croissante, le vrac émerge comme un remède novateur et responsable.
En 2017, Amélie Lemarchand et Mathilde Pinson ont concrétisé leur idée en créant la Maison du Vrac, située au 14 rue Gémare à Caen. Cette initiative reflète leur engagement envers un mode de vie sans déchets, inspirant ainsi la communauté locale à adopter des habitudes de consommation plus durables.
Selon vous, qu’est-ce que le vrac ?
Le vrac, c’est l’idée de faire ses courses en consommant seulement le produit brut. Tout est pesé et vendu au poids, c’est donc un mode d’achat sans emballage. Les commerçants reçoivent des produits en gros contenants. On met ça dans des silos et les gens se servent. Ainsi, même à la source, on limite aussi l’emballage.
Est-ce avec cette idée du vrac que vous avez créé ce commerce ?
Oui, nous voulions ouvrir une épicerie bio/locale. Nous souhaitions proposer aux clients de consommer sans jeter des déchets avec une large gamme de produits, non seulement alimentaires, mais aussi des produits ménagers, des cosmétiques et même des articles en consigne. Par exemple, nous vendons les produits emballés, et ensuite les clients peuvent réutiliser l’emballage, comme les bouteilles en verre pour la bière, qu’ils peuvent ramener en magasin pour les remplir de nouveau. C’est le même système pour les dentifrices, les crèmes, et le maquillage. Pour les produits cosmétiques, comme les crèmes avec une texture onctueuse, il n’y a vraiment aucun déchet, aucun emballage puisque le contenant est en verre et peut être de nouveau rempli à la demande. Le vrac peut donc s’adapter dans l’optique de limiter ses déchets pour tout.
Comment avez-vous eu l’idée de cette épicerie écologique ?
Nous voulions toutes les deux travailler ensemble dans un domaine qui correspond à nos valeurs. Quand on commence à prendre conscience de l’importance de réduire les déchets et les emballages, on les voit partout. Se lever le matin en se disant que l’on aime ce que l’on fait, c’est important. Nous avons pris un an à mettre la boutique en place, tout s’est déroulé à grande vitesse.
Est-ce que le vrac permet de réduire le gaspillage alimentaire ?
Énormément ! Le vrac permet de choisir la quantité dont on a besoin. Nous n’avons pas besoin d’acheter un paquet de pâtes d’un kilo si nous n’en voyons pas l’utilité immédiate.
À votre niveau de commerçant, avez-vous remarqué un impact du vrac sur vos déchets ?
Nous produisons beaucoup moins de déchets que d’autres commerçants, car nous passons de grosses commandes qui sont souvent regroupées dans des sacs de 25 kilos. De ce fait, on n’a pas une multitude de couches de plastique pour un seul et même produit.
Par contre, il y a beaucoup de manutention à faire, et donc, plus de travail physique. C’est pourquoi les grandes surfaces ne veulent pas s’embêter avec ça: cela nécessite du personnel en permanence pour nettoyer les silos et maintenir la propreté.
« On produit de plus en en plus de déchets sur une planète qui ne peut en supporter autant. »
En parlant de propreté, avez-vous remarqué avec la crise du COVID une diminution de la clientèle en raison des préoccupations sur l’hygiène du vrac (ex. toucher les produits avec les mains) ?
Au début, avec l’ouverture en 2017, nous avons eu de très belles années avec des clients qui s’intéressaient de plus en plus au vrac. Malheureusement, le premier confinement a changé beaucoup de choses : les gens ont favorisé les grosses commandes dans les grands magasins et évitaient ainsi les petites boutiques. À propos de l’hygiène, certaines personnes avaient peur de toucher les silos, bien qu’ils soient propres. Encore aujourd’hui, il n’y a plus la même attirance qu’avant.
De ce fait, bien qu’une dizaine de boutiques se sont implantées au fil des années, beaucoup ont fermé suite au premier confinement. C’est général, à l’échelle nationale, le marché du bio et du local sont en baisse importante. Quand il y a des grosses crises, les gens ne font plus d’efforts pour les problèmes environnementaux et reprennent leurs mauvaises habitudes. Ils « priorisent » d’autres domaines que l’écologie.
Y a-t-il des contraintes à consommer en vrac ?
Consommer en vrac demande de l’organisation : par exemple, il faut se munir de bocaux au préalable. Nous n’avons pas tous les produits en boutique, cela demande ainsi parfois de passer dans plusieurs magasins pour trouver ce que l’on souhaite.
Il y a des petites habitudes qui se prennent comme garder un sac avec nous. On ne peut pas venir les mains dans les poches et repartir sans contenant comme cela peut être le cas en grande surface.
Quand les clients arrivent, il y a deux cas de figure : soit ils viennent sans contenant, mais, si besoin, nous fournissons des sachets en kraft ou des bocaux à la vente, soit le cas le plus fréquent, ils viennent avec leurs propres contenants que nous pesons. Ensuite, ils font leurs courses en retirant le poids du contenant préalablement pesé. Ces contenants peuvent être des sachets, des bouteilles, des bocaux…
Est-ce que vous observez une différence de prix entre les produits de grande consommation et les produits plus responsables tels que ceux en vrac ?
Les produits en vrac ne sont pas si chers que ça. En fait, on peut économiser de l’argent en achetant en vrac. Nos produits sont tous bio, donc il faut comparer avec des produits bio. De plus, nous réduisons les coûts liés au marketing et à l’emballage : tout ce qui est transport n’est plus pris en compte, et il y a moins d’intermédiaires entre les clients et nous.
Nous sommes donc moins impactés par l’inflation et pensons pouvoir maintenir nos prix stables.
Est-ce que tout le monde peut acheter en vrac ?
Cela dépend du budget de chacun. On peut acheter moins mais mieux, de manière plus responsable. On achète différemment avec des produits bruts. Au final, quand on fait soi-même, cela revient à moins cher. C’est important de se reconnecter avec de bons produits bruts locaux sains pour la santé. Pour les produits ménagers, nous n’avons pas besoin d’en avoir des tonnes et des tonnes : seulement du vinaigre et du bicarbonate fonctionnent très bien. Au début, l’investissement initial peut être plus élevé, mais les produits durent plus longtemps: c’est donnant-donnant.
Selon vous, est-ce que c’est un mode de consommation qui tend à se développer ?
Oui, et de toute façon, c’est nécessaire. On produit de plus en plus de déchets dans une planète qui ne peut pas en supporter autant. Ainsi, il est essentiel d’adopter des gestes qui comptent vraiment pour la planète, comme réduire la consommation de plastique. Par la force des choses, on va être obligé de tendre vers le vrac.
Nous touchons des personnes qui commencent à se rendre compte de l’importance de ces gestes. De nombreux jeunes, peut-être car plus sensibilisés, s’y mettent et y prêtent attention.
Voyez-vous d’autres solutions que le vrac pour aider la planète ?
Il y a de nombreuses solutions possibles : il faut d’abord réduire la consommation en général. Même en achetant d’occasion, on n’est pas obligé d’acheter tout ce qui est disponible, on peut vivre avec moins. Il faut acheter des choses utiles que l’on utilise réellement.
Il est également important de favoriser les produits locaux, fabriqués près de chez nous, et d’opter pour des moyens de transport doux comme le vélo. Si chacun fait un petit geste, cela peut vraiment changer la donne.
Propos recueillis par Marylou Pautrat Chereau & Adeline Brard.