« Ici on peut critiquer le système, c'est génial ! »

Fathy est un danseur classique et contemporain d’origine marocaine. Après ses études au Conservatoire de Rabat, il quitte le Maroc pour l’Europe. Il se produit dans les opéras de Paris, Bordeaux, Marseille ainsi qu’à celui de Berlin, où il joueles plus grands classiques de la danse comme le Lac des Cygnes. Il est remarqué par de très grands metteurs en scène. A la fin des années 1980, il arrive dans l’Orne.

Comment percevez vous l’évolution de la liberté d’expression?

J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on a peur de parler. Plus on a les moyens de s’exprimer, moins on s’en sert. Je ne suis pas philosophe, mais ce que je vois autour de moi m’inquiète. Autrefois, il y avait des humoristes qui blaguaient sur les Arabes, sur les Noirs, les Chinois. A l’époque, on n’allait pas leur dire qu’ils devaient se taire.

La danse est-elle un moyen de défendre la liberté d’expression?

Dans la danse, c’est le maître de ballet qui décide et qui use de sa liberté d’expression. Les danseurs ne sont que la matière. Le metteur en scène donne des ordres, et c’est comme du modelage avec les danseurs: ils doivent faire ce qu’il veut… Les danseurs n’usent pas vraiment de leur liberté d’expression. Mais on peut quand même s’exprimer, nous, danseurs, en refusant quelque chose, ou en n’étant pas d’accord avec lui… Le public, lui, vient rechercher une forme de liberté d’expression. Chaque personne va ressentir une émotion différente, en fonction de la musique, des mouvements des danseurs, des jeux de lumière…

Quelle est la différence entre la liberté d’expression en France et au Maroc?

A l’époque, on avait un roi au Maroc qui s’appelait Hassan II. C’était un roi qui voulait tout contrôler [la culture, la politique, l’économie]. Il voulait tellement avoir le pouvoir sur tout que le peuple n’avait même pas le droit de prononcer son nom ou de critiquer le système présent sans être envoyé en garde à vue qui était plutôt une garde «à vie»: les opposants disparaissaient et on ne les voyait plus. On n’avait pas le droit de dire ce que l’on pense. Je n’étais pas forcément victime à l’époque car j‘étais petit, mais je voyais mes parents qui ne parlaient jamais de politique.

Quand je suis arrivé en France, quand j’ai vu les gens qui critiquaient, qui exprimaient leurs opinions sur le système, j’ai trouvé ça génial! C’est génial de dire ce que l’on pense et super important, surtout actuellement, à quelques jours des élections. Aujourd’hui, à la télévision, on a le droit d’être d’accord ou non avec les idées des candidats, de les critiquer. Le système laisse à chacun le droit d’écouter, d’absorber puis d’aller voter pour qui il veut. Aujourd’hui, aller voter, c’est super important car tu mets ton bulletin dans l’urne et ta voix est prise en compte. Ça c’est l’essentiel!

Aline GUYON, Tom BAROUX, Luca AGARICO-PAULOT, Ninon BOISBOUVIER

Les résidences

De quelques jours à plusieurs semaines, les journalistes et photographes de Grand-Format s’immergent dans un établissement scolaire, une médiathèque, une ville... pour y mener des ateliers d’éducation aux médias et un travail journalistique. Avec des jeunes et des moins jeunes, nous construisons ensemble ces éditions spéciales de Grand-Format issues de ces résidences.