Etudiants en temps de pandémie

La « confi-cyberaddiction »

Depuis le premier confinement de mars 2020, une dépendance croissante aux écrans, liée à leur isolement, est constatée chez les jeunes.

« Les jeunes, toujours sur leur téléphone ! » Difficile de contredire le dicton de nos grands-parents aujourd’hui. Selon une étude menée par l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (ONAPS), le temps d’écran chez les adolescents a augmenté de… 69 % en 2020. Visioconférence pour les cours, appel vidéo pour prendre des nouvelles de ses proches, télévision pour regarder des films… Force est de constater que les écrans ont dicté notre quotidien ces derniers temps. Ils sont devenus un peu plus nécessaires pour s’instruire, communiquer et se divertir.

Loin de toute activité sociale, il a fallu trouver une parade pour continuer à échanger avec le monde extérieur. Les moyens pour le faire sont nombreux et ils séduisent ! S’ennuyer comme un rat mort n’a pas été la solution pour ces jeunes qui ont «abusé» des technologies pour s’occuper. Faire un apéro avec ses amis sur House Party, devenir un prodige de la danse sur TikTok ou comprendre enfin le fol engouement de Fortnite, les occasions de les utiliser ne manquent pas. Pour ce faire, seulement un appareil doté d’une autonomie de six heures et d’un poids comparable à celui d’une mouche est requis.

Neuf heures d’écran une même journée

Ce gadget est comme un cinquième membre dont il est impossible de se détacher. Julie, une étudiante caennaise en informatique, a passé, le lundi 7 décembre 2020, neuf heures et vingt-quatre minutes sur son téléphone pour être précis. Soit plus d’une tiers d’une journée. « Ça ne me choque même pas, évacue-t-elle. Je suis consciente de cette consommation, je sais que c’est pareil pour mes amis. »

Ce temps devant l’écran peut poser une question rarement au cœur des débats. Cette surconsommation digitale est normalisée dans la société. Étant commune à une majorité de jeunes, elle apparaît comme un simple hobby. Dès lors, leur entourage ne se préoccupe toujours pas des risques psychologiques et physiques que ce type d’addiction induit. Invité sur le plateau de l’émission Quotidien, le jeudi 17 décembre 2020, le psychiatre Nicolas Franck, s’était alarmé des conséquences désastreuses du confinement, en particulier sur la santé des jeunes. Interrogé sur les addictions, il lâchait : « Le pire, c’est les écrans. C’est une personne sur six qui a perdu le contrôle des écrans après le premier confinement.» Les risques évoqués ? «Perte de liberté, perte de l’attention et de la mémoire, la perte de tout.»

Maladie ou simple changement générationnel de mode de vie, chacun a son avis sur le sujet. Néanmoins, pour la plupart des jeunes, cette utilisation est anormale. C’est une véritable épidémie du numérique qui a lieu. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, de nouvelles plateformes se sont développées dans l’optique de restreindre l’accès à certaines applications choisies pendant une durée limitée. Suffisant pour des personnes réellement dépendantes ?

«Besoin de pouvoir consulter mon téléphone quand je veux»

Se tourner vers un professionnel de santé semble ainsi plus approprié. « Je ne pense pas qu’une application m’aiderait, j’ai besoin de pouvoir consulter mon téléphone quand je veux », déclare Sarah*. Cette Caennaise de 20 ans était déjà victime d’une consommation excessive d’écrans avant le confinement : « Je suis née avec un téléphone entre les mains je n’ai pas de honte de dire que je rachète un téléphone régulièrement d’ailleurs.» Elle peut verser une somme conséquente pour asservir sa dépendance : « Cinq-cent euros mon dernier téléphone. Pour avoir un produit de qualité, il faut mettre le prix. »

Pour Gabin*, étudiant en communication à Ifs, cette dépendance est temporaire. « Je suis conscient d’utiliser deux à trois fois plus mon ordinateur, c’était le cas pendant le premier confinement et pourtant j’ai diminué à la sortie de celui-ci sans problème », décrit-t-il avant d’ajouter : « Bien sûr que je suis accro mais cela ne veut pas forcément dire que l’utiliser plus pendant le confinement signifie que je m’y accoutume. » L’addiction associée au confinement peut s’avérer plus ou moins grave en fonction de la durée de celui-ci et du comportement du dépendant.

