Quand les trentenaires se tournent vers l'habitat partagé

Projet de vie commune, engagement ou défi écologique, les colocations passées la vie étudiante sont de plus en plus fréquentes dans le monde rural, auprès des trentenaires, familles mono-parentales ou personnes âgées. Vivre en communauté, c’est baisser les dépenses du porte-monnaie en partageant les moyens et les espaces communs, mais c’est également une manière de mutualiser les compétences et les rencontres. Rencontre avec Anne-Lise dans un village du Pays de la Loire, jeune trentenaire en reprise d’étude, qui livre quelques secrets concernant son habitation.

Quelles sont les motivations principales de l’intégration dans un lieu partagé entre de nombreuses personnes?

J’ai toujours habité en colocation pendant mes études, mais ce n’était pas le même type de colocation. On partageait moins de choses, chacun s’occupait de ses repas, etc. Ces expériences ont tout de même été agréables. Lors de l’arrivée dans cet habitat, la première motivation était de rejoindre un groupe d’amis avec lequel j’avais envie de vivre au quotidien. Avant d’emménager dans la colocation où j’habite, j’y avais déjà passé quelques week-end, pour venir voir des amis. J’avais trouvé leur mode de vie joyeux, simple, et très familial. Petit à petit j’ai vu beaucoup d’autres aspects positifs à cette colocation. A plusieurs, on a beaucoup plus d’énergie et d’entrain. Faire la cuisine, s’occuper du jardin et du potager, aller à un concert, animer une chasse aux trésors pour les enfants du quartier, ou même tout simplement faire le ménage: la motivation des uns entraîne celle des autres.

Quels sont les principaux avantages de cet espace commun?

Nous avons la chance d’avoir une maison avec un grand jardin, dont l’entretien est facile, puisque nous sommes six à nous en occuper. Individuellement, nous n’aurions pas forcément pu louer un tel espace. Les avantages économiques sont également conséquents: en étant six, nous ne consommons pas beaucoup plus d’électricité que si nous étions quatre, par exemple. Or, nous partageons tous les frais.
Partager un espace commun, cela veut aussi dire prendre des repas ensemble, cuisiner ensemble. Et, bien évidemment, nous ne nous mettons pas tous ensemble à cuisiner, ce qui fait que je n’ai pas à cuisiner tous les jours, tout en mangeant de très bonnes choses. C’est un sacré gain de temps!

Est-ce que vivre ensemble dans une période d’âge charnière permet de développer des projets?

Nous sommes tous amis, dans cette colocation, et nous échangeons beaucoup sur nos envies, nos idées, nos projets. C’est arrivé de nombreuses fois que nous motivions ensemble pour créer des projets. Par exemple, deux de mes colocataires ont embarqué une autre amie dans la création d’un bar associatif dans la ville où nous habitons, qui manque de lieux de sociabilisation. Aussi, au printemps dernier, suite à la perturbation de la vie culturelle (du fait de la pandémie de coronavirus), deux colocataires ont imaginé un cycle de six projections de cinéma en plein air, dans notre jardin. L’idée était d’ouvrir ces projections à nos voisins pour les rencontrer et partager un bon moment, et de pallier à la fermeture de certains lieux culturels. Ça a très bien marché!

Est-ce une manière d’aller plus loin dans la transition écologique, question majeure en ces temps de mouvance?

Cet aspect-là n’est pas notre principale motivation, mais il est indéniable que le fait d’habiter à plusieurs est un pas vers la transition écologique. Nous avons plusieurs voitures, car nous les possédions déjà avant, mais nous covoiturons très souvent. Comme je le suggérais plus avant, l’énergie dépensée pour chauffer la maison permet à six personnes de vivre «au chaud», alors qu’on dépenserait la même quantité d’énergie pour chauffer la maison si seulement deux personnes y habitaient.
De la même manière, la mutualisation de nos budgets «nourriture» nous permet d’avoir accès à une alimentation de très bonne qualité (la plupart du temps bio, et locale), sans se ruiner.

Voyez-vous ce mode de vie comme une «communauté»? Autrement, quel serait le mot le plus approprié?

Je n’aime pas particulièrement employer ce mot, parce qu’il renvoie à l’idée de marginalisation. Quand on entend communauté, on imagine facilement un univers hippie, fonctionnant en dehors de la société, ou bien l’idée de communauté religieuse, idées qui peuvent faire peur, rebuter. De fait, plusieurs personnes nous ont déjà demandé: «qu’est-ce que ça fait de vivre en communauté?». J’aimerais bien savoir quelles différences ils voient avec une colocation. Nous sommes un groupe d’amis qui a décidé de vivre ensemble parce que l’on s’entend bien, et que nos modes de vie sont compatibles. Vivre ensemble ne nous demande d’efforts, un peu à l’instar d’une famille. Je peux parfois avoir des idées politiques marginales, mais je n’ai pas l’impression que mon mode de vie le soit, ni qu’il faille le cataloguer. Dans notre société, on organise notre habitat très majoritairement autour du noyau de la famille, rendant toute autre manière d’habiter un peu étrange. La colocation n’est-elle réservée qu’aux jeunes pendant leurs études? Est-on obligé de vivre avec sa famille? Mona Chollet questionne très bien cela dans son livre Chez soi, dont je recommande la lecture.

