Septembre 2025

Sous la poussière, des doléances

S’emparer des cahiers de doléances et redonner une voix à ceux qui ont pris leur plume pour confier leur colère et leurs idées : beaucoup l’admettent, le moment est venu. Laurent Beauvais le reconnaît : « Avec ce type d’actions, il faut mesurer les risques. On ne consulte pas innocemment comme ça les gens. » Mais qu’en pensent ceux qui ont écrit ? Que sont devenus ces citoyens qui, il y a six ans, ont glissé leurs mots dans ces cahiers ?

Grand-Format est allé à la rencontre de celles et ceux qui ont écrit dans ces cahiers de doléances. Michel, Françoise, Jean-Luc, Béatrice… Tous ont répondu à l’appel, à l’époque, croyant que leur voix compterait. Le goût amer, ils reviennent sur leurs doléances.

Michel et Françoise, un couple de retraités déçu par « la France d’aujourd’hui »

Dans leur appartement niché dans une petite ville du Calvados, Michel, ancien directeur d’usine aujourd’hui à la retraite, s’installe à la table de son salon. Autour de lui, une pile de documents. Des lettres envoyées au président de la République, aux députés, d’autres pour ses petits-enfants. Entre ces lignes, ses doléances. Lui, qui, motivé par sa femme, a envoyé ses plaintes comme ses idées à Emmanuel Macron, avant de les expédier au maire pendant le Grand débat national, attaque d’emblée : « Pour moi, ce qu’il s’est passé, c’est une opération de catharsis ! » La voix est ferme et la colère toujours présente. « J’avais le père d’un ami qui avait dit qu’il fallait faire parler les gens pour qu’ils lâchent l’affaire. On est en plein dedans », assène-t-il.

Les idées légèrement brouillées après six ans, il reprend sa lettre phrase après phrase. Le constat est sans appel : « Les problèmes que j’évoquais dans les cahiers de doléances, les problèmes de la France en général, je pense qu’ils ont empiré. » Derrière lui, sa femme, Françoise, confortablement assise sur le canapé, écoute. Ancienne institutrice de 78 ans, elle ne prétend pas maîtriser les rouages économiques. Mais elle écoute son mari dérouler ses analyses avec attention. « Je me rends compte qu’il n’y a pratiquement rien eu de fait d’essentiel. Le prélèvement à la source, ça a été fait, c’est une bonne chose. Mais ça ne change pas du tout le problème de la santé économique du pays et de son avenir », constate Michel. Aujourd’hui âgé de 87 ans, il prend du recul. Pour lui le problème général de son pays, c’est l’ignorance de l’économie. Ce retraité de l’industrie du bois s’offusque d’une France « qui ne produit pas assez et dépense trop ».

Ensemble, le couple revient sur le mouvement des Gilets jaunes. Tous deux en partageaient les revendications, même s’ils rejetaient la violence. Michel revient sur la question des voitures : « Les gens les plus pauvres, c’était ceux qui avaient des voitures qui marchaient au diesel. Et on leur dit qu’ils doivent acheter des voitures électriques. Ça coûte beaucoup plus cher. C’est insensé ! »

Jusqu’alors restée en retrait, Françoise prend la parole. Elle, qui avait glissé quelques lignes dans les doléances de son mari, déplore surtout une crise de la confiance : « Il y a presque une hostilité. Il n’y a plus de lien. Aujourd’hui en France, le lien social s’est vraiment dégradé. »

« Diminuer le train de vie de ces Messieurs qui nous dirigent et le redonner aux sans abris »

« Bravo aux Gilets Jaunes au début. Maintenant il va falloir discuter intelligemment ! Diminution des salaires des parlementaires. Il n’est pas normal en 2019 que les gens aillent aux restos du cœur. M. Macron, il faudrait penser aux retraites. Espérons que vous en tiendrez compte »

« Tous les privilèges qu’il faut abolir et qui coûtent des millions aux contribuables, les économies à faire se trouvent là. Le nombre de fonctionnaires diminuent et les dépenses publiques augmentent alors expliquez-moi pourquoi ?
Tous ces élus sont déconnectés en ce sens qu’ils n’ont plus la notion du coût de la vie. Il faudrait que notre Président fasse tomber ses œillères et écoute la voix du peuple qui gronde. Tout est a réformé et pas dans 2 ans, la tâche est lourde et il est temps de se mettre au travail, le vrai.
J’espère sincèrement que tous ces gilets jaunes pacifiques auront une réponse à leur attente. »

Jean-Luc, l’Ornais qui a la sensation d’avoir été pris « pour une pomme »

« En France, on a supprimé quelque chose de fondamental, c’est l’espoir. Les gens n’ont plus d’espoir », lâche Jean-Luc, entre deux gorgées d’Orangina, attablé dans un café d’Alençon. Entre ses mains, ce retraité de l’imprimerie également amateur de théâtre tient un résumé de ce qui l’ébranle depuis six ans. Un condensé de ses doléances et différentes lettres qu’il a envoyées aux députés, mis en scène à travers le récit d’une femme. En tête de page, un titre : « Calculettator ». D’un air amusé, il détaille ce nom : « Vous savez qui c’est pour moi Calculettator ? Il s’appelle Emmanuel Macron. C’est son surnom pour moi. Parce que pour lui, la France, c’est une calculatrice. Alors que c’est un pays avec des citoyens. »