« On tombe très vite dans le piège»

Cette cyber-addiction peut être à l’origine du développement d’autres dépendances sous-jacentes. Les jeux vidéo et les jeux d’argent en sont des exemples. Selon l’Autorité nationale des jeux (ANJ), le nombre de jeunes de 18 à 24 ans a plus que doublé sur les sites de paris durant les deux derniers semestres de 2020. Le pari sportif est la principale forme de jeu qui attire les jeunes.

« On tombe très vite dans le piège, il suffit de gagner une fois pour tomber dedans, raconte Laurie, une étudiante de 19 ans en chimie. Je parie essentiellement sur le foot et le tennis. Je peux d’ailleurs parier jusqu’à trois fois par jour. » Contrairement au premier confinement, des événements sportifs ont lieu durant ce deuxième et, dès lors, des jeunes comme Laurie peuvent s’y adonner.

Moins portée sur le hasard, une autre communauté se développe par le biais de la consommation des écrans, celle des gamers. Cette passion pour la manette qui n’est pas sans risque car elle peut entraîner une dé-socialisation, des troubles de l’humeur et du sommeil. Mais, en temps de confinement, il est sans doute plus difficile de noter l’apparition de ces signes. « Une fois en ligne, nous sommes tous plus ou moins victimes de cette consommation abusive mais comme elle est collective, elle n’est pas inquiétante », juge Gabin, adepte de la pratique.

Gabin, Laurie et les autres, tous les jeunes interrogés se sentent dépendants à leurs appareils. Cette addiction, sorte de maladie virale d’une génération, semble bien partie pour crever l’écran pendant un moment.

* Les prénoms ont été modifiés

Laurine David

Étudier en 2020, la galère des cours à distance

L’année a été rude pour les étudiants. Entre distanciel et présentiel, certains se sont perdus en chemin. Exemple chez quelques Caennais qui confient leurs difficultés à étudier en temps de crise sanitaire.

Le réveil sonne. Je me lève, me verse un café, et retourne dans ma chambre pour allumer mon PC et ouvrir mon lien Zoom. Zoom est récemment devenu mon logiciel le plus utilisé, devant Netflix, Instagram, et autres divertissements. C’est parti pour 1h30 d’écoute, ou plutôt de tentative d’écoute. Il est 8h30, je suis fatiguée. Hier soir, j’ai dû veiller tard pour réviser, car cet après-midi, j’ai un partiel de marketing. L’heure de cours passe lentement, très lentement… Trop lentement. Je me décide à faire autre chose. Je commence à travailler sur mon devoir d’expression, mais très vite, je me déconcentre. La voix du professeur ne correspond pas à ce que j’écris, et il est impossible de réussir à écouter et comprendre un cours en travaillant sur une matière qui n’a aucun rapport. Et voilà que je me laisse happer par les publicités et autres débilités du web…

Le cours est fini. J’ai trente minutes de pause avant d’avoir mon second cours, à 10h30. Je retourne me servir un café et fume ma première cigarette de la journée. Les autres étudiants vivent-ils ces cours à distance aussi péniblement que moi? Suis-je en plein décrochage? J’ai pourtant l’impression de travailler énormément. Même mon petit ami, qui habite chez moi pour l’instant, a l’impression de ne pas me voir de la journée. Alors que se passe-t-il? Et dans ce monde en plein effondrement, en pleine crise sanitaire et surtout sociale, ai-je un avenir? Bien décidée à en savoir plus, je décide de mener ma petite enquête.

