Entre janvier et mai 2025, une classe de première du lycée Raymond Queneau, à Yvetot, a eu la chance de bénéficier d’une résidence avec le journaliste et écrivain Christophe Boltanski, dans le cadre du Prix Bayeux Région Normandie. Guidés par ce professionnel, les élèves ont recueilli et écrit l’histoire de jeunes exilés du Pays de Caux. Leurs chroniques ont été diffusées dans une émission enregistrée en direct au lycée à réécouter ici.
Grand-Format publie ici les textes des élèves.
« Je ne savais pas que je partais en Europe »
« Mon oncle maternel m’avait dit que j’allais en Mauritanie.
J’ai grandi seul avec mes parents dans un village près de Didieni, une commune rurale au sud-ouest du Mali. Mes parents sont cultivateurs d’arachides depuis toujours. Ma mère avait l’habitude de me demander de faire des courses pour eux. C’était ma seule occupation de la journée, car je n’allais ni à l’école, ni aux champs.
Ma passion, c’est le football. Je rêve de devenir joueur professionnel. Cristiano Ronaldo est mon idole. Mais comment pratiquer ce sport dans un petit village ?
C’était une chaude journée, je profitais du soleil lorsque mon oncle arriva. Il m’emmena avec lui en me disant qu’il avait besoin de mon aide, cela était habituel, je ne me suis donc pas posé de questions et je suis monté dans sa camionnette sans aucune affaire personnelle.
Après une vingtaine d’heures de route, il s’arrêta au bord d’une plage de Mauritanie. Il faisait nuit. Il m’ordonna de monter dans une petite barque. C’était mon oncle, je ne pouvais pas m’opposer à lui. Je lui ai obéi sans rien dire. Je suis descendu et j’ai marché. Je me souviens encore du sable sous mes pieds et du sentiment de peur et d’angoisse qui m’a envahi. Le canot nous a amenés sur une autre embarcation à peine plus grande, longue, en bois, équipée d’un seul moteur. Nous étions une soixantaine, tous entassés les uns sur les autres.
Seulement sept femmes se trouvaient à bord. Personne ne parlait. Le silence était pesant. Lorsque le bateau est parti, c’est à ce moment-là que j’ai compris que je ne reverrais peut-être jamais mes parents. J’ignorais où nous allions. Il était impossible pour moi de dormir, le grondement du moteur, le silence oppressant de la mer et surtout l’inconnu vers lequel je me dirigeais me faisait peur. Au matin venu, on nous distribua à tous un biscuit et une gorgée d’eau. Nous avions le droit à ce peu de nourriture qu’un jour sur deux, ce qui a rendu la traversée encore plus difficile.
Au bout de quelques temps, la mer n’était plus calme et elle s’est mise à se déchaîner. Dans notre petite barque, de fortes secousses se faisaient ressentir. Cette tempête a duré presque tout le long de la traversée. Les vagues s’abattaient sur notre embarcation et menaçaient de la renverser. Après cette tempête, de nombreuses personnes ont été blessées aux pieds. En effet, l’eau salée mélangée aux hydrocarbures, dans le fond de la barque, provoque de graves brûlures.
Le silence a laissé place aux cris de détresse et aux prières.
Au bout du quatrième jour, les conditions de traversée ont empiré. Il n’y avait plus rien à manger et à boire. Et l’ambiance était toujours aussi pesante et ma peur grandissante. Au cinquième jour, la mer était redevenue calme mais le moteur s’est arrêté et n’a jamais redémarré. Le silence a laissé place aux cris de détresse et aux prières. Une femme a réussi à contacter les secours.
Au bout de 40 longues minutes, nous avons vu un bateau de sauvetage plus grand que le nôtre arriver au loin. Les personnes à bord nous ont fait monter puis nous ont donnés de l’eau et de la nourriture. Sur ce bateau, je me sentais davantage rassuré même si je ne savais toujours pas où nous allions. Le bateau nous a déposés à terre. J’ai appris plus tard que nous étions aux îles Canaries.
Peu de temps après, j’ai pris l’avion direction l’Espagne, toujours sans nouvelles de mes proches. Dès mon arrivée à Madrid, j’ai demandé à une passante son téléphone pour pouvoir appeler mes parents. Je croyais qu’ils étaient inquiets pour moi et ignoraient ce que j’étais devenus. J’ai appris qu’ils savaient que mon oncle m’avait forcé à partir en Europe. Depuis, je leur en veux beaucoup, surtout à mon oncle.