Quels sont les rapports avec le voisinage vis-à-vis de cette «communauté»?

Ces rapports sont justement… des rapports de voisinage! Je crois que nos voisins ne nous voient pas comme une «communauté», mais tout simplement comme une bande d’amis qui vit ensemble. Encore une fois, notre mode de vie et nos manières d’être n’ont rien de farfelu: nous travaillons, cuisinons, nous nous occupons de notre jardin, nous regardons des films… Un quotidien très classique!

Avez-vous des «réunions», visant à faire un point sur la situation interne de la colocation?

Nous avons la chance de ne pas avoir besoin d’en faire souvent. La majorité des membres de la colocation se sont rencontrés via un mouvement d’éducation populaire (le MRJC), et au sein de ce mouvement nous nous sommes construit un même rapport au collectif. Quand un colocataire se sent gêné par quelque chose, il le dit, simplement, lors d’un repas ou d’un moment où nous sommes tous réunis. Les choses sont assez simples, et spontanées, car personne n’a peur de se dire les choses. Toutefois comme dans toute relation humaine: quand on est énervé ou frustré par un comportement, ça va tout de suite beaucoup mieux en le disant!

Seriez-vous prête à retourner vers un mode de vie plus individuel?

Pour le moment, non. Une personne de ma famille me disait l’été dernier qu’elle ne pourrait pas vivre en collectif. Je crois qu’elle perçoit le collectif comme une contrainte, là où moi j’y puise une énergie incroyable. Cette colocation est vraiment un espace ressource, qui me nourrit, dans lequel je me construis. Le quotidien (cuisine, ménage, etc.) me prend beaucoup moins de temps, et cette organisation collective coûte peu cher. Pourquoi en changerais-je? Prochainement, je vais acheter une maison, et nous avons envie d’en faire à nouveau une colocation. La principale différence sera qu’en tant que propriétaire, nous pourrons réaliser tous les travaux que nous souhaitons faire! Grâce à cela, j’ai découvert principalement de très belles amitiés!

Quels sont les conseils que vous donneriez à quelqu’un qui hésite à franchir le pas?

Il existe énormément de manières d’habiter en colocation. La première que l’on essaie n’est pas forcément la bonne, alors il ne faut pas se décourager. J’ai l’impression que pour vivre une chouette expérience de colocation, il faut aimer le collectif, aimer les autres, et avoir conscience que cela n’empêche pas d’avoir envie, parfois, de moments plus individuels et plus tranquilles.

J’ai testé pour vous: la colocation en plein confinement

«1er avril 2021, début du 3e confinement. Après avoir passé les deux premiers chez mes parents, je décide, après concertation avec ma colocataire, de rester dans mon appartement étudiant. Ayant la chance d’avoir quelques cours qui avaient repris en présentiel en février, j’avais repris l’habitude de la ville universitaire -avec les terrasses et les cinémas en moins. Toutefois, même si les cours étaient terminés puisque nous approchions les périodes d’examens, mon emploi étudiant me permettait de continuer de sortir plusieurs jours par semaine. Ce fut également l’occasion de me rapprocher de cette fameuse personne qui partageait mon toit: une amie de longue date, mais avec qui il n’est pas toujours facile de passer du temps alors que nos emplois du temps respectifs d’étudiants ne coïncident que très rarement pour avoir une soirée commune. Soirée que l’on passe alors devant un épisode de série.

Je ne cache pas ma crainte face à l’idée de se marcher dessus et de finir par s’injurier de tous les noms (ce qui pouvait arriver, ne mentons pas), mais ce fut bien moins fréquent que ce à quoi je m’attendais. Nous avons cuisiné, nous nous sommes promenées à vélo, et avions la chance d’avoir un balcon, sur lequel le soleil frappait toute la journée. Ce fut également l’occasion d’apprendre à connaître nos voisines, également étudiantes, avec lesquelles nous discutions depuis nos balcons respectifs. Une petite organisation se mettait donc en route: c’est grâce à celle-ci que j’arrivais à placer des plages horaires de travail, tout en ayant du temps personnel. La colocation permet d’apprendre à savoir dire au gens que l’on a besoin de temps seul, en dehors des toilettes. J’espère éviter un énième confinement, mais si c’était à refaire avec les mêmes droits de sortir dans un rayon de 10 kilomètres, je le ferais sans hésiter. Toutefois, si les restrictions revenaient à 1 km, je rentrerais dans la campagne familiale afin de jouir du jardin.»

Agathe Maneuvrier-Hervieu

Revue d’actualité des étudiants : des articles rédigés par des étudiants de licence 3e année Humanités Numériques de l’Université de Caen, en octobre et novembre 2021, dans le cadre d’un module d’écriture journalistique encadré par Grand Format.