Une communication compliquée

Je commencer par appeler mon amie Romane, qui fait partie de ma promo, en DUT Information-Communication. À l’inverse de mon ressenti, elle préfère suivre les cours en distanciel, même si elle trouve que «c’est beaucoup moins organisé». Elle évoque l’excellente entraide entre les étudiants, dont j’ai aussi été témoin. Cependant, ce point positif est nuancé par des relations parfois compliquées avec les professeurs, avec qui la communication n’est pas toujours optimale. Romane déclare aussi qu’elle a subi «moins de stress pour les partiels, parce que le présentiel est encore pire». Au début des cours à distance, elle a eu l’impression de décrocher complètement mais à l’approche des partiels, elle a réussi à se mettre à travailler efficacement et a donc abordé les examens plus sereinement. Au final, elle a eu, comme moi, l’impression de beaucoup plus travailler lors des confinements.

Fanny, étudiante en première année de cette même formation, s’est sentie délaissée, et a été gagnée par un profond manque de motivation. Elle reconnaît que cela dépendait bien entendu des cours, et des professeurs, car il est primordial de se sentir soutenu, écouté et poussé par les enseignants pour réussir. Au cours de notre échange, elle se souvient également avoir eu «peur des bugs informatiques, surtout pour les partiels, et du manque de temps». D’après elle, en effet, les professeurs donnaient du travail qui demandait bien plus de temps qu’il n’en était accordé aux étudiants.

Des professeurs «introuvables»

D’après Bastien, étudiant en L2 STAPS, l’année a également été difficile. Bien que certains professeurs ont été à l’écoute de leurs élèves et ont fait de leur mieux pour les épauler, d’autres sont restés cependant «introuvables», et «envoyaient des pages et des pages de cours, sans aucun cours en visio-conférence». Plus d’une fois, il a eu, comme moi et tellement d’autres, l’impression de décrocher de ses études. Cependant, comme pour les étudiants en Info-Com, Bastien a souligné l’entraide qui s’est mise en place avec ses camarades de promo pour surmonter cette épreuve collective.

En revanche, Anice-Lou, pour sa part, est passée par plusieurs phases. Au début, elle a beaucoup apprécié de pouvoir travailler à son propre rythme et s’est donc totalement… relâchée. Etudiante en première année de Langues Etrangères Appliquées, elle a trouvé cela «particulièrement difficile de se motiver seule». Une de ses plus grandes sources de stress était liée aux potentiels problèmes informatiques. «J’étais terrorisée à l’idée qu’un bug informatique efface tout mon travail», m’a-t-elle confié.

Cette année, inédite pour notre pays, a été source de beaucoup de stress chez les étudiants qui ont dû s’adapter pour réussir. Malgré un manque de communication avec les enseignants, j’ai réalisé que mes homologues avaient été très soudés entre eux, et c’est en grande partie grâce à cette solidarité que bon nombre d’entre eux ont tenu bon. Toutefois, en plus de la seule difficulté à suivre des cours à distance, certains se sentent abandonnés, habitent seuls dans des petits appartements, ont des problèmes d’addiction, sombrent dans la dépression et ont l’impression que le gouvernement leur «vole» leur jeunesse.

Alors en attendant le retour à un mode de vie normal, je m’adresse à tous les étudiants pour leur faire passer un message d’espoir et de persévérance: accrochez-vous!

Zélie Lambert

Étudiants et coronavirus, la crainte de penser à demain

La crise sanitaire qui s’est installée en France en mars 2020 a emporté avec elle les perspectives futures de millions de jeunes français en ne laissant qu’une traînée d’incertitudes. Formation à distance ou difficultés économiques, autant de facteurs qui ont perturbé leurs systèmes de vie et leurs ambitions.

À deux semaines du nouvel an 2021, l’ambiance festive de cette période de l’année ne sera sûrement pas au rendez-vous. Quand, au 1er janvier 2020 minuit, les cœurs étaient en joie et les esprits concentrés sur les nouvelles résolutions, nouveaux objectifs et nouveaux espoirs, pour cette année, la nuit de la Saint-Sylvestre rimera plus simplement avec… « couvre-feu ». Et la jeunesse n’aura sans doute pas la tête à la fête.