Mon périple n’était pas terminé. J’ai rejoint en bus Dignes-Les-Bains, une petite ville des Alpes de Haute Provence. C’est là que j’ai rencontré un autre garçon qui avait aussi dû quitter son pays. Tout le reste du voyage, je l’ai fait avec lui. Par la suite, des associations nous ont pris en charge. Nous avons pris un train pour Rouen où nous avons rencontré Marion Poussin, cofondatrice de l’association AMIES76 qui vient en aide aux mineurs non accompagnés. Marion nous a accueillis dans son foyer près d’Yvetot. Dès lors, j’ai entamé les formalités pour être reconnu comme mineur. Honnêtement je ne sais toujours pas pourquoi je fais ces démarches. Je reste perdu. »
Par Lily Delignères, Zoé Bacquet et Mylan De Oliveira
Sans mon père
Ivan, jeune Ukrainien de 17 ans a accepté de nous raconter son histoire.
Cette fois, les bombes sont tombées plus près que d’habitude. Les parents d’Ivan n’hésitent pas : il faut que les enfants et leur mère partent au plus vite. Ils habitent un appartement du centre-ville de Dnipro dans l’Est de l’Ukraine. Depuis une semaine, le pays tout entier subit les assauts de l’armée russe : « Les chasseurs sillonnaient le ciel », raconte Ivan. Il est alors âgé de 14 ans. Jusqu’à l’invasion, il menait une vie tranquille avec sa famille dans cette grande ville d’un million d’habitants. Son père dirige une usine du groupe ArcelorMittal, sa mère est femme au foyer. Ivan étudie au collège et rêve de devenir économiste. Il joue au hockey sur glace et au tennis.
Sa vie bascule le 3 mars 2022, soit une semaine après le début de l’invasion, lorsque l’aviation russe commence à cibler la ville de Dnipro. Son départ est pour lui un déchirement. Son père ne peut pas les accompagner, car, comme tous les hommes ukrainiens en âge de faire la guerre, il doit rejoindre l’armée. Depuis, il combat quelque part sur le front.
Ivan fuit son foyer sans savoir quand il reviendra. Dans la précipitation, il emporte le strict minimum. Il enfouit quelques vêtements dans son sac. De son pays natal, il ne conserve qu’un souvenir : « J’ai pris un drapeau de l’Ukraine ». Il part avec sa mère et ses deux petits frères âgés de 2 et 6 ans. Ils rejoignent d’abord en train la ville de Kryvyï Rih, plus à l’Ouest, afin de récupérer une voiture. De là, la famille incomplète rejoint la Pologne par la route en évitant la capitale Kiyv, visée par les troupes russes. Ce simple trajet prendra six longs jours à cause des embouteillages et du chaos, et sera marqué par la peur constante d’être bombardés. « Pendant tout ce temps, on n’a pas dormi. La nuit, on veillait sur des parkings à l’entrée des villes », raconte-t-il.
Arrivés à la frontière polonaise, ils reçoivent une première aide. « De l’autre côté, on nous a donné à manger et une personne nous a proposé de nous héberger. » Ils vont rester deux semaines en Pologne. Leur oncle possède une résidence secondaire en Normandie, à Yerville. Ils décident de demander l’asile à la France. Ils traversent l’Europe en voiture : « Nous sommes arrivés ici en avril 2022 », précise-t-il. En France, ils sont bien accueillis par les gens du village et ils reçoivent des aides d’associations.
« Tout est détruit, la tristesse est omniprésente »
Ivan nous dit qu’ici, tout est différent. Nous lui demandons ce qui l’a le plus étonné : « Le calme et la sécurité », nous répond-il. La langue est compliquée à apprendre, il a encore des difficultés et est donc accompagnée d’une traductrice pour répondre à nos questions. Il nous dit qu’il a commencé à aller au collège deux semaines après son arrivée. Il s’est fait d’autres amis Ukrainiens qui vivent à Rouen.
Ivan suit maintenant deux cursus scolaires différents en même temps. Il est en classe de première STMG en France et suit en parallèle le programme du Bac ukrainien au Consulat de Paris. Nous l’interrogeons au sujet de son futur, il n’écarte pas l’hypothèse de s’engager pour son pays.
