Entre précarité menstruelle et tabou gynécologique

En 2021, 18,46% de la population française est considérée comme vivant sous le seuil de pauvreté selon l’INSEE. Ce chiffre ne fait qu’augmenter, notamment chez les étudiants, en lien avec la crise sanitaire. Parmi les difficultés les plus significatives, la précarité menstruelle, qui touche une femme sur cinq selon l’association Règles Elémentaires.

Définition : être dans l’impossibilité, temporaire ou permanente, de se procurer des protections menstruelles adaptées. Difficile à évaluer, le budget alloué aux protections hygiéniques dans une vie s’élève entre 5 000 et 25 000 euros. Pour beaucoup d’étudiantes, c’est une charge de trop. Elles préfèrent alors renoncer à aller en cours ou se voient obligées de fabriquer leurs propres protections de fortune avec des mouchoirs, chaussettes ou éponges, malgré les risques pour leur santé, pouvant aller jusqu’au choc toxique.

En février 2021, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, annonce la mise à disposition gratuite de protections périodiques pour les étudiants dès la rentrée. Un mois plus tard, en mars 2021, l’université de Caen fait installer un distributeur au sein du Service Universitaire de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé (SUMPPS) par le collectif caennais SangSationnel. Celui-ci est placé en retrait des bureaux, pour ne pas freiner l’accès, par pudeur ou pour préserver l’anonymat des jeunes précaires. Le personnel du SUMMPS explique avoir des listes d’attente pour la prise des rendez-vous concernant les sujets autour de la santé corporelle.

Un tabou persistant:

«La tâche aux fesses»
«Demander à sortir et cacher sa serviette dans sa poche.»
«T’aurais pas une serviette?». En chuchotant…
«Pourquoi t’es énervée, t’as tes règles?»

«Les règles, un élément de stigmatisation et de discriminations »

Aux côtés du collectif Sangsationnel, d’autres associations se mobilisent sur la question, dont Assureipss ou SangProtection. Cette dernière a répondu à nos questions.

D’où est venue l’idée de votre association?

L’association est née de la rencontre entre Jeanne Maneuvrier et Juliette Benguigui, en février 2019. Nous discutions de la précarité menstruelle et des discriminations de genres, et nous voulions aider à notre échelle. Ainsi, nous avons réfléchi aux initiatives que nous pouvions concrètement mettre en place. D’abord l’aide directe aux personnes en situations de précarité nous est venue, puis la nécessité de sensibiliser à ces sujets par le biais d’ateliers et d’activités ludiques nous est apparu évident.

Quel en est l’objectif?

L’association a deux objectifs, le premier est de fournir une aide concrète et directe aux personnes dans le besoin par le biais de collectes de dons de protections et de redistributions grâce à nos partenaires. Le second est de sensibiliser différents publics, et notamment les jeunes, au tabou des règles, à la précarité menstruelle et aux discriminations.

Pourquoi est-ce un sujet aussi important pour vous?

Le sujet des règles est important, car il concerne plus de la moitié de la population mondiale mais est encore tabou. Il y a peu de sujets qui sont si peu abordés en société alors qu’ils concernent tant de gens. Les règles sont un élément de stigmatisation et de discriminations très fréquent. Nous sommes aussi parties de notre expérience, de blagues, de moqueries et même de situations que nous avons pu vivre comme embarrassantes et qui sont partagées par de très nombreuses personnes. La précarité menstruelle est un problème de société qui n’est pas abordé, mais pourtant des solutions doivent être trouvées, et cela ne pourra se faire que si les gens en parlent. Il faut libérer la parole sur le sujet des règles et également de la précarité menstruelle.

Êtes-vous fiers des projets menés jusqu’alors?

Nous sommes très fiers de l’évolution de l’association. En février 2019, nous étions deux à avoir eu une idée. Aujourd’hui nous sommes une association étudiantes composée de 14 membres, dont les initiatives ont été labellisées à deux reprises par ONU Femmes France en 2020 et 2021, et nous avons été sensibiliser des jeunes européen.ne.s au Parlement Européen de Strasbourg. Nous avons fait beaucoup de chemin en peu de temps. De plus, malgré la crise sanitaire, nous avons réussi à continuer des collectes et des interventions auprès du public. Je pense qu’aucun d’entre nous au sein de l’association n’aurait espéré pouvoir mener toutes ces actions.