« Quand je vois des gens qui ont un salaire, qui travaillent et qui dorment dans leur voiture, ça m’emmerde. Ce n’est pas normal. »

Derrière l’humour, l’amertume transparait. Ce retraité de 68 ans regrette le manque d’écoute : « Les gouvernements ont oublié le peuple. La démocratie, c’est le peuple qui dit au Président ce qu’il doit faire. Ce n’est pas l’inverse. » À l’ouverture du Grand débat national, celui qui réside dans un petit village ornais avait pris soin de rédiger une lettre cachetée, qu’il avait déposée à la mairie. Lui qui n’a pas participé à la mobilisation des Gilets jaunes reconnait les avoir soutenus, parce qu’il partageait leurs revendications. Six ans plus tard, ses constats n’ont pas changé. « Quand on pense que les Gilets jaunes, ils ont démarré, si je me souviens bien, parce que le prix de l’essence était brutalement monté à 1,50 euros. On en est où aujourd’hui ? Quand on l’a à 1,60 euros, on est heureux. On est en pleine décrépitude en fait. Il ne s’est rien passé », s’indigne-t-il.

Le pouvoir d’achat, voilà ce qui l’inquiète toujours. « Quand je vois des gens qui ont un salaire, qui travaillent et qui dorment dans leur voiture, ça m’emmerde. Ce n’est pas normal ! », proteste celui qui a commencé en tant qu’ouvrier avant de gravir les échelons. Alors, s’il devait reprendre la plume, que dirait-il ? Sa réponse laisse transparaître un goût amer : « Je dirais simplement que je me suis fait avoir, qu’on m’a pris pour une pomme. Je suis terriblement déçu. »

« Je suis citoyenne française, je suis une contribuable. Je ne suis pas un « gilet Jaune » mais je pourrais le porter un jour.
J’ai connu des hauts et des bas dans ma vie professionnelle. Ce pays m’a très bien formé mais je sais ce qu’il me prend, il ne me le rendra pas.
Je fais partie des payeurs et je ne perçois jamais les « cadeaux » (je les finance).
Je ne souhaite pas être sous perfusion : réclamer et percevoir des aides, des allocations.
Je veux pouvoir vivre de mon travail.
Or, je suis étranglée par toutes les formes de prélèvements et je ne reconnais plus l’utilité et le système de partage français. »


« Redonner la dignité « à la France d’en bas »
Redonner un pouvoir d’achat en augmentant les salaires et les retraites, diminuer la TVA pour les produits de grande nécessité, TVA sur les produits de luxe à augmenter. Donner la possibilité aux classes populaires de vivre décemment – Rétablir l’ISF »

Béatrice, la retraitée lassée d’être gouvernée par des personnes déconnectées

À plusieurs kilomètres de là, Béatrice, résidente d’une petite commune du Calvados abonde : « Avec les six ans de recul par rapport à cette période, on se demande à quoi elles ont servi, ces réunions. Parce que là, on n’a jamais été aussi mal au niveau du pouvoir d’achat, de la santé, de la sécurité. Je me dis qu’on est presque dans une apocalypse. »

« Les gens qui nous dirigent, ils sont en dehors de la réalité »

Autour d’un café, cette ancienne salariée de France Télécom n’a pas oublié les fins de mois difficiles, ni les comptes dans le rouge. « Quand les Gilets jaunes se battaient pour notre pouvoir d’achat, la reconnaissance au travail, ça me parlait. Parce que j’ai eu une fin de carrière très chaotique et très désespérante au niveau salaire », confie la mère de famille de 62 ans.

Retraitée depuis deux ans, Béatrice milite aujourd’hui pour le bien-être au travail, en s’inspirant de son histoire. Celle d’une femme qui s’est battue devant la justice pour faire reconnaître ses accidents du travail et qui a également été partie civile lors du procès dans l’affaire des suicides chez France Télécom. 

En retraçant le fil de ses doléances, elle s’attarde sur un point qu’elle juge essentiel : la scission entre ceux qui gouvernent et les citoyens. « Les gens qui nous dirigent, tous les PDG d’entreprise et les ministres, ils sont en dehors de la réalité », remarque celle qui travaillait au service réclamation des professionnels chez Orange. Six ans plus tard, elle garde cette même animosité. « D’imaginer qu’à 50 ans, Emmanuel Macron va toucher une retraite de président payée par nos impôts alors qu’il fera peut-être partie d’une génération de centenaires… Je me dis basta, à un moment donné ! », lance, avec véhémence, celle qui avait espoir, en indiquant ses coordonnées, d’être contactée pour participer à des réunions. En appuyant son propos d’un coup de poing sur la table, elle conclut : « Mais il ne s’est rien passé ! »

« Je suis pour le retour de l’ISF par souci de justice sociale. Pour la non suppression des impôts locaux pour permettre aux communes de se développer. Je souhaite une réforme et amélioration de l’accès à la culture, l’accès aux services publics. Pour 1 accueil digne et solidaires des migrants. La justice sociale n’existe plus dans notre pays avec un banquier à la tête de son État. L’argent doit être distribué plus équitablement et non confisqué par les grands patrons et leurs actionnaires. »


« Dégager Macron et ses ministres ! 
Devenir un pays libre et neutre comme la Suisse. Plus de présidents, plus de ministres, que des députés. Et la France ainsi que les Français(es) se porteront mieux. »

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