Avril 2025

La détresse des paysans face à la tuberculose bovine

Simon Gouin, Sophie Chapelle et Emmanuel Blivet (photos)

Faire abattre tout un troupeau, petits veaux compris, pour une bête porteuse de la tuberculose bovine. C’est le calvaire vécu par des éleveurs du Calvados et de l’Orne qui subissent un protocole sanitaire préventif afin d’éradiquer cette maladie. Un vent de révolte gronde parmi ces paysans.

Pendant longtemps, le silence régnait dans les campagnes sur ces abattages de troupeau. Tout juste entendait-on parler, chez les voisins des agriculteurs concernés, de vide-sanitaire. Les éleveurs encaissaient l’épreuve, sans faire de vague. Mais la détresse qu’ils éprouvent a déclenché un mouvement de mobilisation sans précédent en Normandie et dans le Pays-Basque, contre la gestion par l’État de la tuberculose bovine, une maladie infectieuse transmissible à l’humain par le lait cru provenant de vaches infectées ou par contact étroit avec des tissus infectés dans les abattoirs ou boucheries.

À l’origine de milliers de cas en Asie du Sud-Est et en Afrique, elle concernerait moins de dix cas humains, non mortels, chaque année en France. Pour éviter sa propagation en France – et la perte d’un statut national qui compromettrait la vente des bovins français à l’étranger – l’État applique un protocole sanitaire très stricte aux impacts destructeurs pour les éleveurs.

« Le jour d’un abattage total, tout s’effondre. »

Au sud de Caen, la Suisse-Normande, avec ses prairies vallonnées, est l’un des foyers des abattages de troupeau. Environ 45 élevages ont vécu ces abattages depuis 2013 et la réapparition de la mycobactérie à l’origine de la tuberculose bovine. Parmi eux, Jocelyn Bertrand, installé depuis 1999 dans une production laitière et allaitante. En 2023, ses 305 bêtes sont parties à l’abattoir, après qu’une vache de son troupeau a réagi positivement au test intradermique. « Toutes les semaines, un camion en emportait 40 », se rappelle l’agriculteur bio. « Le jour d’un abattage total, tout s’effondre, on n’a plus aucun point de repère quand les bâtiments sont vides. »

À l’abattoir, plusieurs tests peuvent être menés pour vérifier si les vaches tuées étaient positives. Un vétérinaire observe la cage thoracique pour détecter à l’œil nu des lésions caractéristiques de la maladie. Si des lésions sont visibles, des ganglions sont prélevés, une histologie (un examen des tissus biologiques) est effectuée ainsi qu’une mise en culture pendant 3 mois.

Jocelyn Bertrand, agriculteur en Suisse-Normande, touché par un abattage total en 2023.

Le lendemain de chaque départ vers l’abattoir, l’éleveur appelle les services de l’État pour savoir si des lésions sont retrouvées. « Premier camion, aucune. Deuxième camion, aucune… Cela a été comme ça jusqu’au 7ème. Aucun cas positif, à part la première bête qui avait réagi au test intradermique, raconte Jocelyn Bertrand. Vous pleurez toutes les larmes de votre corps. Tout le travail depuis 25 ans, celui de vos ancêtres, est rayé de la carte. »

« On aurait eu 20 ou 30 vaches positives, on aurait compris qu’il faille tuer toutes les vaches. Mais une ou deux… C’est démesuré ! »

Quelques mois plus tard, le paysan se rend à la Direction départementale de la protection des populations pour obtenir des réponses à ses questions et l’indemnité qui lui a été promis mais qui n’est pas encore versée. Les tests PCR du laboratoire confirment les observations des vétérinaires : une seule bête était apparemment positive.

En discutant avec ses collègues concernés, Jocelyn Bertrand découvre qu’ils partagent tous cette même situation : pour une ou deux bêtes positives, tous ont perdu la totalité de leur cheptel. « Cette situation est démesurée. On aurait eu 20 ou 30 vaches positives, on aurait compris qu’il faille tuer toutes les vaches. Mais une ou deux… C’est démesuré ! » « Aucune analyse n’est fiable à 100 % » atteste la vétérinaire Coralie Amar. « Il peut y avoir des faux positifs : des animaux réagissent alors qu’ils ne sont pas atteints. Si l’animal réagit, c’est parfois parce qu’il a déjà rencontré le germe mais pas celui de la tuberculose bovine. S’il y a bactérie, il n’y a pas forcément maladie. »

Repartir à zéro

Jocelyn Bertrand est contraint d’effectuer un vide-sanitaire, de tout désinfecter pendant plusieurs mois, avant de racheter des animaux grâce aux indemnités données par l’État. « C’était impossible de retrouver un cheptel, en bio, venant d’une même ferme », souligne-t-il. L’éleveur parcourt la France pour acheter progressivement 260 vaches venant de neuf exploitations, principalement au sud de la Loire, qu’il teste pour vérifier qu’elles ne portent pas de maladies susceptibles de contaminer les autres.

Les nouvelles bêtes ne sont pas habituées au climat et à l’herbe de la Normandie. Des conflits apparaissent entre elles. « La hiérarchie se crée sur une période très longue. Elles se battent pour désigner une patronne. Des bovins peuvent entrer en dépression », relate le paysan. Des vêlages prématurés sont provoqués par les déplacements, des problèmes de délivrance… Des maux bien connus des éleveurs qui travaillent pendant des dizaines d’années pour constituer un cheptel adapté aux conditions de vie locales, réduire les maladies courantes, obtenir une production laitière de qualité, et apprendre à connaître leurs bêtes.

En plus de ce travail fastidieux de reconstitution du cheptel, l’éleveur subit un stress permanent de revivre un abattage total. Parmi ses voisins, certains sont « contaminés » une deuxième puis une troisième fois. Les abattages se poursuivent. Avec toujours le même taux de positivité. Provoquant encore un peu plus la détresse des agriculteurs. « On est en 2025, et il n’existe pas de test qui permette de savoir si un animal est réellement porteur de la bactérie », regrette l’éleveur.

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