La difficulté des jeunes actifs

Le second confinement instauré en octobre dernier a entraîné la fermeture des universités. Pas facile donc pour ces étudiants, dont l’année 2020 devait être une année de transition sur le marché du travail. Comme le formulait Perrine, qui s’était confiée à nos confrères de FranceInfo en juillet dernier : « On n’a pas vraiment de perspectives et ça nous déprime. » Cette étudiante diplômée d’une école de commerce avait le sentiment d’avoir trop rêvé : « On nous avait quand même vendu un peu un rêve en école de commerce, qu’on finirait avec des beaux salaires à la sortie. »

Aujourd’hui, la Covid-19 a remplacé ces promesses par de multiples interrogations : « Est-ce que j’ai choisi les bonnes études ? Est-ce que c’était vraiment le bon choix ? ». Le compte rendu du 17 septembre 2020 de la Commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse est sans appel : « Parmi les données plus connues, 700 000 jeunes arrivent sur le marché du travail en ce moment même, sachant que 600 000 jeunes sont déjà au chômage. » Pas très « flatteur » pour une génération censée avoir « l’avenir devant elle ».

Les incertitudes des étudiants

La situation s’annonce d’autant plus difficile dans les systèmes universitaires. En plus des conséquences économiques qui entraînent les jeunes dans la précarité et les conséquences psychologiques pour certains, les étudiants ressentent de la difficulté quant à leurs cours à distance. C’est ce que nous explique Pierre (prénom d’emprunt), étudiant en L2 de droit en Normandie, « Le plus dur avec le distanciel et la période, je dirais que c’est la motivation qu’il faut garder. Il faut réussir à se motiver à travailler dans un environnement qui est plutôt un cadre de détente habituellement. »

Il ajoute : « Le rapport avec les professeurs est très différent, lui aussi. Il faut aussi réussir à jongler avec les différentes matières et modalités que chaque professeur a décidées individuellement. Certains envoient leurs cours directement par fichier tandis que d’autres se filment pour nous envoyer la vidéo… On n’a pas du tout le même suivi que d’habitude en distanciel ! » Le témoignage du jeune homme illustre bien les propos de la Commission d’enquête, selon laquelle « les étudiants ne sont pas suffisamment accompagnés ». Et que la formation à distance a des répercussions sur leurs poursuites d’études car ils existent « des conséquences fortes, notamment sur la capacité d’adaptation et l’autonomisation des jeunes qui rentrent dans le système universitaire ».

« Tout faire pour vivre un minimum normalement »

Ne se sentant pas isolé grâce à son entourage, Pierre se pose tout de même quelques questions, notamment sur la valeur de son diplôme par rapport aux années précédentes. Il se demande « si avoir été étudiant en 2020-2021 peut jouer ou non en [sa] faveur finalement ». Selon le « Baromètre de confiance dans l’avenir » réalisé par l’Étudiant, BVA et Orange en septembre 2020, sur un échantillon de 2 000 jeunes, 61% des interrogés se sentent stressés, mais les jeunes sont aussi « majoritairement optimistes » pour leur avenir avec 71%. Cette constatation appuie le cas de Pierre qui souhaite rester positif en gardant en tête son objectif principal : « Je veux faire un master qui me permettra de tenter ma chance au concours de l’Ecole Nationale de la Magistrature. Je veux devenir juge des enfants et malgré cette période compliquée, il faut continuer à tout faire pour vivre un minimum normalement. »

Finalement, le coronavirus n’a peut-être pas tout emporté mais redéfinit certaines priorités. Pierre se remet dans le contexte du nouvel an 2019-2020, où la «seule chose à penser» à l’époque était d’espérer «seulement être à la hauteur et travailler suffisamment pour avoir son année. Au final, avec le nouvel an 2020-2021, on se rend compte que ce n’est pas le plus important, que la santé passe avant toute chose. »

Maïwen LEMAIRE

L’isolement social des étudiants durant le confinement

L’isolement social auquel doivent faire face les étudiants est l’une des nombreuses conséquences négatives du confinement.

