Si vous l’avez déjà rencontrée, c’est sans doute à l’occasion d’un cocktail bio, un stand collectif de restauration, un bar militant, au conseil municipal ou communautaire. Alexandra est un concentré de franchise, de perspicacité et d’énergie.
Alexandra n’est pas originaire de Normandie mais des «beaux» quartiers parisiens: «Je suis née dans le 14ème, j’ai vécue dans le 6ème et le 15ème. Mon Monoprix, c’était le Bon Marché. Ça plante le décor, non?» Famille bourgeoise du côté de son père qui a hérité puis travaillé dans l’immobilier et ibérico-corse par sa mère. Une famille des montagnes avec une présence forte des femmes, «il y beaucoup de femmes très fortes dans ma famille, d’ailleurs il n’y a que des aînées ». Son arrière-grand-mère tenait la boulangerie-épicerie du village, a divorcé à 27 ans, ne parlait que le corse et a vécu 100 ans. «C’est notre institution, un modèle.»
«J’ai grandi en révolte totale.»
Si sa mère s’est très bien accommodée de cette vie aisée faite d’école privée bilingue, ambiance nouveaux riches, cours d’arts au Louvre, Alexandra n’était pas à son aise dans ce monde: «J’ai grandi en révolte totale, complétement différemment de ma sœur». De sa famille, Alexandra retient d’un côté des femmes fortes accédant à de hautes responsabilités et de l’autre des hommes qui savent «tchatcher» et se débrouiller pour arriver là où ils veulent.
Assistante sociale
Au divorce de ses parents, les deux sœurs se réfugient d’abord auprès de leur mère, «une affaire de femmes». Et puis, pour Alexandra, chez son père «j’étais très autonome chez lui, il me laissait tranquille». Ce besoin d’indépendance s’est très vite fait sentir à l’adolescence. «Je traînais, dehors, c’était pas génial génial, j’ai fugué aussi, je m’habillais en mec avec les affaires de mon père, j’étais très androgyne… comme disait ma mère.»
«Pour le bac, j’ai compris que je n’avais pas le choix.» Sous la pression familiale, Alexandra bachote et obtient son diplôme puis file vers une formation d’assistante sociale, comme sa tante. « C’était la panique au Centre d’information et d’orientation (CIO). Dans mon école, tout le monde voulait être avocat, bosser dans le commerce ou les métiers d’arts, mes parents n’ont pas tellement compris.» Pour autant, ils la soutiennent et l’encouragent.
« Je n’avais pas de solutions pour eux et ça me désespérait.»
Pendant ses trois années d’études à l’Institut Régional du Travail Social, Alexandra prépare un deuxième diplôme, une licence administration économique et sociale; elle se sent à son aise, «c’était l’éclate totale!». Pour son entrée dans la vie active, elle ne tient pas en place et enchaîne les boulots. Elle travaille auprès d’enfants placés et d’adultes en très grande précarité. Pendant plusieurs années, elle fait l’expérience de la rudesse de la vie. «La révolte est montée, les gens avaient besoin de choses et je ne pouvais pas leur offrir. Je me cognais en permanence à un mur administratif, je n’avais pas de solutions pour eux et ça me désespérait.»
C’est dans ce moment de doute que sa mère, âgée de 50 ans, plaque son super job chez LVMH pour passer un CAP de cuisine. «On l’a beaucoup accompagnée dans cette période de reconversion, je faisais la plonge au sous-sol de son resto et d’autres soirs, je faisais la saisie comptable chez mon oncle, lui aussi entrepreneur.» C’est ainsi qu’elle découvre le monde de l’entreprise. Un soir, en plein questionnement, dans le dernier métro, une affiche banale lui saute aux yeux: «Elle disait un truc du genre: changez de vie, créez votre entreprise, j’ai pris le message directement pour moi.»
Créer son entreprise
Alexandra écume toutes les écoles de commerces sur le net. Un autre monde s’ouvre à elle: «C’était fait de gros mots comme intrapreneuriat, entreprenariat, ce genre de trucs incompréhensibles.» Elle découvre aussi des mots qui lui parlent, comme géographie ou aménagement du territoire. Et là, un autre projet se dessine. Alexandra se dit qu’elle peut créer une entreprise d’insertion pour enfin offrir ces solutions qui lui manquent dans son métier d’assistante sociale.
