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« Le commerce autour du D-Day, les musées privés, les gens qui jouent à la guerre… j’ai du mal à voir l’intérêt de tout ça. »

Dans l’histoire de Régis Morel, il y a un grand-père, cheminot qui construisit un abri au fond du jardin de leur maison, à Caen. Et qui perdit la vie en le rejoignant, d’un éclat d’obus reçu le 6 juin 1944. Le père de Régis Morel avait alors deux ans. Il fut pupille de la nation et échappa à la guerre d’Algérie. Son autre grand-père fut prisonnier de guerre, déporté en Pologne mais échappa à la mort. Régis se rappelle des souvenirs d’enfance de ses parents qui grandirent dans Caen en reconstruction. Mais de la guerre, « on n’en parlait pas, même si ce n’était pas un sujet tabou ». Enfant, puis adolescent, Régis ne s’y intéresse pas. « Je pense que le fait que mon grand-père soit décédé tragiquement a fait qu’on n’en parle pas beaucoup, dans la famille. J’ai l’impression que mes parents n’ont pas gardé de traces. On ne sait pas ce qu’il a fait pendant la guerre : a-t-il résisté comme beaucoup de cheminots de l’époque ? »

En tout cas, ces histoires de commémorations cassent les pieds au jeune Régis qui grandit à Arromanches. Adolescent, Régis Morel a beau parcourir le musée d’Arromanches plusieurs fois dans la journée, pour y accompagner les jeunes filles qui débarquent en bus pour le visiter, ce n’est que bien plus tard qu’il va vivre les commémorations et les apprécier. Ils se rappellent des vétérans anglais qui font la « nouba » dans les bars. De ces discussions avec d’anciens soldats qui rappellent l’idéal politique pour lequel ils se sont battus, reprochant aux nouvelles générations de « ne pas se bouger ». De ce vétéran qui enchaîne les bières avant de rejoindre la plage, à minuit, s’y recueillir, et puis revenir pour payer sa tournée. De ces moments partagés, festifs, en toute simplicité, loin de la mode mémorielle qui s’est instaurée depuis quelques années, à mesure que les vétérans disparaissaient, et qui horripile Régis. « Le commerce autour du D-Day, les musées privés, les gens qui jouent à la guerre… j’ai du mal à voir l’intérêt de tout ça. Ça commence à me déranger. »

L’équipe de France de foot à Arromanches

Le football va faire vivre deux expériences en lien avec la mémoire à Régis Morel. En tant que président du club local, il est convié aux commémorations officielles, en 1994, avec 18 chefs d’État. Il se souvient de la Reine d’Angleterre qui arrive en hélicoptère, rejoint la place en voiture et les vétérans anglais qui quittent le bar où ils étaient pour se mettre rapidement au garde-à-vous, l’un d’eux en chaussettes. En 1998, l’équipe de France de football en pleine préparation du Mondial fait une visite discrète d’Arromanches. Dans le musée, Aimé Jacquet admire la tactique des alliés. « Je fais la même chose avec mes joueurs », lance-t-il. « Oui, mais là, c’était quand même plus important », lui rétorque Régis Morel, qui s’attire les foudres du directeur du musée.

Depuis ces expériences, et même s’il ne va plus aux commémorations à Arromanches, Régis Morel garde un intérêt pour ces petites histoires qu’il découvre un jour lors de réunions publiques, notamment à Saint-Aubin-sur-Mer où il vit désormais. Les habitants sont invités à témoigner de ce qu’ils ont vécu. Une habitante qui a le sommeil tellement lourd qu’elle n’entend pas les alliés débarqués la nuit du 6 juin, un collaborateur dont tout le monde connaît l’histoire, le garagiste de Langrune qui répare les voitures allemandes et les sabote en même temps…