La solitude peut être un choix, là où l’isolement est subi et rarement souhaité. Les étudiants sont les premiers touchés et subissent les effets de ce phénomène. Selon une récente étude de l’Observatoire national de la vie étudiante, réalisée auprès de 3 000 étudiants, 31% d’entre d’eux se déclarent déprimés ou en détresse psychologique la plupart du temps.

Un sentiment d’isolement qui s’intensifie au fil du temps

Le confinement constitue une période difficile à gérer pour bon nombre d’étudiants qui se sentent perdus et désorientés face au manque d’interaction sociale. Cela concerne tous les étudiants confinés seuls, chez eux ou au sein de la maison familiale. Chloé, étudiante de 19 ans, est confinée dans son appartement de 22 mètres carrés dans le centre-ville de Caen. Et passe le plus clair de son temps dans une seule pièce, sa chambre. « Je me sens isolée parce que je suis isolée, formule-t-elle. Je ne vois personne à part le week-end où je croise mes collègues au travail. Je me sens très seule dans ma tête et le fait d’être seule physiquement rend cela encore plus dure mentalement je pense. »

L’isolement social ne touche pas que les étudiants confinés loin des autres. Certains sont retournés chez leurs parents mais ne vivent pas mieux la situation. C’est le cas de Tiffany, étudiante de 20 ans à Caen, qui n’a pas eu d’autre choix que de rentrer chez sa mère. Elle passe donc le confinement en pleine campagne, dans l’Orne, et bien qu’entourée de sa famille, elle se sent plus seule que jamais. « Mes relations avec ma famille sont conflictuelles depuis un bon moment ce qui m’amène à devoir cohabiter pendant le confinement avec des personnes à qui je ne parle plus », décrit-elle au sujet de ses rapports familiaux. L’isolement social peut donc se faire ressentir au sein même d’un groupe de personnes.

Une journée identique à la veille

Le phénomène ne laisse pas beaucoup de place à l’imagination. En effet, lorsque les interactions sociales se font rares, il reste peu de choses pour rythmer le quotidien et une sorte de routine s’installe peu à peu. « Toutes mes journées sont identiques, avoue Tiffany. Je me réveille avant le premier en cours en visio et je travaille jusqu’à 19h. Je regarde un épisode de série avant de me coucher et voilà. C’est la même chose tous les jours depuis des semaines. » Les étudiants doivent faire preuve d’optimisme malgré l’enchaînement répétitif des journées et lutter contre l’oisiveté qui s’installe peu à peu.

Aussi, la quantité de devoirs, de cours, de dossiers et de partiels se multiplie en cette période jamais vue. Le rythme s’accélère et ne laisse plus beaucoup de temps aux étudiants pour se changer les idées et prendre du temps pour eux. En effet, la situation réduit grandement les relations entre professeurs et élèves et ces derniers sont submergés de devoirs.

Selon Tiffany, « l’IUT nous donne beaucoup de travail en même temps sans forcément adapter ses attentes. La fin de semestre, c’est déjà une période stressante en temps normal mais là c’est encore pire. » Le manque d’adaptation des professeurs au contexte renforce le sentiment d’isolement des étudiants qui se sentent incompris et laissés pour compte. Le fait de ne pas côtoyer leurs amis n’arrange rien car il n’y pas la possibilité de se serrer les coudes. Leurs seuls contacts se font virtuellement et cela donne la sensation d’être complètement isolé du reste du monde.

