Enquête : la face cachée du numérique

Les élèves de l’IUT Info-Com de Caen se sont penchés sur les solutions face aux défis écologiques. Voici une enquête menée sur la pollution du numérique.

Si le numérique était un pays, sa pollution serait 2 à 3 fois supérieure à celle de la France. Bien que l’usage du numérique semble immatériel, tout ce qui touche à notre consommation numérique pollue. À une ère où la transition écologique est sur toutes les lèvres, une transition vers un numérique raisonné est indispensable.

Une recherche sur internet, l’envoi d’un e-mail, le partage d’une photographie ou encore l’utilisation d’objets connectés, sont autant d’actions du quotidien auxquelles nous portons peu d’attention et qui pourtant sont les causes d’une pollution grandissante.

Bien que le terme de pollution numérique ait fait son apparition il y a dix ans, ce phénomène reste méconnu du grand public et ce malgré les nombreuses préventions et alertes lancées par diverses associations. Pas facile d’appréhender ce phénomène en grande partie invisible. Alors qu’on aurait tendance à penser que le numérique permet de réduire la consommation d’énergies sans avoir d’impact sur l’environnement, les différentes enquêtes réalisées sur le sujet montrent le contraire. Le numérique ne produit pas une pollution virtuelle, mais bel est bien réelle, avec qui plus est un impact environnemental conséquent.

Concrètement la pollution du numérique c’est quoi ?

Ce terme désigne toute pollution, numérique ou digitale, engendrée par les nouvelles technologies, que ce soit par leur processus de fabrication ou par le fonctionnement du réseau internet. La fabrication d’un ordinateur, le stockage des e-mails ou encore les méthodes de refroidissement des data centers, sont autant de facteurs de cette pollution grandissante. Une enquête réalisée par Green It, publiée en octobre 2019, comptabilise cette année, 34 milliards d’équipements électroniques dans le monde, pour 4,1 milliards d’utilisateurs, ce qui ne fait pas moins de 8 objets par personnes. La répartition de ces derniers se faisant de façon inégale suivant les différentes parties du monde.

L’impact environnemental du numérique, chaque année, en quelques chiffres :

→ 6 800 TWh d’énergie primaire

→1 400 millions de tonnes de gaz à effet de serre 

→ 7,8 millions de m3 d’eau douce

→1 300 TWh d’électricité consommée

Oui, mais concrètement, cela veut dire quoi ?

Si le numérique était un pays, il serait le 3e plus grand consommateur d’électricité au monde, derrière la Chine et les États-Unis. Son empreinte écologique serait 2 à 3 fois supérieure à celle de la France.

Le total des e-mails d’une société de 100 personnes génère une pollution annuelle égale à 13 allers-retours entre Paris et New York.

Chaque année, des millions d’équipements électroniques sont jetés dans le monde : cinq mille fois le poids de la Tour Eiffel, soit 50 millions de tonnes.

Le numérique consomme 5 fois plus de ressources naturelles que le parc automobile Français.

4% des gaz à effet de serre dans le monde sont dus à la pollution du numérique. Son empreinte est supérieure à celle du transport aérien.

Enfin le numérique c’est 10% de l’électricité mondiale, une consommation qui n’est pas négligeable.

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Quelles sont les causes de cette pollution ?

D’après les experts, cette pollution et ses causes pourraient s’expliquer selon une “règle des trois tiers”.

Le premier viendrait des équipements. Selon l’ADEME, ce seraient les plus gros consommateurs, puisqu’ils seraient responsables de 47 % des émissions de gaz à effet de serre générées par le numérique. Tous ces appareils, que ce soit notre ordinateur personnel ou une télévision par exemple, sont très gourmands en énergie. Fabrice Flipo, maître de conférences à Télécom et management SudParis, explique que “90 % de l’énergie consommée par un smartphone est à la fabrication” et une enquête réalisée par l’ADEME, The Shift Project et Greenpeace révèle que la fabrication d’un ordinateur nécessite : 240 kg de combustibles fossiles, 22 kg de produits chimiques et 1,5 tonnes d’eau. De plus, ces outils numériques ne sont pas recyclés, ce qui constitue une véritable catastrophe écologique puisque cela contribue à la pollution des sols.

