Mars 2025

Un bureau derrière les barreaux

Marylène Carre (textes et sons) et Marie-Céline Nevoux-Valognes (photos)

Amélie, infirmière

« À la maison d’arrêt, j’ai des souvenirs liés à la violence. La violence entre détenus, celle que certains peuvent s’infliger pour rien. Des scarifications sur tout le corps, juste parce qu’ils n’ont plus de tabac. Ce qui ressort, c’est quand même la misère à tout niveau, sanitaire, éducative, sociale, affective.

J’ai appris ici que tout le monde ne nait pas égal.

Les traitements sont une grosse part de notre travail : traitements somatiques, de substitution ou pour des problèmes psychiatriques. Tous les jours après le repas, on va dans les coursives pour faire la distribution. Ils prennent plus de médicaments qu’à l’extérieur parce qu’il faut gérer l’enfermement, les frustrations, la mise à distance de leur famille, la cohabitation. Vivre ici, c’est compliqué. On fait de plus en plus de psychiatrie. Il y a des gens malades qui n’ont rien à faire là. Et il n’y a pas d’obligation de soin en prison.

Je suis à leur écoute, mais je dois poser d’emblée des limites, parfois invisibles, pour me protéger.  On ne peut pas répondre à toutes leurs demandes et on génère aussi beaucoup de frustrations.

Ils nous appellent infirmière ou parfois par nos prénoms. À la fois on préfère ça à « la petite, la grande, la moche, la vieille » car ils n’ont pas de filtres. Ils sont durs parfois. Parce nous, on les connait depuis longtemps, mais eux aussi ils nous connaissent depuis longtemps.

Je n’ai pas peur de l’enfermement. Quand je suis de garde le soir et le week-end, que le surveillant s’en va, ferme la grille, je suis toute seule. C’est quand même spécial. Mais ça ne m’a jamais posé de problème, surtout parce que j’entends et je sais qu’il n’est pas loin. »

Ecoutez le témoignage en entier.

Valérie, assistante de service social

« Comme pour tout accompagnement social, l’important est d’établir une relation de confiance avec le détenu. Nous ne sommes pas des juges, nous ne sommes pas là non plus pour donner notre opinion. Notre rôle est de les aider à comprendre, formuler leur problématique et trouver ensemble des solutions.

J’ai commencé à travailler jeune, femme, dans un univers essentiellement masculin et j’ai été confrontée à une ancienne génération de surveillants qui s’imaginaient que les travailleurs sociaux étaient les petites amies des détenus. Avec les années, les choses ont évolué dans le bon sens. Aujourd’hui, on travaille en équipe avec les surveillants.

La mise en détention, c’est d’abord l’isolement du reste de sa famille. Je me souviens d’un jeune majeur au parcours chaotique que j’avais accompagné, j’avais alors 20 ans. Sa seule famille était sa mère et je devais lui annoncer son décès. Il est rentré dans un état second, il est sorti du bureau en hurlant et un surveillant a dû l’attraper et le serrer dans ses bras où il a explosé en larmes.

Les détenus sont à l’abri des fréquentations, des conduites d’addiction, des tentations. C’est un moment où ils vont se poser. Lorsqu’ils ressortent, ils retrouvent leurs démons et les difficultés qu’ils ont laissées à la porte.

Parfois, on a peu de choses à dire et on est juste dans l’écoute. Avant de travailler sur les problématiques, il faut qu’on les connaisse. C’est ce qui est parfois frustrant en maison d’arrêt car le temps est assez court. Je ne vais pas faire des miracles, mais si je peux être un petit maillon de la chaine pour qu’une dynamique de changement s’opère, c’est déjà un bon point. » 

Ecoutez le témoignage en entier.

Fabienne, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation

« Le travail du conseiller d’insertion et de probation, c’est de donner du sens à sa peine, de rendre la personne autonome et acteur de sa détention. Pour cela, il faut qu’elle soit dégagée de tous ses besoins vitaux, prête à entendre et à réfléchir sur son histoire. Des fois en détention, c’est de la survie.

On a chacune notre effectif et on accompagne le détenu durant toute sa peine avec l’objectif de travailler l’accès au logement, aux soins, à l’emploi et à la formation. On tourne à temps plein avec quatre-vingt dossiers. En maison d’arrêt, on a des gens qui arrivent et sortent tous les jours, donc ce sont de nouveaux dossiers qui se cumulent. Le matin, on ne sait jamais comment la journée va se passer. Avec toutes les instances, les entretiens, les rapports, nos réunions, on n’a pas le temps de chômer. Donc il faut prioriser.

