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« J’ai réalisé bien plus tard le dévouement de ces combattants »

Bernadette Jacobs-Foucher est bénévole au sein de l’association «Plus Que Partir Réseaux» qui fait vivre la mémoire du Débarquement à Cresserons. Journaliste un jour, journaliste toujours, elle nous a parlé de son engagement en s’appuyant sur les nombreux articles de presse qu’elle a rassemblés sur le travail que mène cette petite mais très dynamique équipe.

Bernadette Jacobs-Foucher est née en 1942 au Vésinet (Yvelines) où elle a passé toute son enfance. Elle n’a donc pas de souvenir du débarquement en Normandie et pour cause, elle n’y était pas. La guerre l’a néanmoins frappée. Elle est la quatrième d’une famille de huit enfants, dont trois nés avant 1939. En région parisienne, les bombardements, les alertes, l’exode, les privations, la faim compliquent sérieusement le quotidien des adultes et des enfants. Quand une bombe tombe dans le jardin, le couvercle de la malle en osier qui lui sert de berceau la protège des éclats de verre et de terre ! Mais au-delà des quelques images qu’il lui reste de cette période, ce qui l’a le plus marquée, c’est le récit qu’en faisaient ses parents. « Nous en avons entendu parler toute notre jeunesse. » dit-elle d’un ton un peu las. « On a fini par en avoir ras le bol de leurs histoires ! Bien sûr, on ne se rendait pas compte ».
Le déclic, c’est plus de 30 ans après la guerre qu’il se produit lorsqu’avec son mari, elle s’installe en Normandie, à Alençon, en 1977. « J’ai fait des pèlerinages sur les « landing beaches », à Bayeux, à la Pointe du Hoc… et là, j’ai réalisé ce que tout cela voulait dire. Pas tant d’un point de vue historique. Ce sont les aspects humains, l’occupation, le génocide… qui m’ont intéressée. Après avoir rejeté toute cette période, j’avais largement l’âge de la comprendre.»

Premiers contacts

En 1988, le couple quitte Alençon pour Caen. Bernadette Jacobs-Foucher est embauchée à « La lettre de Basse-Normandie » comme journaliste, métier qu’elle exerçait à Paris dans la presse économique. Bilingue (elle a vécu 2 ans en Angleterre), elle pige ensuite pour un supplément du « Daily Echo » de Southampton intitulé «Business World (Into Europe) » dans lequel elle traite régulièrement des liens entre les deux rives de la Manche.
À cette occasion, elle apprend qu’en prévision du 50e anniversaire du Débarquement, la Région Basse-Normandie et le Comité du Débarquement (Association présidée par Raymond Triboulet*) cherchent des familles pour héberger les vétérans anglais. Elle se rend à Bayeux et y rencontre Raymond Triboulet. Elle se propose alors d’accueillir et de guider deux vétérans. « Je les ai accompagnés au Conseil Régional pour recevoir leurs médailles. Ils étaient tellement fiers. L’un des deux est malheureusement décédé peu de temps après, mais avec l’autre, Michael Geer, de Winchester, nous sommes restés en lien assez longtemps. Ses enfants sont venus pour les commémorations à Villers-Bocage. » Elle montre une photographie prise au cimetière de Bayeux en présence d’Elizabeth II d’Angleterre : « Comme il était beau ! » dit-elle en parlant du duc d’Edimbourg.
Fin 1993, Gilles et Bernadette Jacobs-Foucher se rapprochent de la Côte de Nacre en emménageant à Cresserons. Un groupe de bénévoles organise les commémorations sur la commune. Pas le temps cette année-là de les aider puisque Bernadette s’est déjà engagée auprès du Comité du Débarquement. Pour autant, des premiers liens se tissent avec les membres de l’association « Plus Que Partir Réseaux** » et en particulier avec sa présidente, « la Dame des vétérans », comme l’a surnommée Ouest-France, Marie-Noëlle Gherrak.

