Eau polluée par un composant cancérigène : la carte des localités touchées en Normandie

Publié le 21 janvier 2025

Cette fois-ci, ce n’est pas un pesticide qui menace l’eau potable, mais une substance chimique issue des canalisations en PVC installées entre 1960 et 1980. Depuis 1987, le chlorure de vinyle monomère est classé comme cancérigène. On la retrouve dans de nombreux prélèvements de l’eau.

Gaspard Lemaire, un chercheur en sciences politiques, vient de lancer l’alerte au niveau national sur sa présence dans de nombreux points de captage – et ses potentielles conséquences.

Grand-Format a cartographié les données normandes récupérées par le chercheur : au moins 314 communes normandes ont été concernées, au cours des 10 dernières années, par ces dépassements de norme.

Qu’est-ce que le chlorure de vinyle monomère (CVM) ?

C’est un gaz reconnu comme cancérigène certain pour l’humain par le Centre international de Recherche sur le Cancer et l’OMS, à partir de 1987. Il favoriserait deux formes de cancer du foie : l’angiosarcome hépatique, et le carcinome hépatocellulaire. Depuis les années 1930, les preuves de sa toxicité s’accumulaient.

Pourquoi retrouve-t-on ce composant dans l’eau du robinet ?

À partir des années 1960, ce composant a été utilisé dans les canalisations d’eau en PVC, privilégiées pour raccorder des hameaux ou des fermes qui étaient alors coupées du réseau. Le PVC était alors privilégié à la place du plomb. Entre 140 000 km (selon le ministère de la Santé) et 340 000 km de canalisations en PVC (selon les délégataires de service public de l’eau) ont été installés à cette époque. L’utilisation de ce composant a été éliminé de la majeure partie des PVC dans les années 1980.

Quelle est l’ampleur du phénomène ?

D’après les données regroupées par le chercheur en sciences politiques Gaspard Lemaire, 6 410 prélèvements d’eau potable effectués entre 2014 et 2024, dans neuf régions, dont la Normandie, montrent la présence inquiétante – car dépassant le seuil de toxicité fixé par l’Union européenne en 1998 – de CVM. Ces dépassements concernent le plus souvent des zones rurales situées en bout de réseau : plus l’eau stagne, plus la présence de CVM serait détectée. D’après une instruction du ministère de la Santé publiée en 2020, 97% des prélèvements effectués sont conformes à la norme. Les potentiels 2 millions de personnes concernés par les 3% de dépassement ne sont pas toujours informés de la pollution – et continuent de boire l’eau du robinet, raconte le Monde. « On nous a laissés boire de l’eau pendant des années alors qu’on savait qu’elle était contaminée par un produit cancérogène. » Des victimes potentielles lancent des actions en justice. Et une plateforme numérique nationale de recours vient d’être créée.

Et en Normandie ?

Dans notre région, 2792 prélèvements dépassent ce seuil sur 23 358 prélèvements effectués. D’après les chiffres que nous avons analysés, 314 communes ont été au moins une fois approvisionnées, au cours des 10 dernières années, avec de l’eau contaminée en CVM. Avec 1196 dépassements répertoriés, l’Orne serait le département le plus touché parmi les données nationales obtenues.

Pourquoi découvre-t-on aujourd’hui publiquement leur présence dans l’eau ?

Ce n’est qu’en 2011 que la première campagne de détection de cette substance a été mise en place. L’Institut de veille sanitaire estime alors que 600 000 personnes en France peuvent être concernées par des contaminations au CVM au-dessus de la norme de qualité. C’est grâce aux travaux du chercheur Gaspard Lemaire que le sujet refait son apparition aujourd’hui. Il a fallu plusieurs réclamations pour qu’il obtienne des données précises du phénomène, qui permettent de saisir l’ampleur du problème. Le chercheur dénonce dans Reporterre une « dissimulation du problème de la part de l’Etat […] qui a systématiquement minimisé les risques ».

Qu’est-ce qui est fait quand les prélèvements démontrent la présence trop importante de CVM dans l’eau du robinet ?

Face à ces dépassements, les habitants de certaines communes ont dû arrêter de consommer de l’eau du robinet. C’est le cas de Saint-Martin-de-Bouillant, dans la Manche, près de Villedieu-les-Poêles, raconté par Ouest-France en février 2024. À court-terme, les gestionnaires des réseaux peuvent diluer l’eau contaminée ou purger les canalisations. Sur le long-terme, seul le remplacement des tuyaux peut permettre de supprimer le problème. Mais il faut du temps pour bien identifier les tuyaux concernés et de l’argent pour les changer. Le changement d’un kilomètre de canalisation coûterait entre 50 000 et 200 000 euros, selon les chiffres du ministère. Des sommes difficiles à assumer pour certaines collectivités… et qui conduisent à une augmentation du prix de l’eau pour les citoyens.

Que montre la cartographie des données publiée par Grand-Format ?

Grand-Format a cartographié les 23 358 prélèvements effectués en Normandie au cours des dix dernières années. Elle permet à chaque citoyen de s’informer sur la présence potentiellement dangereuse de ce composant dans l’eau qu’il consomme parfois au quotidien. Les points rouges indiquent les communes où les CVM ont un jour dépassé la norme des 0.5 microgrammes par litre. En dessous de cette norme, la substance est considérée par l’Union européenne comme n’étant pas toxique. Les points verts représentent les communes où la substance n’est pas retrouvée ou est détectée à un niveau inférieur à ce seuil des 0.5 microgrammes par litre. Pour le moment, nous ne connaissons pas les aménagements effectués qui ont permis de réduire l’exposition de la population à ces composants. L’Agence régionale de santé (ARS) n’a pour le moment pas répondu à notre sollicitation.

Il est possible que des erreurs de localisation se soient glissées dans la carte : n’hésitez pas à nous les signaler en nous écrivant à l’adresse contact [a] grand-format.net.

Simon Gouin et Pierre Hardel