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Le second tiers est celui des data centers, qui, pour leur part, constituent 25 % des émissions. Ces centres sont utilisés pour stocker et traiter une grande quantité de données. Ces différentes actions au sein du data center consomment énormément d’électricité et dégagent de la chaleur. Il faut donc les refroidir et cela engendre une autre surconsommation d’énergie : ce système de refroidissement représente souvent 50 % de la consommation électrique d’un data center.

De plus, selon une étude de l’institut Uptime sur les data centers nord-américains, 30 % des serveurs de ces “salles machines” sont alimentés en électricité pour rien, car ils ne délivrent aucun service utile.

Le dernier tiers est celui des infrastructures réseaux, qui sont responsables de 28 % des émissions de gaz à effet de serre. Ce sont des millions de kilomètres de tuyaux et tunnels en tout genre qui transportent nos données. Et encore une fois, ces réseaux nécessitent énormément d’énergie pour pouvoir fonctionner correctement.

Qu’en est-il des solutions ?

Bien que de nombreuses solutions sont envisageables, il existe un cruel manque d’informations quant à la pollution numérique. D’après Éric Porcq, professeur de base de données à l’IUT Grand Ouest Normand, ce manque d’information serait notamment dû au fait qu’on s’intéresse depuis trop peu longtemps à cette pollution. La pollution des sols, de l’eau, de l’air, sont, depuis quelques années, omniprésents dans les actualités, et sont déjà compliqués à régler, notamment à l’échelle individuelle. De simples actions du quotidien ne sont pas acquises par toute la population. Il est compliqué de faire changer les habitudes d’une population qui n’a pas découvert le numérique en apprenant directement ses impacts négatifs. “Les gens pensent toujours qu’à petite échelle, cela ne fait pas grand-chose” souligne Éric Porcq. Mais c’est le contraire, et pour le numérique, c’est peut-être même plus impactant d’agir à petite échelle.

Comment agir à l’échelle individuelle ?

Le point principal pour réduire son empreinte numérique, c’est d’éviter de remplacer trop souvent nos équipements numériques. En effet, si l’on garde une tablette ou un ordinateur 4 ans au lieu de 2, cela améliore de 50 % son bilan environnemental. Ce qui pollue dans ces équipements, c’est surtout leur cycle de vie. L’extraction des ressources, la conception, le transport, l’utilisation et enfin leur destruction, sont tout autant d’étapes polluantes. Il faut donc s’équiper de manière raisonnée. Il n’est pas forcément utile de posséder un smartphone, un ordinateur portable, un ordinateur fixe, une tablette et bien d’autres encore.

Une enquête de l’ADEME met également l’accent sur le reconditionnement des appareils, vendus après avoir été nettoyés et remis en état, quasiment neufs et très performants. Cette façon de consommer le numérique permet de limiter la consommation d’énergie ainsi que celle des matières premières et de réduire la création de déchets.

Pour Éric Porcq, il est également important de faire attention à la duplication des données. C’est notamment le cas avec les e-mails. L’envoi et le stockage de ces derniers consomment du CO2. Ce serait, d’après Consoglobe, 19 g de CO2 pour un e-mail envoyé avec pièce jointe, et en moyenne 10g de CO2 pour un mail stocké durant un an. Bien que supprimer tous ses mails inutiles puisse paraître fastidieux, certains site et applications ont vus le jour, notamment CleanFox, pour supprimer ces mails inutiles et se désabonner automatiquement des newsletters qu’on ne lit jamais. D’après CleanFox, ce serait 90 % des mails que l’on reçoit qu’on ne lit jamais.