Une unité secrète à Cresserons

Bernadette fait alors une pause dans son récit personnel pour revenir sur l’histoire du Débarquement à Cresserons. « Cresserons n’étant pas sur la côte, ça n’est que le 7 juin à 8 h 30 que les Anglais y sont entrés par la rue de Lion. Du 9 juin au 8 août 1944, le régiment des 22e Dragons, conduit par le capitaine Ian Hammerton, installe à Cresserons son camp de base et de réparation, sur ordre des autorités militaires. Les 22e Dragons avaient pour caractéristique d’être une unité secrète donc on la trouve très peu mentionnée dans les documents officiels, mais elle a joué un rôle capital. Ses soldats avaient pour mission de piloter les chars Sherman à fléaux avant le passage des troupes pour faire sauter les mines enfouies dans le sable des plages. Sans eux, impossible pour leurs camarades des autres unités de progresser. »
En 1986 fut inaugurée une stèle (« mémorial ») dédiée au 22e Dragons, en présence du ministre Raymond Triboulet et de Ian Hammerton. Pour saluer le courage de cette unité et de son capitaine, la commune de Cresserons a choisi de donner son nom au square central lors du 75e anniversaire, en 2019. L’association a participé activement aux 40e, 50e, 60e, 65e. En juin 2014, pour le 70e anniversaire, l’hommage aux vétérans avait pris la forme d’une exposition de totems en plein air. Basée sur des interviews de vétérans menées en Angleterre accompagnées de leur portrait, cette exposition intitulée « Au fil des histoires », assortie d’un livret bilingue, a été présentée en 2015 à Dartford, près de Londres où réside Ian Hammerton. En 2019, ces portraits ont été réinstallés sur le mur du cimetière côté square Hammerton, où ils sont toujours visibles.

«Cette guerre que j’ai ressentie sans le savoir et qui a ressurgi bien plus tard.»

Bernadette Jacobs-Foucher tient un press-book rassemblant tous les articles parus sur le sujet. Elle nous les montre, répète en boucle qu’elle n’est pas la plus légitime à en parler, qu’elle n’est qu’une petite main de l’association. Il faut presque insister pour qu’elle accepte de parler de son rapport personnel au Débarquement. « C’est par le biais du journalisme que tout cela a commencé. Et puis aussi le fait que je parle anglais. Mais c’est surtout cette cause qui m’a intéressée. Cette guerre que j’ai ressentie sans le savoir – j’étais enfant – et qui a ressurgi bien plus tard. » Elle revient sur ce qu’elle appelle « un pèlerinage » sur les plages du débarquement et à Bayeux avec sa maman. « Elle a su me raconter à nouveau ce qu’elle avait vécu pendant la guerre. Elle était férue d’Histoire. Moi, c’est plutôt la géographie des lieux qui m’a intéressée. La Pointe du Hoc, c’est quand même quelque chose d’incroyable. Et puis les plages, la ville de Bayeux… Les musées militaires ne m’intéressent pas, mais j’aime le Mémorial. »
Quand on lui demande pourquoi, la réponse fuse : « Ça me semble évident. Le Mémorial est un musée pour la paix et non pour la guerre. Et puis il me revient un souvenir. Quand nous étions à Caen, nous habitions l’immeuble Panorama qui surplombe le Chemin Vert. Un jour, de mon 7e étage, j’ai vu une foule se diriger vers la colline aux oiseaux. C’était le 6 juin 1988. François Mitterrand et son premier ministre Jacques Chirac venaient inaugurer le Mémorial. Ça m’a beaucoup impressionnée. »
Elle enchaine sur la suite de sa chronologie personnelle. « En 1994, je me suis occupée de mes deux vétérans et j’ai suivi la cérémonie internationale à Bayeux dans la tribune de presse. Puis, avec mon mari, nous avons assisté aux commémorations du 50e à Cresserons. Il y avait Ian Hammerton, 50 anciens du 22e Dragons, la chorale des enfants…  En 2004, pour le 60e, je me suis impliquée dans l’accueil des vétérans. En 2009, j’ai continué à aider à la traduction, à Douvres, à Plumetot et c’est cette année-là que notre petite équipe de bénévoles s’est véritablement constituée et d’ailleurs ce sont toujours les mêmes 15 ans après. »

