Samuel Levasseur est intarissable. Devant de nombreuses tombes du cimetière de Beny-sur-Mer/Reviers, il raconte l’histoire personnelle, tragique, de ces soldats canadiens ou anglais décédés lors de la libération.
Ici, ce sont trois frères qui sont enterrés : le troisième n’avait que 15 ans et demi et n’aurait jamais dû participer à la guerre. Leur mère apprendra leur mort en quelques heures et ne se remettra pas de la disparition de ses enfants et décédera deux ans plus tard d’une maladie mentale.
Là, c’est un jour la fille du soldat enterré qui est venue découvrir la tombe de son père, décédé alors que sa mère était enceinte. Samuel accompagnera sa fille sur la plage de Juno Beach, à quelques kilomètres. « Je termine l’histoire de mon père sur la plage où il est mort », lui dire la femme, en pleurs.
Samuel est jardinier, embauché par la Commonwealth War Graves Commission (CWGC), le service anglais qui gère à travers le monde les tombes d’1,7 millions d’hommes et de femmes ayant perdu la vie lors des deux guerres mondiales. Voilà 30 ans qu’il s’occupe des allées, de la pelouse, des fleurs. Et de la mémoire de ces soldats, dont il a appris au fil des années des bouts de leur histoire grâce à des « échanges avec les guides, des familles, et des recherches sur Internet ».
« C’est ce qui ajoute un plus au travail, raconte Samuel. Il y a des fois où je dis aux personnes qui viennent visiter : excusez moi mais je ne peux pas tout le temps être avec les gens car j’ai quand même du travail à faire. Si vous voulez discuter deux minutes pendant que je travaille, cela ne me gêne pas, mais je ne leur fais pas le tour du cimetière à chaque fois. »
150 000 visiteurs viennent chaque année visiter ce cimetière où sont enterrés 2049 soldats, dont une grande majorité de canadiens. Le cimetière a été commencé en 1947. De nombreux corps, enterrés aux alentours, y ont été regroupés. « Il y a des soldats qui ont été enterrés jusqu’à trois fois », souligne Samuel Levasseur. « Aucun corps n’a été rapatrié au pays : c’est la politique anglaise, indique Carl Liversage de la CWGC. Ils sont partis ensemble, ils ont combattu ensemble, ils sont enterrés ensemble. » Autre particularité du lieu, c’est le cimetière où il y a le plus de frères enterrés : 9 pairs, et une famille, les Westley, qui ont perdu trois frères.
Au pied d’une tombe, on découvre du du sirop d’érable et de la pâte à tartiner qui ont été déposés par des visiteurs. Parfois des canettes de bières, des petits nounours, du whisky. « Nous laissons ces objets un certain temps, un peu comme les fleurs, et après on les enlève, précise Carl Liversage. Sinon, cela va casser l’uniformité de la structure. On va se retrouver avec des petits souvenirs un peu partout. »
Au fil des années, des personnes proches des soldats ont décidé d’être inhumés à leur côté. Des cendres sont déposées, officiellement ou non. « Après le 6 juin, j’ai vu des cendres déposées, raconte Samuel. Elles sont laissées quelques jours, puis on les répartit sur plusieurs tombes. Cela nous pose problème… »
L’office de tourisme de la communauté de Communes a établi un petit livret pour permettre aux guides de passage de faire visiter le cimetière, et soulager Samuel. Un petit flyer devrait bientôt être édité. « Quand il y a des visites, on en profite pour expliquer, transmettre des histoires, indique Carl Liversage. Parce que si nous ne le faisons pas, qui va le faire ? » Avec la disparition progressive des vétérans, l’organisme souhaite transmettre différemment la mémoire, à travers les nouvelles générations. « On essaie d’impliquer les élèves des écoles, dans les commémorations, les cérémonies, les faire travailler sur des histoires personnelles. »