Depuis dimanche 31 octobre se déroule la Conférence sur le climat de Glasgow, au Royaume-Uni. Si les dirigeants tentent de se mettre d’accord sur des mesures concrètes pour réduire nos émissions de CO2, c’est grâce aux nombreuses mobilisations de citoyens à travers le monde. Mais de plus en plus de personnes ressentent de l’éco-anxieté. S’engager pour le climat permet-il de réduire notre stress face aux catastrophes qui nous menacent? C’est la question sur laquelle s’est penchée Marie Toulouse, une psychologue originaire de Normandie. La réponse: ce n’est pas si simple.
Qu’est-ce que l’éco-anxiété? Quelles sont les principales angoisses face aux enjeux écologiques?
L’éco anxiété est une pathologie encore très peu connue, au confluent entre l’anxiété et la dépression. Elle se distingue de la Solastagie qui, elle est une pathologie rétrospective: nostalgie des habitants pour un écosystème qui a profondément changé à cause de sécheresses sévères ou de la fonte de la calotte glacière et pour lequel il est difficile de faire le deuil. L’éco-anxiété, elle, serait une pathologie prospective, plutôt dans le sens d’une angoisse eschatologique – fin du monde – et de finitude – peur de la mort qui ne renvoie pas encore au deuil.
Il n’y a pas encore de diagnostic spécifique de l’éco-anxiété et les symptômes sont très vastes, ils peuvent inclure des crises de paniques, des pensées obsessionnelles, de l’insomnie ou bien des changements d’appétit. Cette angoisse peut entraîner la perte du sentiment de soi, une perte de sens et ainsi conduire à des conduites à risques telles que des tentatives de suicide. C’est en ce sens qu’elle se rapproche de la dépression.
Qu’avez-vous recherché avec votre étude?
Je cherchais à savoir si le militantisme écologique pouvait être un traitement efficace face à l’éco-anxiété. On explique souvent que la mobilisation permet de sortir de la dépression. J’avais dans mon entourage des personnes militantes qui ne semblaient pourtant pas si bien sur le plan psychique, ça m’a donné envie d’aller chercher plus loin. J’ai créé une étude, en me basant sur des échelles d’anxiété et de dépression, que j’ai faite passer à des personnes éco-anxieuses non-engagées dans des associations militantes et à des personnes engagées dans des associations militantes. Pour ces dernières, je les ai interrogées sur les modalités de leur engagement. Ainsi, j’ai pu comparer mes deux groupes (un groupe témoin et un groupe engagé) et acquérir de nombreux résultats, notamment sur la forme de l’engagement et son impact sur la santé mentale.
S’engager pour la planète peut faire du bien; mais aussi mener à la dépression…
Effectivement. Étonnamment, mes deux groupes ont montré le même niveau d’anxiété et, plus étonnant encore, certains militants sont plus déprimés que les non-militants. Ma recherche a mis en avant le caractère dépressogène (qui pousse à la dépression, ndlr) de l’engagement militant selon les conditions de cet engagement. En effet, pour être bénéfique pour la santé mentale, l’engagement militant se doit d’être vécu de manière ajustée par rapport aux autres activités de la vie quotidienne du sujet, en fonction de chaque militant. Si l’engagement est vécu trop intensément et sous la contrainte, alors il n’aura pas d’impact positif sur les affects dépressifs du militant. J’ai poussé plus loin cet aspect en regardant l’impact de la désobéissance civile sur la santé mentale des sujets interrogés et j’ai remarqué qu’elle avait souvent (pas toujours!) une influence négative sur la santé mentale. La désobéissance civile comme levier d’action représente un très grand investissement personnel dans les actions réalisées et le résultat obtenu par ces actions est souvent en-deçà des attentes des militants. Leurs demandes étant souvent tournées vers les politiques qui n’y prêtent pas attention, la désillusion qui suit l’action rebelle renforce les affects dépressifs.
Vous distinguez la passion obsessive de la passion harmonieuse.
L’engagement citoyen pour le climat est vécu par les militants comme une passion. La passion harmonieuse est celle qui est pratiquée de manière volontaire, sereine et ajustée par rapport aux autres activités pratiquées, l’engagement bénévole ne rentre pas en conflit avec les autres sphères de la vie du militant (vie affective, vie professionnelle, autres engagements, autres activités…) Les bénévoles qui vivent une passion harmonieuse dans leur engagement en retirent des bénéfices positifs et un état de bien-être. A l’inverse, la passion obsessionnelle renvoie au besoin incontrôlable de l’individu de pratiquer cette activité. La passion devient alors rigide, contrainte et l’engagement entre en conflit avec toutes les autres parties de la vie du sujet.
Distinguer les deux dans notre étude m’a permis d’appuyer le fait que les militants engagés de manière obsessive avaient de plus grands affects dépressifs que ceux qui ont un engagement que je qualifierai de plus modéré, harmonieuse. Cette distinction avait tout son intérêt pour tenter de faire des préconisations pour accompagner les militants à «aller-mieux».
Comment les militants peuvent-ils «aller mieux»?
En s’engageant dans l’activisme écologique, la personne éco-anxieuse donne du sens à sa vie. Cependant, les angoissent ne s’estompent pas pour autant puisque les causes des menaces pour notre environnement restent constamment actives. Il faut tout d’abord commencer par apprendre à vivre avec nos peurs, notre anxiété, en les accueillant dans un premier temps, puis en les apprivoisant. Si l’éco-anxiété et les autres angoisses ne s’estompent pas lors du passage à l’action, les risques de dépression varient en fonction de la qualité de l’engagement. Dans sa modalité de passion harmonieuse, comme je l’expliquais, l’activisme écologique a une influence positive sur les affects dépressifs: l’engagement doit être ajusté. Ajusté par rapport aux autres activités de la vie quotidienne pour ne pas tomber dans un engagement obsessif.
Il faut, pour tenir sur la longueur, ajuster notre engagement en fonction de notre capacité (qui est propre à chacun) à prendre du recul, à prendre soin de nos relations (l’entre-soi militant a du bon car il crée un sentiment d’appartenance, un sentiment d’être compris dans ses préoccupations mais il ne permet pas de se changer les idées!!), de notre corps et de notre esprit. Tout cela nécessite de cultiver une forme d’humilité, de gratitude et de sagesse dans nos engagements et dans notre rapport au monde.
Propos recueillis par Simon Gouin