Toutes habillées de robes de 1944

En 2015, accompagnant Marie-Noëlle Gherrak et sa fille Floriane, Bernadette Jacobs-Foucher se rend en Angleterre pour l’exposition « The Tracks of History » (Au Fil des Histoires). Elle nous montre également des photos de l’apéro Rétro que l’association avait organisé pour sensibiliser le village à la commémoration du 6 juin, avec la complicité du Bar des Sports de Cresserons. « Nous étions habillés en costumes d’époque. Qu’est-ce qu’on a pu rire. On était sur un char, toutes habillées de robes de 1944. » Elle nous parle des deux installations en fer et en pierre et mosaïque intitulées « Le passage de la Liberté » et qui ont été positionnées devant le square Ian Hammerton à l’occasion des journées du patrimoine. « Nous avons le souci d’associer les jeunes. Il faut les aider à prendre conscience de ce qui s’est passé ici. Par exemple, nous leur avons proposé de mener des interviews et puis ils ont fait des étiquetages de lieux où il s’était passé des choses importantes dans la commune. »
En 2019, nouvel appel aux bénévoles pour accueillir les vétérans et leurs familles. Cette fois-ci, avec son mari, elle accueille un couple d’Anglais habitant dans le Cotentin ainsi qu’une Anglaise qui habite en Californie, Margaret E Allen. « Elle était, à l’époque, en train de rassembler des informations et des témoignages sur l’histoire de sa famille. Son père, Michael Childs, avait été le médecin des 22e Dragons.  Il ne parlait jamais de la guerre à la maison et elle avait besoin de savoir. Elle a fini par en écrire un livre très documenté dans lequel elle parle, entre autres, de ce qui s’est passé à Cresserons. » nous dit-elle en nous montrant l’ouvrage intitulé « Swimming with corpses, A True Story of Friendship, War and Love » (disponible en anglais sur Amazon France).

«Ça rentre dans l’esprit européen.»

« Pour le 80e anniversaire du Débarquement, l’association prépare un nouveau projet et va demander une labellisation, comme pour chaque projet mené depuis 1985. » Ces projets se font en coordination avec la mairie, l’école, la Maison des Jeunes et les associations locales. « C’est important. Chacun joue son rôle. La mairie s’occupe des cérémonies officielles et nous, de la partie « animations culturelles et historiques » si l’on peut dire ainsi. Et bien sûr des liens avec les vétérans ou désormais avec leur famille. »
Elle revient sur un point qui la choque et qu’elle qualifie de « crève-cœur des vétérans. » Ils n’ont eu la Légion d’honneur que fort tardivement, en 2015, alors que la plupart étaient déjà morts et les trois quarts d’entre eux l’ont reçue par la Poste, « point final ». Chez nous, on la distribue en fanfare aux vedettes de la chanson… « Tous ces types qui se sont dévoués pour nous… » dit-elle, dépitée.
Bernadette Jacobs-Foucher conclut cet entretien en revenant sur ce qu’elle tire de cet engagement. « C’est une ouverture, et ça rentre dans l’esprit européen qui compte beaucoup à mes yeux. Mon père était Belge. Quand j’allais chez ma grand-mère, en pays Flamand, j’entendais parler une autre langue et il fallait que j’en fasse quelque chose. Et puis, c’est pour moi une preuve de reconnaissance envers les combattants de la seconde guerre mondiale. Après tout ce qu’ils ont vécu, tout ce qu’ils ont souffert, ces vies bouleversées, je leur dis merci pour notre Liberté. »


* Raymond Triboulet, figure majeure de la résistance et de la politique dans le Calvados, est né à Paris le 3 octobre 1906 et est mort à Sèvres de 26 mai 2006. En 1939, il est mobilisé comme lieutenant de réserve. Fait prisonnier le 18 juin 1940, il est rapatrié le 13 mars 1941 en tant que grand malade. Il s’installe à Sainte-Croix-Grande-Tonne et s’engage, en 1941, dans le mouvement Ceux de la Résistance, pour lequel il effectue des missions de renseignement. A la Libération, il devient le secrétaire du Comité départemental de la libération du Calvados et est nommé premier sous-préfet de la France libérée, à Bayeux. Il fonde, en 1945, l’Association du Comité du Débarquement, chargée d’organiser les commémorations du 6 juin. Il en est le président jusqu’en 1999. Il fonde également le musée du Débarquement d’Arromanches-les-Bains.

** Association PQPR « Plus que Partir Réseaux », tél. 06 82 25 41 80 – mail pqpr@online.fr

Texte et photographies : Marie-Agnès Gérin