Le cloud pollue lui aussi de façon conséquente. En effet, stocker des données sur le cloud entraîne des allers-retours entre l’utilisateur et les serveurs et nécessite plus d’énergie que si ces données étaient conservées localement. Son utilisation est à éviter, il vaut donc mieux stocker une donnée localement, sans la dupliquer, dans son disque dur, et la partager si besoin, plutôt que de permettre son accès n’importe où, à n’importe quel moment. De plus, “la promesse du Cloud, explique Frédéric Bordage, fondateur et directeur du site d’actualités du numérique responsable GreenIT, c’est que vous allez pouvoir accéder à vos données de n’importe où avec n’importe quel équipement. Le Cloud nous incite à multiplier les équipements. Plus on ajoute des objets, plus on ajoute de l’empreinte environnementale.

Pour les mails, l’ADEME donne également ses conseils pour réduire la consommation d’énergie. Lorsque l’on envoie un mail, il faut tout d’abord réduire le nombre de destinataires, notamment lorsque l’on utilise des listes de diffusion ou la fonction “répondre à tous”. Tout le monde n’est pas forcément concerné et le dupliquer consomme de l’énergie.

Finalement, réduire son empreinte numérique, cela revient aux mêmes pratiques que pour réduire sa pollution des sols, de l’air, de l’eau. Il faut consommer de manière raisonnée, et ne pas utiliser le numérique à outrance.

Comment agir à l’échelle collective ?

Le gouvernement aurait aussi sûrement une position à prendre. Mais son action se retrouve limitée quand on parle de duplication des données. “Le problème d’Internet, c’est sa circulation incontrôlable et sans frontière” indique Éric Porcq. D’après lui, le rôle de l’’État dans le contrôle des données est très compliqué à mettre en place.

Néanmoins, l’État a son rôle à jouer dans la consommation d’équipements, notamment de par son projet de loi qui viserait à créer un indice de réparabilité obligatoire pour tous les appareils électroniques. Proposée par l’association Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP), cette requête contenait d’autres demandes, et le créateur de l’association déplore que ces autres demandes n’aient pas été retenues. Le gouvernement agit, mais il y a encore du chemin à faire.

Il est également important de faire de la prévention.

Cela pourrait se faire dans le cadre de l’éducation scolaire. Sensibiliser les plus jeunes à l’empreinte numérique et aux actions individuelles envisageables pour permettre d’éviter toutes ces surconsommations inutiles et polluantes. On a aujourd’hui parfaitement conscience que les jeunes enfants assimilent et apprennent plus vite que les adultes. Alors que certaines scolarités proposent déjà des cours ou ateliers sur l’écologie, cela pourrait également se compléter avec une initiation à l’empreinte numérique. Néanmoins, cet apprentissage de l’écologie étant déjà peu présent de manière générale, le chemin pour que cela rentre dans l’éducation de base des enfants reste encore très long.

En bref, comme les activités industrielles, le numérique contribue au réchauffement climatique.

Et parmi les milliers de contenus publiés chaque jour, nombreux ceux qui sont moralement problématiques: violence, pédophilie, insultes, harcèlement. Un autre type de pollution qui pose également la question de notre consommation numérique et de savoir qui est chargé de modérer ces contenus, et quel est l’impact du numérique sur l’humain.(1)

(1) https://www.arte.tv/sites/fr/corporate/les-nettoyeurs-du-web-the-cleaners/

Lainé Juliette et Launay Louison (IUT info-com)

Les résidences

De quelques jours à plusieurs semaines, les journalistes et photographes de Grand-Format s’immergent dans un établissement scolaire, une médiathèque, une ville... pour y mener des ateliers d’éducation aux médias et un travail journalistique. Avec des jeunes et des moins jeunes, nous construisons ensemble ces éditions spéciales de Grand-Format issues de ces résidences.