Son père lui manque énormément, malgré leurs appels téléphoniques quotidiens. L’été 2024, il a pu le revoir enfin, lors de son premier voyage en Ukraine depuis le début de la guerre. Il a retrouvé un pays bien différent de celui qu’il avait laissé : « Tout est détruit, la tristesse est omniprésente », nous dit-il. Enfin, nous lui demandons s’il croit la paix possible : « A l’heure actuelle, tout est incertain », nous répond-il.
Par Arthur Torchy, Tiago Osmont et Timéo Gass
« Ma fille travaille et va à l’école »
Elle ne sait plus où elle était précisément. Était-ce un aéroport ? Une gare routière ou ferroviaire ? En janvier 2017, Isabel, âgée alors de dix ans, doit dormir par terre, dans le terminal, avec sa mère enceinte et sa petite sœur âgée de six ans. Elles n’ont pas d’autre choix. L’homme qui devait les accueillir à Paris, à l’issue de leur long voyage, a disparu. En plein hiver, les voilà à la rue.
La mère et ses deux filles ont fui la misère. Elles habitaient Luanda, la capitale de l’Angola. Dans son enfance, Isabel vivait entourée de sa famille dont elle était très proche. Elle se souvient des discussions politiques entre adultes, qu’elle trouvait inintéressantes, des conversations légères avec ses voisins, des bons plats locaux que lui préparaient les siens… Elle évoque avec nostalgie ses bons moments passés en famille, ses balades tardives, la chaleur du climat, les pluies rafraîchissantes et la lune conseillère. « C’était calme, paisible, nous dit-elle. Une autre atmosphère. » Elle ne savait pas que ce serait bientôt fini. La misère touchait tout le monde. Ses voisins n’arrivaient même pas à se nourrir. Sa mère ne parvenait plus à assurer le manger et l’éducation. Un soir, une fois, les adieux faits et les démarches réglées, elle a emmené ses deux filles. Une tante est venue les chercher avec un ami de la famille pour les conduire à l’aéroport. Cela, Isabel ne le savait pas encore. Elle pleurait continuellement et avait très peur de ce qui était en train de se passer. « C’était sombre », poursuit-elle.
Faire des études de langues, devenir hôtesse de l’air
Elles s’envolent toutes les trois, avec cet ami qui leur sert de guide. Elles transitent par le Maroc, puis par le Portugal, et, après seulement quelques jours, débarquent en France, leur objectif final. Le seul problème, l’homme qui les accompagnait et devait les héberger, une fois arrivé à Paris, les abandonnent. Isabel, sa Maman et sa petite sœur se retrouvent à la rue. Un jour, alors que tout espoir a disparu, une femme parlant portugais aborde sa mère et propose de l’accueillir chez elle à Évreux. Son offre est vécue comme une libération. Cet acte de générosité ne reste pas isolé. Après quelques temps passés à Évreux, une association les aide à obtenir un logement social à Rouen. Mais elles sont de nouveau menacées d’expulsion. Un homme les met alors en contact avec une habitante de Caudebec-en-Caux. Cette rencontre va leur permettre d’avoir un avenir en France. La Maman trouve un emploi stable et le droit à un logement pour sa famille. Elle peut enfin scolariser ses filles.
Isabel parle très rarement au téléphone avec ses grands-parents restés au pays à cause de la mauvaise connexion. Lorsqu’elle parvient à les joindre, lui disent souvent « ma fille… travaille et va à l’école ». Elle est désormais une jeune femme de dix-huit ans, scolarisée en classe de terminale qui a de nombreux rêves. Elle souhaite faire des études de langues pour devenir hôtesse de l’air. Elle espère aussi de tout son cœur retourner chez elle et revoir ses grands-parents. Aujourd’hui, elle est bien intégrée, cependant elle ne possède pas encore la nationalité française. Isabel et sa famille ont dû surmonter d’immenses difficultés. Elle nous dit « Je n’aurais jamais imaginé que j’allais être là aujourd’hui ! »
Par Sarah Guillin, Elia Chasset , Lecourtois Solène et Yanis Queval
Les silences d’Aminata
En entrant dans la pièce, une sensation étrange nous enveloppe, comme si l’on se noyait, une sorte de malaise, d’appréhension… Aminata*, jeune malienne, s’assoit en face de nous, attendant que nous lui posions des questions sur sa vie. Nous ne savons encore rien d’elle, pourtant l’atmosphère nous semble déjà pesante. Cette jeune fille de 15 ans, qui nous semble plus âgée car marquée par son parcours, se tient renfermée, les épaules voûtées, comme si elle essayait de se cacher. Peut-être aimerait-elle échapper à ses souvenirs qu’elle va devoir revivre avec nous ?