Un cercle vicieux dont il est difficile de sortir

Une habitude se prend vite mais se perd tout aussi vite. Passer deux mois confinés dans leur bulle et coupés du reste de la population peut faire prendre aux étudiants de mauvaises habitudes. La lassitude des cours, la baisse de motivation en font partie. Mais la sociabilité est l’une des premières choses impactées par l’isolement. En effet, les étudiants perdent l’habitude de côtoyer d’autres individus, de parler, surtout pour ceux qui sont confinés seuls, et cela peut être à l’origine de phobie sociale, de dépression et principalement d’une perte de sociabilité…

Chloé en est d’ailleurs l’une des victimes : « Même s’il y a les réseaux sociaux, j’ai un peu perdu ce goût de discuter avec des gens car ce n’est pas réel et je n’ai même plus envie de parler à d’autres personnes finalement je m’isole à cause de l’isolement ». Un cercle négatif qui touche la majorité des étudiants et dont les impacts sur la perte de confiance en soi, le décrochage scolaire et le bien-être mental ne sont pas à négliger.

Gwenaëlle Gatheron

La mal-être d’une « génération sacrifiée »

8h25, le réveil sonne. 5 minutes pour ouvrir les yeux, allumer son ordinateur, lancer Zoom avant que le premier cours de 8h30 commence. C’est la routine matinale de nombreux étudiants depuis que leurs enseignements se déroulent à distance. Les yeux à moitié ouverts, Mathilde Fougère, étudiante en communication, prépare son petit déjeuner pendant que son professeur fait l’appel en guise de fond sonore.

Comme l’a annoncé Emmanuel Macron, le 24 novembre dernier, les étudiants ne devraient pas retrouver le chemin des universités avant mi-février, ce qui ne manque pas de causer le découragement de beaucoup d’étudiants. D’après une enquête de la Fédération des Associations Générales Étudiantes (FAGE), 8 étudiants sur 10 ont le sentiment d’avoir décroché pendant le confinement.

Aussi, plus d’un étudiant sur deux déclare que son projet d’orientation professionnel pour l’année prochaine a été impacté en raison du confinement et du Covid. L’inquiétude généralisée des étudiants préoccupe le corps universitaire. Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg avait déclaré lors d’une interview pour France Info que « tous les indicateurs aux niveaux national et international sont au rouge pour la santé mentale. Je crois qu’à terme, ça tuera plus que le virus. »

En permanence, «la tête dans le guidon»

Les étudiants le confirment. Derrière le silence des mosaïques de prénoms, ce n’est pas la paresse qui prédomine mais surtout un sentiment de découragement et d’inquiétude. Tous s’accordent pour dire qu’ils commencent à venir à bout psychologiquement de ce mode de travail qu’ils n’auraient jamais imaginé si long.

Florine Duhamel, étudiante en première année d’orthophonie à La Sorbonne confie : « Même si on sait que ce n’était pas dans notre intérêt, je pense que le fait de savoir qu’on pourrait avoir les cours sous les yeux lors des partiels a participé à notre décrochage. »

Mais le plus dur reste sans aucun doute le fait de rester assis à la même place pendant des heures, sans jamais voir autre chose que les quatre murs de son petit appartement étudiant. Raphaël (prénom d’emprunt), étudiant en design graphique, explique que sa démoralisation est liée à ces journées qu’il passe dans le même espace de travail depuis mars dernier, sans réussir à se consacrer un petit peu de temps libre. « On a la tête dans le guidon. Avant, rien que le temps des transports pouvait être un moment pour penser à autre chose mais là c’est impossible de sortir la tête de l’eau », explique-t-il.

Le projet Erasmus avorté

À ce quotidien recomposé s’ajoute la tristesse de voir certains projets partir en fumée. Julie Richard, étudiante en deuxième année de licence de biologie à Évreux, indique avec regret qu’elle devait réaliser son troisième semestre aux Pays-Bas, en Erasmus. Un projet rendu impossible en raison du contexte sanitaire global.

À cela s’ajoute la tournure ridicule que prennent certains cours à distance lorsque professeurs ou étudiants rencontrent des difficultés pour maîtriser les outils technologiques. Julie raconte que si le prof a une mauvaise connexion internet, il est difficile de suivre car le son coupe. Elle rajoute en plaisantant à propos de la qualité des micros de certains intervenants : « On dirait un bruit de radio qui grésille quand tu passes dans la forêt. C’est difficile de suivre. »

Avec ce confinement, les inégalités explosent. Il y a ceux qui auront les moyens d’acheter du matériel ou de prendre un professeur particulier et ceux qui n’auront pas le bon environnement de travail ou une mauvaise connexion. Bien que le gouvernement ait apporté des aides aux étudiants boursiers et aux entreprises qui accueilleraient des jeunes en CDD, CDI ou contrats de formation, les étudiants restent pour la majorité dans l’incertitude et l’angoisse de leur futur.

