Dans la Manche, à Coudeville-sur-Mer, Gérard Coutance a sauvé sa ferme en accueillant des élèves de banlieue pendant des années. Une école de la vie dont l’aventure est racontée dans un très beau documentaire, La ferme à Gégé, sorti au mois de février dernier. Pour Grand-Format, la dessinatrice Hélène Balcer a illustré quelques scènes de ce film qui raconte le parcours de celui que tout le monde appelle Gégé.
Les îles Chausey
C’est par la fin que débute l’histoire de Gérard Coutance, dit Gégé, paysan dans la Manche, à Coudeville-sur-Mer. Une pancarte qu’il décroche, une promenade à la mer pour essayer de penser à autre chose.
Sur les îles Chausey, l’homme de 68 ans rencontre une connaissance:
«Les gamins me parlent encore de ta ferme. Ils ont tous un bon souvenir».
«Je suis fier de ça», répond Gégé. L’homme semble un peu bourru et taiseux. «Mon souci, ce serait que d’autres personnes fassent ce que j’ai fait, mais ailleurs. Il n’y avait rien d’extraordinaire chez moi, mais des choses simples. Écouter les gamins, les respecter.»
La couleur des cochons
Pendant des années, Gégé a accueilli dans sa ferme des groupes d’enfants.
«Qu’est-ce qu’il y a comme animaux dans la ferme?, demande-t-il.
Des cochons, répondent les enfants.
C’est de quelle couleur les cochons?, questionne Gégé.
Rose!, répondent les enfants.
Cela tombe bien, j’ai un cochon. Allez, on y va! » , entraîne Gégé, qui raconte : « On arrive, première provoc’: le cochon est noir. Ce n’est pas un hasard. Est-ce que c’est normal? Oui, des fois, il y a des enfants noirs.»
Un peu plus tard, Gégé rencontre une femme qui va s’installer dans une ferme. Il lui donne quelques conseils. «Comme les gamins sont fâchés avec l’humanité entière, tu laisses l’humain de côté, et les animaux sont les vedettes. Les gamins ont plein de tendresse et d’amour pour les animaux.»
Le repas de famille
Entre ses deux filles, Gégé écoute.
«On a vu nos parents bosser comme des fous, pour traire les vaches, produire du lait… et ne pas avoir de vacances, pas de voitures qui démarrent. On avait beaucoup d’amour, donc on n’a manqué de rien. »
«Avec que 20 vaches, parfois le lait n’était pas bon, il fallait tout jeter, payer des traites, prendre des emprunts, des emprunts pour payer les emprunts, cumuler.. Et maman pleurait beaucoup, à chaque emprunt.»
Gégé raconte la galère, l’engrenage de l’endettement… «Petit à petit, ce n’est pas un déclic, mais c’est les copains: Gégé a des difficultés, moi je peux faire un séjour avec des gamins. Si on va chez lui, ça va être sympa, et on va lui donner quelques sous». Voilà comment Gégé et sa femme vont commencer à accueillir du monde.
Hypnotiseur de poule
«Tous les soirs, dit Gégé à un groupe d’enfants, j’endors les poules. Je passe beaucoup de temps. » La poule devient immobile, au sol, sur le dos, au milieu des enfants. L’un d’entre eux chuchote, émerveillé: «C’est son métier!». Au cours des ateliers avec les scolaires, Gégé propose souvent à un enfant de venir devant tout le monde et de devenir le «professeur».
Le tronc d’arbre et la Dass
La ferme à Gégé est menacée. Les services de la Dass (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales) lui reprochent notamment d’avoir un tronc d’arbre qui ne serait pas aux normes européennes, dit Gégé. «Ils avaient décidé de m’emmerder», résume Gégé. Or, le tronc d’arbre sert aux enfants qui attendent pour se rendre aux toilettes. Dessus, on s’assoit, on grimpe, et on se cause. «Cela devient un lieu de rencontre, le tronc d’arbre. (…) Le respect, le partage, la tolérance, ça s’exerce ici, monsieur! C’est un outil pédagogique formidable.»
