Une énergie gratuite grâce au four solaire

Publié le 25 septembre 2023

Il y a quatre ans, Arnaud Crétot lançait sa première cuisson de pain au four solaire à Montville, au nord de Rouen. Aujourd’hui, l’expérience de sa coopérative NeoLoco a fait des petits et lui continue d’explorer et de diffuser un modèle énergétique alternatif.

Quand le soleil pointe son nez au-dessus de Montville, Arnaud Crétot est toujours prêt à lancer sa cuisson. Il faut une heure à LyteFire, le four solaire conçu par l’entreprise finlandaise Solar Fire, pour atteindre 250 degrés. Arnaud enfourne 38 kg de pains qui sortiront dorés à point une heure plus tard. Et fera l’économie de7,5 kW/h d’électricité, fournie gratuitement par le soleil. Le principe du four solaire est de concentrer les rayons du soleil, captés par un mur de 69 miroirs de 11 m2, en un même point: le four. «Comme s’il on cuisait un cookie avec une loupe orientée vers le soleil, mais en beaucoup plus puissant», schématise le boulanger ingénieur.

Arnaud Crétot a découvert Solar Fire en Inde alors que, jeune ingénieur sorti de PolyTech Nantes, il réalise un tour du monde des solutions énergétiques. Il en devient directeur technique. L’entreprise développe des concentrateurs solaires pour des boulangeries artisanales et des torréfacteurs en Afrique. Il décide de reproduire l’expérience en Normandie et lance en 2019, avec sa coopérative NéoLoco («néo fou» en espagnol), la première boulangerie/torréfaction solaire en Europe. Pour produire suffisamment de pain et rendre l’activité viable, il double la surface de son four l’année suivante, passant de 5 à 11 m2 de miroirs. Aujourd’hui, la coopérative emploie quatre personnes. Le four est mis en route tous les jours de soleil de la semaine, pour cuire le pain ou les graines, et est visité par des scolaires, des associations, des entreprises et des porteurs de projet en formation. Près de 150 artisans ont été formés depuis 2021.

La coopérative accueille régulièrement du public qui vient découvrir le fonctionnement du four solaire.©Neoloco.

Produire avec une énergie intermittente

L’alternative de NeoLoco consiste à s’adapter à l’énergie intermittente qu’est le soleil. Puisque celui-ci ne brillera en moyenne que 40% par jour en Normandie, on utilisera prioritairement ce temps pour la cuisson. «Il suffit de transformer le modèle économique en pensant l’organisation du travail en fonction d’une énergie qui ne pourra pas être utilisée en continu, poursuit Arnaud. Quand on raisonne comme ça, ça devient très simple.L’énergie est stockée dans le produit final. » La solution mérite d’être examinée, quand on sait que l’énergie en continue n’est déjà plus possible aujourd’hui. En témoignent les récentes coupures d’électricité rendues nécessaires par la pénurie ou la hausse des prix. «Le problème de la fourniture d’énergie est moins technique que sociétal, estime Arnaud. J’ai pu le constater lors de mon tour du monde : les stratégies énergétiques des pays répondent à des habitudes culturelles et historiques, qui n’ont rien à voir avec la science. En France, on apprend toujours dans les écoles d’ingénieur à trouver la meilleure solution technique qui permettra de fournir de l’énergie en continue.» À titre de comparaison, pour alimenter un four aussi puissant que Light Fire, il faudrait 70 m2 de panneaux photovoltaïques et une batterie de stockage. Une leçon qu’Arnaud prend aujourd’hui plaisir à énoncer lorsqu’il intervient en école d’ingénieurs!

«Ce sont surtout sur nos croyances qu’il faut travailler.Pour démocratiser des outils techniques, il faut imaginer le mode d’organisation qui va avec. La vraie difficulté est là, de casser les barrières des possibles.»

Le modèle qu’il diffuse dans ses formations et dans un livre récemment publié aux éditions Terre vivante, «La Boulangerie Solaire, un exemple pour un avenir radieux», est celui d’une utilisation d’une énergie intermittente dans le processus de production. La méthodologie se résume en quatre points. Premièrement, lister toutes les étapes, de la fabrication à la vente. Deuxièmement, identifier celles qui consomment de l’énergie. Troisièmement, prioriser les tâches énergivores quand l’énergie est disponible. Quatrièmement, gérer son entreprise par le stock plutôt qu’en flux tendu. «Pour les produits de conservation, comme les graines torréfiées, c’est simple. On les cuit quand le soleil est là et on réalise toutes les autres étapes de production, soit 90 % du process, le reste du temps.» Ce qui est vrai pour les graines l’est pour beaucoup d’autres produits industriels, comme l’industrie textile ou la construction. Véritable «laboratoire de recherche en milieu réel», NeoLoco expérimente actuellement la production de bardage en bois brûlé en lien avec une menuiserie locale, Noblessence. Le bois ainsi traité résiste mieux aux insectes et moisissures, réduisant l’utilisation de traitements ultérieurs.

Douze artisans en France

«Pour les produits périssables, comme le pain, il faut remettre à plat les savoir-faire et maximiser la production à chaque étape: utiliser une farine au levain, qui permet une plus longue conservation du pain, varier les temps de levée et de cuisson en fonction de l’ensoleillement disponible, précommander les pains à l’avance pour ne cuire que ce dont on aura besoin et livrer le jour prévu…» Et si vraiment le soleil ne se lève pas, cuire au feu de bois! «Avec ce système, on arrive à produire 90 kg de pain en une journée sans avoir à subir la hausse des coûts de l’énergie et donc à augmenter nos coûts auprès de nos clients». Preuve que le modèle est viable. Il est aussi reproductible: depuis l’expérimentation lancée par NeoLoco, douze artisans se sont lancés en France dans la torréfaction solaire, à Lyon, Montaigu, Rennes, Dieppe, Grenoble….

À Montaigu, entre Nantes et La Roche-sur-Yon, Michel Mouillé a acquis un four solaire en juin 2022, dans lequel il torréfie des graines locales et bio pour l’apéritif ou comme substitut au café. «Je viens d’essayer avec des mogettes de Vendée et des féverolles», lance-t-il. Cet animateur en éducation à l’environnement, bricoleur et touche-à-tout, avait déjà fabriqué des prototypes low-cost de four solaire pour un usage familial. Il s’est lancé dans une utilisation artisanale après avoir découvert Neoloco. «Je suis venu me former à plusieurs reprises, puis j’ai ramené d’autres personnes. Arnaud est devenu un ami.» Sa SARL Idées d’en faire, produit 80 kg de graines torréfiées par mois et propose des stages de fabrication de fours et déshydratateurs solaires. Dans la même logique que NéoLoco d’être un laboratoire en phase avec le réel, Michel Mouillé teste actuellement la fonte de plastique recyclé, en lien avec l’Atelier des Recycleurs fous de La Verrie, en Vendée, et imagine de ravitailler les festivals du grand ouest des premières frites solaires au monde!

Marylène Carre

[Cet article a également été publié dans le magazine en ligne Basta!]