« C’est notre morale qui entre en jeu pour choisir les ouvrages que nous proposons »

Lecteur éclectique, Guy Desbouillons est directeur de la médiathèque de Mortagne au Perche depuis 2019. Il nous éclaire sur la liberté des médiathèques et le rôle qu’elles peuvent jouer pour favoriser la liberté d’expression.


Comment décidez vous d’acheter des ouvrages ou des œuvres dans votre médiathèque ? Êtes vous libre de vos choix?

A Mortagne, on est très libres. Ce qui n’est pas forcement le cas dans toutes les médiathèques. Elles restent liées à la politique, parce qu’on est dirigés par des élus. Dans certaines villes, des élus peuvent mettre de la pression sur les bibliothécaires pour l’achat de certains livres… Cependant, dans le service public, il y a un principe de neutralité que les bibliothécaires ont à cœur de respecter. A Mortagne, nous n’achetons pas de livres politiques, sauf lorsqu’il s’agit de mémoires, comme cela est le cas par exemple pour le livre de Barack Obama. Le 21 décembre 2021, la loi Robert a été adoptée. Elle protège les bibliothécaires, en obligeant le pluralisme des œuvres. Si un territoire est soumis à des pressions, la bibliothèque peut invoquer cette loi, et aller jusqu’au tribunal.

Y-a-t-il une liste noire d’œuvres que l’on ne peut pas proposer dans les bibliothèques?

Il n’y a pas de liste noire, mais c’est notre morale qui entre en jeu. Les usagers sont aussi là pour réagir. Nous avions envisagé d’acquérir une édition critique du livre d’Hitler, Mein Kampf, appelée Mein Kampf: historiciser le mal. Le texte d’Hitler est accompagné de commentaires et de regards critiques de spécialistes. Ce livre qui est un manifeste politique et idéologique est traité comme un document historique. C’est le fait que le livre soit très volumineuxqui nous a faitrenoncer à cette acquisition. Généralement, nous n’achetons pas de livres idéologiques ou comportant des discours extrêmes. Cependant, nous ne nous privons pas d’acheter des fictions susceptibles d’apparaitre pour certains provocantes, et cela,sur des thèmes variés, comme le racisme, la sexualité… Ce n’est pas de la provocation pour provoquer mais plutôt une provocation libre. De ce fait, l’esprit critique des lecteurs se développe. Sans ça, tout serait lisse, il n’y aurait pas de regard, de pensée propre.

« L’esprit critique des lecteurs se développe. Sans ça, tout serait lisse, il n’y aurait pas de regard, de pensée propre. »

Comment la médiathèque peut elle favoriser la liberté d’expression des gens qui la fréquentent ?

La médiathèque de Mortagne est vouée aussi à être un endroit d’échanges, de discussions, grâce à une mixité transgénérationnelle. Nous proposons des livres, des films, de la presse… La lecture permet de nourrir une réflexion, développer une opinion et «construire» sa culture. Ainsi,il y a des rencontres comme le café philo ou tout récemment des projections de courts-métrages pour les enfants, pour inviter les gens à s’exprimer. C’est à nous de mettre certains thèmes en avant, pour donner envie de diversifier leslectures. En ce moment, c’est l’anniversaire des accords d’Evian qui ont mis fin à la guerre d’Algérie, en 1962. Nous mettons en avant des livres sur ce sujet.

Y-a-t-il des tentatives pour restreindre l’accès à certaines œuvres?

Aux Etats-Unis, dans les universités, des groupes de parents d’élèves contrôlés par des mouvements politiques incitent à censurer des livres parce qu’ils ne conviennent pas à leurs valeurs. Ainsi, par exemple, L’oiseau moqueur de Harper Lee, La servante écarlate de Margaret Atwood, les derniers films de Woody Allen ainsi que son autobiographie, sont mis au pilori.

Henry Mateo Mercier Axel Verel Paul-Antoine Ousteau Océane

Les résidences

De quelques jours à plusieurs semaines, les journalistes et photographes de Grand-Format s’immergent dans un établissement scolaire, une médiathèque, une ville... pour y mener des ateliers d’éducation aux médias et un travail journalistique. Avec des jeunes et des moins jeunes, nous construisons ensemble ces éditions spéciales de Grand-Format issues de ces résidences.