Lors d’un live Instagram avec la Youtubeuse Romy, dimanche 3 janvier 2021, Gabriel Attal porte-parole du gouvernement s’est exprimé en répondant aux questions de la communauté de la jeune influenceuse. Mais c’est avec maladresse qu’il s’est exprimé sur la non-fermeture des lycées : « On s’est rendu compte que la fermeture des écoles avait un vrai impact sur le décrochage scolaire, et sur la santé mentale des jeunes », « les étudiants ne vont plus à la fac depuis plusieurs mois, c’est hyper dur pour eux et évidemment ça on ne veut pas que les lycéens aient à le vivre aussi ». Rien de tel pour donner encore plus aux étudiants ce sentiment d’appartenir à une « génération sacrifiée ».

Anaïs Peron

Photo : Nathan Deslandes

« Le sport s’apprend en pratiquant »

Pour Nathan, étudiant de 19 ans en troisième année de licence STAPS à l’université de Caen, la crise sanitaire du COVID-19 n’est pas sans conséquence. Sa vie est rythmée par le sport depuis toujours : des études dans une filière sportive, des loisirs sportifs, la volonté d’un avenir tourné vers le sport… Il ne s’imaginait pas qu’un jour, il suivrait une formation du domaine sportif derrière un écran d’ordinateur…

Toutes les filières d’études supérieures doivent faire face à cette crise sanitaire, le sport tout particulièrement. La licence STAPS est une filière qui demande de la pratique et nécessite une présence en cours. Le premier confinement avait été une source de découragement pour Nathan et ses camarades. À la rentrée de septembre 2020, l’espoir avait à nouveau rempli la tête des stapsiens caennais quand le présentiel avait été remis en place pour les pratiques. Cette joie n’a été que de très courte durée.

Dans certains disciplines, les cours de pratique n’ont même pas pu débuter. Nathan nous a confié les difficultés qu’il rencontre. La réglementation mise en place par l’État a poussé l’administration de l’UFR STAPS à trouver des solutions rapidement. Ainsi désormais, comme le rapporte notre jeune étudiant, les notes en sport seront basées à 100% sur le théorique. Cette part ne représentait que 50% avant cela.

Une solution qu’il juge bancale car elle met en péril les résultats du semestre. Après discussion avec certains de ses camarades, il n’est pas le seul à se sentir «en danger» à cause de ces nouvelles modalités. L’avis est unanime : les notes auront forcément tendance à partir à la baisse car il est plus difficile d’avoir une bonne note en théorie qu’en pratique.

Au cours de notre échange avec Nathan, ce dernier nous partage qu’en troisième année, il effectue un stage tout au long de l’année. Avec un de ses camarades, Aymeric, il donne des cours d’EPS tous les lundis à une classe de sixième dans un collège d’Argentan (Orne). Et même en stage, la COVID-19 « fout le bordel » comme il a si bien dit. Jusque là, les vestiaires étaient fermés, les sports collectifs sont toujours interdits, il faut désinfecter de façon systématique le matériel, vérifier que les élèves se lavent les mains, le port du masque est obligatoire pour les enseignants et pour les élèves jusqu’au moment de la pratique et pendant les explications…

Apprendre le métier sur le terrain demande beaucoup de travail mais dans de telles conditions, les efforts d’apprentissage doivent être doublés. « On doit revoir ce qu’on nous a appris pour l’adapter. Il faut apprendre à faire face aux élèves, apprendre à enseigner un sport, et les règles sanitaires à appliquer… »  

«Ouais, la COVID-19 chamboule ma vie»

Pour Nathan, le sport ne s’arrête pas à ses études. C’est aussi son loisir, sa façon de se détendre, de passer du temps avec ses amis. La pratique de sport représente la moitié de son temps. Depuis maintenant 10 ans, le football fait partie intégrante de son quotidien. Membre du club d’Argentan, il s’y entraîne deux à trois fois par semaine et ses weekends sont rythmés par des matchs.