Parmi les nombreuses écoles qui proposent ce type de formation, elle repère l’EM Normandie et sa formation management du développement territorial. Elle se retrouve à Caen «pour un an ou deux maximum» et là, alors qu’elle n’avait aucune attente particulière, elle se sent tout de suite à l’aise. «En bonne parisienne autocentrée, je ne savais même pas placer correctement Caen sur une carte et je suis encore là aujourd’hui.»
En quittant Paris, Alexandra se reconnecte avec la nature, découvre la campagne, se balade, redécouvre le plaisir de cuisiner. «Cette ville a révélé plein de choses en moi, tout s’est aligné à ce moment-là et mes envies sont devenues limpides».
En parallèle de ses études, Alexandra devient maitre–composteuse (professionnel, référent technique et animateur de la prévention et de la gestion de proximité des biodéchets) et travaille ardemment à son projet professionnel tout en s’investissant dans l’école. Lors d’un exercice étudiant, elle réussit avec ses camarades de promotion à convaincre la direction de changer les prestations de la cafétéria. Plusieurs mois après cet exercice et séduite par l’enthousiasme de ce groupe d’étudiant.es, la direction décide de lancer un appel d’offre pour orienter la cafétéria vers un projet plus en phase avec les enjeux écologiques. Surprise et ravie de voir ses préconisations entendues, Alexandra répond à l’appel d’offres et propose de créer une cafétéria solidaire, en circuit-court et au maximum bio.
« Cette année, je vais accoucher ! »
Rejointe par son mari durant sa formation en 2011, Alexandra va vivre une année exceptionnelle. Au réveillon de fin d’année, elle porte un toast : «Cette année, je vais accoucher! » En disant ces mots Alexandra pensait à tout ce qui bougeait dans sa vie, son arrivée à Caen, son envie de rester et surtout cette envie de créer sa société de compostage et de collecte à vélo … d’accoucher de son entreprise.
«Si j’avais su que je tomberais enceinte, je n’aurais pas du tout choisi de faire tout cela. Pourtant, avec mon mari, on y a vu un signe et on a foncé.» Devant l’ampleur de ce qui s’annonçait, la grossesse, l’entreprise nouvellement créée et le projet de reprise de la cafétéria, le couple a su qu’ils allaient devoir changer leur façon de fonctionner. Après une véritable mise au point sur le rôle de chacun – « mon mari est l’aîné d’une famille algérienne, c’est-à-dire le roi du monde. Pourtant, dès qu’il a su qu’on allait avoir un enfant, il est devenu un homme» -, Alexandra a su qu’elle pouvait compter sur lui.
À l’entretien de négociation avec la direction de l’école, Alexandra est «enceinte jusqu’au cou». «Ils n’ont pas regardé mon ventre une seule fois, on a négocié à fond, tout s’est bien passé malgré le fait que j’accouchais le mois de l’ouverture.» Elle remporte l’appel à projet puis crée sa deuxième entreprise: Le Spot.
Depuis, l’entreprise de compostage a fermé, le Spot a grossi, entre 11 et 15 salariés en fonction de l’activité, d’un coté traiteur bio et et de l’autre restaurant du WIP, un tiers-lieu située dans un vestige industriel de l’ancienne usine de métallurgie SMN, à Colombelles, à côté de Caen.
L’entreprise a trouvé son rythme de croisière, son mari est un papa à plein temps: «un homme à la maison» qui assume ce rôle depuis des années, permettant à Alexandra de mener une vie active entre le monde de l’entreprise et la politique. Elle a rejoint le groupe Écologiste et Citoyen, et a été élue conseillère municipale à Caen.
Elle a enfin trouvé le moyen d’apporter des réponses à toutes ces personnes qu’elle a accompagnées durant sa première vie professionnelle.
La semaine prochaine, nous partirons à Osmanville, à côté d’Isigny sur Mer. Là-bas, Clémence Gadeau et Mathieu Cannevière se sont lancés dans un élevage bio de pou