Difficilement et progressivement, Aminata répond à nos questions, elle nous décrit son long voyage jusqu’en France. Un immense périple d’une durée d’un an et de six mois. Avec l’aide de sa tante, cette adolescente a quitté sa ville natale, Sanankoro, une ville du sud ouest du Mali, afin de fuir un mariage forcé, arrangé par son beau-père, un homme avec qui elle se sentait en danger, « je n’avais pas mon mot à dire », dit-elle.
Petit à petit, celle qui restait énigmatique et réservée, nous révèle de plus en plus de détails, sans même attendre nos questions. Son regard fuyant s’est alors posé sur le nôtre et elle nous adresse un sourire, qui atténue son air craintif. Aminata paraît plus sincère et s’ouvre à la discussion, comme délivrée de l’appréhension qu’elle avait de l’interview. Nous percevons dans son regard un réel changement. Un lien de confiance se crée entre nous. Cette jeune fille à première vue vulnérable, est en fait d’un courage exceptionnel puisqu’elle a traversé la Mauritanie et le Maroc afin de rejoindre l’Espagne. Aminata décide de nous raconter les souvenirs douloureux de son trajet en camion de quatre jours, entassée avec une trentaine de personnes, sans pouvoir ni manger ni bouger. « J’ai beaucoup pleuré, je pensais que quelqu’un allait mourir » nous déclare-t-elle. Lorsque nous lui demandons ce qu’elle ressentait durant ce voyage, le mot « peur » revient de nombreuses fois, notamment lors de son arrivée au Maroc : « J’avais très peur. Peur que les arabes nous voient, qu’ils nous maltraitent et qu’ils nous violent ».
La peur, l’effroi, c’était aussi sa traversée en zodiac, du Maroc aux îles Canaries, en décembre 2024. De cette traversée, en plein hiver, dans une mer déchaînée, Aminata se souvient des moindres détails : la température de l’eau, les pleurs des autres passagers, les couleurs comme l’aspect rosé de l’eau ou encore l’orange pétant du bateau de sauvetage qui vient les secourir. Ces évènements bouleversants ont marqué son arrivée en Espagne. Elle va résider à Barcelone avec sa tante avant d’être mise à la porte par le compagnon de celle-ci. La voilà de nouveau sur la route.
« Ça fait du bien de se confier. »
Enfin, Aminata arrive en France. Elle s’y est sentie bien accueillie : « Je trouve que les Français sont gentils, ils m’ont donné un manteau et m’ont nourrie ». Nous lui avons demandé si elle souhaitait retourner au Mali. À cela, elle nous a répondu que certes, elle voudrait y retourner pour retrouver sa mère, mais ici elle se sent en sécurité. Aminata attend beaucoup de la France, malgré un parcours traumatisant, elle nous dit avec enthousiasme qu’elle a hâte d’être reconnue mineure pour pouvoir aller à l’école comme nous, et qu’elle rêve de devenir médecin.
Après l’interview, nous avons eu l’occasion de prolonger cet échange, de rire ensemble, et de se souhaiter le meilleur. Avant de laisser la place à une autre personne interviewée, nous entendons Aminata lui confier : « Tu verras, au début c’est dur, mais finalement ça fait du bien de se confier ».
Depuis notre rencontre, Aminata a été reconnue par le juge des enfants, elle peut donc rester en France, être prise en charge par le département et enfin aller à l’école !
* Prénom changé à la demande de la personne interviewée
Par Marie Verdière, Léanor Luce et Clara Coplo
Dans la tempête
« Au début, je pensais partir en vacances au Sénégal avec mon oncle » a déclaré Ibrahim* lors de notre interview dans laquelle il nous a raconté son périple pour venir jusqu’en France… À notre micro, Ibrahim* âgé de 17 ans nous a raconté sa vie d’avant.
Ce jeune guinéen originaire de Conakry, la capitale du pays , est un garçon issu d’une famille de cultivateurs. Il aide ses parents dans leur travail mais aime surtout « jouer au ballon ». Sa vie bascule lorsque sa mère tombe malade. « ça piquait dedans son corps », dit-il. Son père se marie avec un seconde femme. Cultivateur, il part faire les récoltes loin de chez lui et s’absente parfois pendant des semaines. Ibrahim est alors confié à sa belle mère, celle que l’enfant appelle sa « marâtre », une femme violente qui le maltraite. Il nous montre une cicatrice à la tête qu’elle lui aurait infligée avec un bâton. « Elle me frappait, elle me griffait », raconte-t-il.