Le confinement a mis fin à sa pratique de sport en club pour l’instant. Son équipe et lui n’ont aucune idée de quand les entraînements reprendront. À ses yeux, les entraînements de foot c’était bien plus que de se dépenser physiquement ou « courir après un ballon ». C’était de la convivialité, l’esprit d’équipe, la joie de gagner un match, les verres qu’on prend entre potes avant et après les entraînements dans les bars d’Argentan. « C’était les potes, la belle vie quoi. »

Le premier confinement avait été un coup dur pour notre jeune sportif mais ça ne l’avait pas découragé pour autant. Il en a profité pour se mettre à la course à pied, qu’il détestait auparavant et qu’il a appris à aimer, et pour faire du renforcement musculaire. Il a même eu la détermination de se lancer dans un programme de sport nommé «Insanity», une séance par jour de cardio d’environ 45 minutes. Et comme si cela ne suffisait pas, ce jeune homme déterminé se rajoutait même du renforcement musculaire.

« Être confiné et ne plus pouvoir faire les entraînements de foot, ça m’a donné envie de revenir encore plus en forme pour battre la concurrence »

C’était sans compter la deuxième vague dans laquelle la France est désormais plongée. Nathan nous confie que le deuxième confinement lui a fait perdre toute sa motivation. Il continue de courir mais de façon moins fréquente, il fait essentiellement du renforcement musculaire. La situation est pesante et déprimante, les cours en visioconférence sont très prenants et laissent peu de temps, le temps automnal ne donne pas la motivation de courir dehors.

Il a soulevé des problèmes importants, auxquels la plupart des amoureux du sport comme lui doivent faire face : le manque de matériel notamment, l’ennui et la routine qui s’installent rapidement quand on aime les sports collectifs. Ce deuxième confinement c’est à nouveau un gros manque dans sa vie mais aussi une grosse frustration. Celle d’avoir eu une joie immense à l’idée de reprendre les entraînements de foot en septembre dernier, malgré les règles sanitaires, mais qui n’a été que de très courte durée. « À tout moment on reprend le foot et c’est à nouveau arrêté, ça démotive. » La voix pleine de tristesse, nostalgique des moments passés, il nous confie son « ras le bol ».

«La COVID-19 met en péril mon avenir»

Heureux d’avoir enfin l’occasion de faire parler des difficultés du monde sportif face à la COVID-19, Nathan n’a pas hésité à nous partager ses inquiétudes pour l’avenir. Il nous explique que les masters sont sélectifs. Son objectif est d’intégrer le master MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) de Caen pour devenir professeur d’EPS. Mais les places sont limitées, les notes de pratique de sport étaient celles sur lesquelles il misait pour avoir le meilleur dossier possible. Et puis plus largement, selon lui, c’est impossible d’enseigner un sport qu’on a jamais pu pratiquer. « Il faut vivre les sports, les pratiquer pour les enseigner correctement. »

Malgré sa colère et sa frustration, ce grand amoureux du sport essaie tant bien que mal de voir le verre à moitié plein. Cette crise sanitaire et le confinement lui auront permis de découvrir des pratiques sportives qu’il boudait auparavant comme la course à pied, la musculation ou encore le cross fit. Dans ce marathon face au virus, il n’a pas l’intention de se laisser abattre.

Tiffany Chirault

Les résidences

De quelques jours à plusieurs semaines, les journalistes et photographes de Grand-Format s’immergent dans un établissement scolaire, une médiathèque, une ville... pour y mener des ateliers d’éducation aux médias et un travail journalistique. Avec des jeunes et des moins jeunes, nous construisons ensemble ces éditions spéciales de Grand-Format issues de ces résidences.