Être le premier à tendre la main
A la ferme, les enfants préparent une bouillie pour les cochons et les poules. Gégé explique comment il faut tendre la main pour que les poules viennent picorer la nourriture. Les enfants sont craintifs. Vont-ils avoir mal? A travers cette tâche, Gégé y voit un autre intérêt pédagogique: «Oser faire des choses comme ça et être le premier à tendre la main à quelqu’un qui fait peur et qui a une sale gueule et qui est soi-disant méchant. Et y trouver une satisfaction.»
L’école de Gégé
«A l’âge de 7 ans, mes parents m’ont mis à l’école communale. Il y avait un instit qui pratiquait la méthode Freinet (…). Il nous écoutait, on choisissait nos sujets de discussion et on exploitait chaque jour les sujets. (…) On se sentait respectés. Mais nos parents, qui n’avaient rien compris à l’histoire, nous ont retiré de cette école et ont chassé l’instituteur. On s’est retrouvé à l’école du patelin d’à côté. L’instit était très autoritaire: il n’y avait que lui qui avait raison. C’était épouvantable. J’ai connu les deux écoles, et je me rendais bien compte que l’un nous respectait, et que l’autre nous prenait pour des pantins.»
Les palmes
Normalement réservées aux enseignants, Gégé reçoit de la main d’un inspecteur de l’Éducation nationale les palmes académiques. «Vous êtes comme l’arbre, vous avez des racines mais vous grandissez, vous avez la volonté d’élargir votre horizon», dit l’inspecteur dans son discours. La médaille est accrochée sur le blouson en cuir noir de Gégé, qui lance des baisers à la foule qui l’applaudit. «On a fait la fête jusqu’à 5 heures du matin», raconte-t-il ensuite. «Les palmes, c’est moi qui les ai, mais c’est une œuvre commune, avec les parents et les enfants.»
«Cela ne se passera jamais sur un parking de supermarché tout ça»
Casquette sur la tête, Gégé imite un jeune passé par sa ferme. «Tu savais que les animaux faisaient l’amour? Je ne savais pas. C’est trop de la balle. J’ai vu l’âne de Gégé: il a niqué sa meuf devant moi. Je ne savais pas que les animaux ils faisaient ça. Ça déchire, il faut y aller…»
Une autre scène est partagée: des copains de Seine-Maritime viennent passer le week-end de l’ascension à la ferme. Ils vont tuer le cochon. Au même moment, des mamans musulmanes de Bobigny doivent aussi venir. L’organisateur du séjour est inquiet qu’elles arrivent à ce moment-là. Dès leur arrivée, Gégé leur explique la situation: elles lui demandent si elles peuvent venir assister à la tuerie. Le lendemain, 25 personnes sont rassemblées autour des cochons, dont l’un s’échappe…
Le soir, tout le monde fait la fête et chante. Les femmes de Bobigny s’enregistrent sur une vidéo pour remercier Gégé. «Il y a une chose dont je suis sûr, cela ne se passera jamais sur un parking de supermarché tout ça», conclut le paysan.
La ferme à Gégé
un film de Florent VERDET
« La ferme à Gégé » c’est le portrait haut en couleurs d’un agriculteur sous pression qui, pour échapper à la faillite, a ouvert sa ferme aux enfants des banlieues et s’est transformé en pédagogue virtuose. Drôle et touchant, le film revisite l’écologie, la paysannerie, et l’éducation populaire, depuis le point de vue rare d’un paysan éclairé, les deux pieds ancrés dans la terre. Produit par entre2prises & label Vidéo, en partenariat avec le CNC et Normandie Images et le soutien de la Procirep et de l’Angoa
Dessins : Hélène Balcer
Texte : Simon Gouin