Des « vacances » qui se prolongent…
Les coups sont de plus en plus violents. Et un jour, son oncle maternel décide de l’éloigner. Il annonce à Ibrahim qu’ils vont se rendre au Sénégal où il exerce le métier de pêcheur. Le garçon ignore le motif du voyage. C’est pourquoi, lors de notre interview, il déclare : « Au début, je pensais partir en vacances ». Après deux jours de route, ils se retrouvent dans une maison avec trente autres personnes, à Saint-Louis, sur la côte. Quelques jours plus tard, ils montent sur un long canot en bois, appelé « pirogue sénégalaise » C’est alors qu’Ibrahim découvre leur destination : les îles Canaries, un territoire espagnol qui permet d’accéder à l’Union européenne.
Commence alors un voyage en mer terrifiant en plein mois de décembre. Plus de 80 personnes montent sur cette pirogue avec lui. Il n’y plus la moindre place. Les femmes et les enfants s’entassent au fond de la barque, tandis que les hommes sont serrés sur les côtés. Il fait froid et le sel brûle la peau. Le premier jour, la mer est calme, les jours suivants, c’est la tempête. « Le bateau tanguait. On embarquait beaucoup d’eau qu’on écopait avec une pompe », raconte-t-il. C’est son oncle qui tient la barre. « Pour que je ne sois pas malade, il m’a donné une noix et des feuilles de kola à manger. » Les passagers manquent d’eau. Ils vomissent tout ce qu’ils avalent. Plusieurs meurent de déshydratation. Les corps sont jetés par-dessus bord. « Au bout d’une semaine, on ne savait plus où on était. Il y avait du brouillard, on ne voyait rien. On a appelé à l’aide avec la radio du bord. » Ils sont secourus par un bateau de la Croix-Rouge espagnole qui les remorque jusqu’ à Lanzarote, l’une des îles de l’archipel des Canaries. Ibrahim dit avoir été « traumatisé » par son voyage.
* : Nom modifié à la demande de l’interviewé.
Par Lucas Martin, Mathis Lebourg et Ethan Dellier
« Je suis mineur, mais on ne me croit pas »
Mory est un jeune homme de 17 ans, originaire de Côte d’ivoire. Nous l’avons rencontré dans le cadre d’un projet avec notre classe d’HGGSP. Cet entretien nous a permis de rencontrer un jeune de notre âge avec un parcours totalement différent et de prendre conscience des dangers qu’implique la migration.
Avant son départ, Mory vivait à Bouaké, une ville du centre de la Côte d’Ivoire. Il étudiait à l’école coranique, fréquentait régulièrement la mosquée et menait une existence en apparence tranquille. Mais il ne savait pas comment subvenir aux besoins de sa famille dont la moitié des membres souffre de divers handicaps. Une précarité qui lui valait les moqueries de ses camarades. Etant le seul garçon de la maison, hormis son père, il s’est senti obligé de partir en Europe pour pouvoir aider financièrement ses proches.
Un jour, un ami de la famille propose de l’emmener en Europe. Son père accepte. C’est de cette manière que Mory commence son long voyage semé de danger. Le trajet en bus jusqu’à Bamako, la capitale du Mali, lui prend deux jours. Il ne demeure que vingt-quatre heures sur place, puis emprunte un autre bus pour rejoindre la Mauritanie. À Nouakchott, la capitale, il est accueilli dans un foyer avec d’autres migrants de différents pays. Il y reste pendant environ un mois. Ensuite, il gagne le Maroc et monte sur une embarcation pour traverser la Méditerranée. Il débarque en Espagne et rejoint la ville de Bilbao. Il séjourne ensuite à Bayonne, Toulouse, Digne-les- Bains où il est resté 1 mois dans un foyer pour mineurs non accompagnés mais en raison d’une petite anomalie sur son document d’état civil, la prise en charge s’est arrêtée puis enfin à Marseille.