Jusqu’où pensez-vous pouvoir aller?

C’est très difficile à estimer. Nous travaillons en partenariat avec la structure Youth Feminist Europe, qui met en relation des associations et collectifs de toute l’Europe pour développer une campagne liée à la précarité menstruelle. Nous espérons que cette initiative aura un impact. Il y a encore quelques mois nous étions à Hérouville Saint-Clair, mais début octobre nous avons été invités au Parlement Européen pour sensibiliser des jeunes européen.e.s. L’évolution est assez rapide, et nous sommes excités et ambitieux, donc nous irons le plus loin possible.

Ce sujet est géré par des associations et des collectifs, mais pas par les institutions.

Pensez-vous que ce problème de précarité puisse être éliminé dans les années à venir?

Malheureusement, je ne pense pas. Pour que le problème soit vraiment pris en charge, il faudrait que l’État s’en mêle, si ce n’est l’Union Européenne mais aucun des deux ne semble pour l’instant en faire un vrai sujet de discussion. Cependant, de belles initiatives ont été mises en place, comme la gratuité en Écosse, mais cela reste trop localisé. Le gros souci c’est que ce sujet est géré par des associations et des collectifs, mais pas par des institutions gouvernementales.

La crise sanitaire a-t-elle impacté cette question?

Évidemment, la crise sanitaire a impacté les plus en difficultés, dont les personnes en situation de précarité. On a vu un afflux de jeunes dans les structures d’aide alimentaire et d’hygiène. Nous en avons discuté avec le Secours Populaire d’Hérouville qui sont nos partenaires et ils ont eu une grosse demande de produit d’hygiène, ce qui n’était pas le cas avant.

Êtes-vous satisfaits de ce qui est mis en place dans les universités suite à l’annonce de Frédérique Vidal?

C’est un début encourageant mais ce n’est pas assez. Au moins le sujet est discuté au niveau gouvernemental et c’est essentiel mais comme je le disais, ce n’est pas une vraie discussion c’est une petite mesure isolée. Les étudiant.e.s sont un public qui est confronté à la précarité c’est évident, mais ce n’est pas le seul. Qu’en est-il des SDF, des migrant.e.s, des personnes handicapées, des personnes incarcérées, des personnes vivant sous le seuil de pauvreté, des personnes isolées? Il faudrait au moins étendre ces mesures à toutes les personnes en situation de précarité. Mais le mieux seraient d’avoir une politique harmonisée, inclusive et accessible à tou.te.s.

Trouvez-vous que le tabou autour des menstruations diminue grâce aux actions comme celles de votre association ou d’autres?

Je pense que le tabou diminue, la preuve en est des mesures de Madame Vidal. De plus en plus d’associations, de collectifs, de personnalités se mobilisent pour sensibiliser à ces sujets. Et c’est une excellente nouvelle, nous sommes persuadés à Sang Protection que l’éducation et la sensibilisation sont les clés. En effet, l’aide directe est indispensable mais par l’éducation et la sensibilisation, des solutions peuvent être trouvées au long terme, qui réduiraient ou supprimeraient la précarité menstruelle. Les collectes ne sont pas une solution viable, c’est essentiel mais il faut plus que cela pour que l’on n’ait plus besoin de ces collectes, et que les personnes sortent de cette situation de précarité menstruelle. Les associations et autres structures bénévoles et non gouvernementales ne peuvent pas avoir à trouver des solutions seules.

Agathe Maneuvrier-Hervieu

Revue d’actualité des étudiants : des articles rédigés par des étudiants de licence 3e année Humanités Numériques de l’Université de Caen, en octobre et novembre 2021, dans le cadre d’un module d’écriture journalistique encadré par Grand Format.

Les résidences

De quelques jours à plusieurs semaines, les journalistes et photographes de Grand-Format s’immergent dans un établissement scolaire, une médiathèque, une ville... pour y mener des ateliers d’éducation aux médias et un travail journalistique. Avec des jeunes et des moins jeunes, nous construisons ensemble ces éditions spéciales de Grand-Format issues de ces résidences.