À la maison d’arrêt, on a des conditions d’entretien difficiles, dans des petits bureaux, sans confidentialité, qu’il faut partager avec les enseignants, les visiteurs de prison, le culte… S’adapter, c’est le maitre mot. Il faut avoir une capacité à se protéger et ne pas rentrer chez soi avec tout ce qui s’est passé dans la journée.

J’interroge les détenus sur pourquoi ils en sont arrivés là, pourquoi ils ne changent pas, pourquoi ça se répète.

Je leur apprends à savoir ce qu’est une émotion. Ils ne se posent pas la question de ce qu’ils ressentent, comme s’ils subissaient les choses.

Je ne supporte pas d’être enfermée, ce qui fait beaucoup rire mes collègues. J’aime être dehors. La prison m’a appris à apprécier le fait d’être libre de mes mouvements, ne pas dépendre des autres, être seule. »

Ecoutez le témoignage en entier.

 Bruno, responsable cuisine

« Avant moi, c’était un surveillant qui était à la cuisine, il était là juste pour encadrer les détenus, alors il essayait de trouver des gars qui savaient y faire. Quand je suis arrivé, il a fallu recadrer. Ça a été difficile au départ, parce que j’arrivais dans un monde de surveillants.

J’ai onze détenus avec moi. Juste eux et moi. Ça se passe bien parce qu’ils savent comment je fonctionne. Si je vois qu’il y en a un qui monte dans les tours, je lui dis : « garçon, tu te calmes t’as quelque chose à dire, tu t’expliques ». J’ai un Motorola avec moi et une alarme. Car j’ai une boite à couteaux dans la cuisine.

Au départ, le détenu commence par la plonge. S’il tourne bien, il va faire les entrées et si je sens qu’il a du potentiel, il peut aller faire les cuissons. Si la personne réussit, quelque part j’ai un peu gagné mon pari.

Les détenus ont une bonne cuisine, car on a encore la chance de travailler en liaison chaude, c’est-à-dire qu’on la prépare au jour le jour. Je dis aux détenus de mettre un peu de déco, un brin de persil, une olive, un bout de citron.

Ceux qui parlent de la gamelle, je leur dis : « tu goûtes d’abord et après t’aime ou t’aime pas, mais ce qui sort de la cuisine, c’est bon. » Je ne dis pas on envoie la gamelle, mais on envoie le repas.

Il y a quelques années, j’ai accueilli un détenu qui était classé qui a fait parler de lui, Guy Georges, vous connaissez ? Je l’ai eu en tant qu’éplucheur, et par la suite, j’ai su que cette personne avait… alors que moi, je n’ai jamais eu de souci avec. »

Ecoutez le témoignage en entier.

Marylène Carre

Journaliste et co-fondatrice de Grand-Format, j’interviens depuis plusieurs années en milieu pénitentiaire pour animer des ateliers d’éducation aux médias auprès des détenus. Le projet « Dernier transfert », réalisé dans le cadre du dispositif Culture Justice, avait un autre objet : conserver la mémoire de l’ancienne Maison d’arrêt de Caen (1904-2023) à travers le récit de celles et ceux qui ont travaillés. Ces portraits sonores et photographiques sont exposés au nouveau centre pénitentiaire Caen-Ifs et ont fait l’objet d’une publication.

Marie-Céline Nevoux-Valognes

Diplômée de l’Ecole Régionale des Beaux-arts de Caen, j’ancre ma pratique dans le champ de la photographie. J’explore et j’interroge l’identité et le territoire afin d’en témoigner l’existence. En parallèle à mes recherches, je m’inscris au sein de projets personnels et/ou collectifs en détention depuis plus de 16 années, dans le cadre du dispositif Culture Justice.
Le projet « Dernier transfert » réalisé à la Maison d’arrêt de Caen était essentiel. Essentiel, afin de conserver la mémoire, des mémoires sonores et photographiques tant humaines que sociologiques et géographiques. Nous avons écouté, regardé « Duparge » avec ces femmes et ces hommes qui y travaillaient depuis de nombreuses années. Leurs histoires, leurs murmures et les murs de la prison, nous les avons captés, enregistrés et photographiés, telles des anthropologues, afin de témoigner d’un lieu désormais inoccupé. Dernier Transfert est donc devenu une archéologie du quotidien.
Photographie de Mare-Céline©Céline Malewanczyk

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