Une fois arrivé à Marseille, il prend le train, grâce à l’aide d’une femme et d’un homme, et descend à Paris. Un homme lui parle alors d’une association susceptible de l’aider. Basée à Rouen, AMIES 76 (Association Migrant.e.s Informations Ensemble Solidaire) accueille et conseille des mineurs étrangers qui, comme lui, ne sont pas accompagnés par un adulte. Il contacte sa coordinatrice, Marion Poussin, qui lui paie son billet de train afin de lui permettre de la rejoindre. Au cours de l’interview, nous avons pu constater que Mory était particulièrement reconnaissant envers elle. Lorsque nous lui avons parlé, cela ne faisait que quatre jours qu’il était hébergé par son association.
Sans nouvelle de ses proches
Toute personne isolée de moins de dix-huit ans a droit aux mesures de protection réservées à l’enfance. Mory affirme avoir dix-sept ans. Il a ramené des documents pour prouver son âge et son identité mais au Département, on l’accuse d’avoir de faux papiers. Faute d’être reconnu mineur, il ne peut pas disposer des aides auxquelles il pourrait prétendre. Mory trouve cela injuste, car il dit avoir des preuves de ce qu’il avance.
Dernièrement, Mory a donc fait un recours auprès du juge des enfants et il attend la date à laquelle il sera entendu par ce juge. ll n’a plus de contact avec sa famille restées en Côte d’Ivoire. Les dernières nouvelles qu’il a eu remonte à son séjour en Espagne. Il a tout de même l’espoir de pouvoir trouver un moyen de communiquer avec ses proches. Malgré tout, Mory se sent bien en France et il se voit même y rester. Il aime la ville dans laquelle il est hébergé. Cette rencontre nous a été très enrichissante et nous a permis de comprendre ce qu’implique la migration.
Par Lina Benrezkallah-Calbry et Amandine Revertegat
Adieu K-pop
« J’ai subi des discriminations ». Aemmika a subi bon nombres de situations discriminantes causées par ses origines thaïlandaises. Un incident, en particulier, l’a frappé. « C’était l’année dernière, pendant un cour de SVT », dit-elle. La classe accueille un chien-guide d’aveugles qu’il ne faut pas embêter. Cependant certains élèves ne respectent pas cette règle. Lorsque Aemmika leur demande d’arrêter de le caresser et de jouer avec lui, elle subit des sarcasmes en raison de ses origines. « Les garçons se sont moqués de mon accent ». « Chieng! chang ! chong ! », lui lancent-ils en riant. Avec leurs doigts, ils imitent ses yeux bridés. Elle se sent humiliée et insultée.
Elle a grandi en Thaïlande. En 2019, elle habite avec sa mère la ville de Nakhon Sawan, dans le nord du pays quand son beau-père, Français, leur demande de le rejoindre. Elle part avec sa mère et son beau-père et très peu d’affaires dont sa peluche en forme de tortue qu’elle a depuis sa naissance.
Son voyage est un vol direct vers la France. C’est la première fois qu’elle prend l’avion. Les 12 heures de vol lui paressent extrêmement long. A son arrivée en France tout est à refaire, tout son quotidien est bouleversé. Nouvelle ville, nouvelle culture, nouvelle école.
Toutefois, elle conserve précieusement certaines coutumes et éléments de son quotidien thaïlandais, en commençant par la nourriture. Sa Maman lui cuisine des plats thaïlandais avec de nombreuses épices et des herbes comme la coriandre et le basilic. Manger thaïlandais lui permet de ne pas oublier ses origines. Aemmika consacre ses premiers mois à apprendre le français. En arrivant, elle ne parlait pas un mot de sa nouvelle langue. Aujourd’hui, son niveau de français est très bon grâce à sa détermination et un travail acharné.
En France, Aemmika découvre à l’école les Arts plastiques qui la passionnent. En Thaïlande, elle aimait surtout la K-pop coréenne qu’elle pratiquait dans un groupe de musique. Depuis son départ, Aemmika est retournée plusieurs fois en Thaïlande, notamment pendant le confinement en 2020. Elle espérait retrouver les disques de ses groupes préférés de K-pop mais ils avaient disparu lors d’inondations. Le téléphone a un rôle prépondérant pour rester en contact avec sa famille et communiquer en particulier avec ses cousins et ses cousines.
Aujourd’hui, Aemmika vit à Bolbec, en Normandie et mène une scolarité normale au lycée Raymond Queneau, mais avec une histoire unique et singulière.
Par Martin Durecu et Adrien Amourette
Retrouvez toute la programmation du Prix Bayeux Calvados Normandie, du 6 au 12 octobre 2025 ici.