Le handicap à l’école a toujours été une question difficile pour les parents, les enfants et aussi les établissements scolaires. Deux mères d’élèves caennaises racontent leur parcours à Grand Format.
L’école est un casse tête pour les parents et pour les enfants en situation de handicap depuis des années. Depuis le 11 février 2005, une loi a été promulguée pour «l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées», qui fixe le principe d’une accessibilité généralisée, intégrant tous les handicaps, qu’ils soient d’ordre physique, visuel, auditif ou mental. Elle reconnait également à tout enfant porteur de handicap le droit d’être inscrit en milieu ordinaire, dans l’école dont relève son domicile. Ce principe est renforcé par la loi du 8 juillet 2013 qui introduit dans le code de l’éducation la notion d’école inclusive.
École inclusive, accessibilité généralisée… mais à quel prix ?
Pauline (prénom d’emprunt), est maman d’une petite fille qui est amblyope. Elle est née avec un strabisme et elle a subi une opération à trois mois. « Ce ne sont pas ses yeux qui ont un problème mais c’est son cerveau qui ne veut pas voir à travers ses yeux », explique Pauline, la maman. Elle nous explique qu’au départ, l’école, « c’était un peu comme tout le monde », mais le papa et elle essayaient de gérer comme ils pouvaient, notamment avec des suivis chez l’orthophoniste et des bilans avec des spécialistes.
En primaire, « le parcours du combattant a un peu commencé », témoigne Pauline. Car il faut monter des dossiers avec la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), les uns après les autres, tous les ans, pour faciliter la vie de sa fille à l’école. Mais en primaire, aucun dossier n’a abouti et Pauline s’est pris plusieurs refus sans forcément d’explications. Elle insiste sur la bienveillance des établissements scolaires dans lesquels était sa fille. « À aucun moment je ne critiquerais les établissements scolaires, car ils ont toujours tout fait de ce qui était en leur pouvoir pour que ma fille se sente bien. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Elle est très volontaire, elle fait ce qu’elle peut en se donnant du mal », souligne Pauline. Dans son cas, sa plus grande « galère » est le système MDPH avec l’attribution d’Accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH).
AESH, un contrat précaire
Ces personnels de l’Éducation nationale qui accompagnent les enfants en difficulté au quotidien ont des conditions de travail très précaires : 80% sont en contrat à durée déterminée (CDD), à temps partiel pour 98% d’entre eux, pour un salaire de 850 euros net mensuels, soit moins que le seuil de pauvreté. Une loi datant du 16 décembre 2022 visant à lutter contre la précarité des AESH et des assistants d’éducation instaure un passage en contrat à durée indéterminée (CDI) pour les AESH au bout de trois ans et la possibilité de CDI pour les assistants d’éducation (AED) au bout de six ans. À la rentrée 2018, 10 900 postes avaient été créés et des pôles inclusifs d’accompagnement avaient été mis en place dans les établissements. En 2021, quelque 130 000 AESH et 63 000 AED accompagnaient la scolarité de 430 000 enfants en situation de handicap. À la rentrée 2022, 132 000 AESH interviennent de la maternelle au BTS.
Mais pour Pauline, l’attribution d’un AESH est plus que compliquée. « On a mis des choses en place pour avoir un AESH mais en primaire on n’a jamais eu le droit d’en avoir un. » Parfois l’accompagnant peut en gérer plusieurs à la fois, ce qui complique le suivi personnel. « On n’obtient très rarement une AESH à plein temps, souvent ce sont des heures d’AESH pour l’enfant. » Le nombre d’heures est établi par la MDPH qui est étalé sur toute la semaine. Ce n’est qu’en 6ème, que Pauline a pu avoir le droit à cette aide. « Ça s’est très bien passé, avec quelques petites difficultés. Les professeurs ont tout fait pour qu’elle se sente bien, par exemple ils lui agrandissaient les documents, la police, et ils privilégiaient les évaluations orales plutôt qu’écrites. »
Un service parfois incompréhensible
« La MDPH est un service qui est incompréhensible, les enfants sont des numéros, des cases et si on rentre pas dans la bonne case on n’a pas les droits qui s’ouvrent sans expliquer les refus », déplore Pauline.
Pour la rentrée en 4ème, cette année, Pauline a fait une demande pour qu’elle soit dans le service ULIS (1) et ce droit a été octroyé par la MDPH. Elle attend de voir au fur et à mesure de l’année comment la situation évolue mais elle est plutôt confiante. « J’ai pris les devants, je n’ai pas attendu qu’on me dise comment faire. Le souci, c’est quand on ne sait pas et qu’on est seul. » Malheureusement, à sa rentrée, le droit à l’AESH particulier a été enlevé. « C’est contradictoire pour tout le monde et c’est pénalisant pour l’enfant et pour l’équipe éducative. L’AESH peut rendre service aux professeurs hors des cours en ULIS parce que ils doivent s’occuper d’une groupe classe entier et pas uniquement l’enfant handicapé. Depuis le début de la rentrée, les AESH sont là que sur certains cours. »
«Quant on met un pied dans le monde du handicap, parfois on se retrouve face à des murs.»
Pauline
L’Académie de Normandie va créer à la rentrée 2024 : 33 dispositifs ULIS, 9 dans le 1er degré, 23 en collège et 1 en lycée, portant ainsi à 572 le nombre de dispositifs dans l’Académie (277 dans le 1er degré et 295 dans le second degré). L’Académie disposera également à la rentrée de 19 unités d’enseignement en maternelle autisme, de 5 unités d’enseignement élémentaire autisme et 7 dispositifs d’autorégulation.
Pour Myriam, le soutien des enseignants est indispensable
Myriam est maman d’Antoine qui a de graves problèmes de santé depuis sa naissance. Il souffre d’une maladie génétique non étiquetée avec des malformations osseuses sur toute la ligne centrale du corps : déformation de la mâchoire, du nez, des problèmes ORL, la colonne vertébrale déformée qui implique des problèmes au niveau de la cage thoracique, un problème d’équilibre au niveau du bassin. « Lors de sa scolarisation, le problème de son accompagnement s’est posé. Au niveau de la MDPH, il a du être classé prioritaire parce qu’on lui a attribué une AESH assez rapidement », témoigne Myriam.
En maternelle, elle a eu quelques petits soucis avec l’AESH car «les personnes qui se présentent ne sont pas toujours au courant du dossier et ils viennent pour prendre en charge un enfant dont ils ne connaissent pas le problème. Donc c’est difficile parfois.De la petite section à la moyenne section, l’AESH ne parlait pas très bien français ; je n’arrivais pas à savoir si mon enfant avait des besoins ou des problèmes, c’était un peu compliqué. Je pense que même l’accompagnant ne comprenait pas pleinement nos attentes», explique Myriam.De la grande section au CM2, Antoine était suivi par le même accompagnant donc c’était plus confortable pour elle et surtout pour son fils.
Comme Pauline, le gros problème était l’élaboration d’un dossier MDPH qui, selon elle, est «une épreuve», avec un document de 20 pages à remplir et tous les suivis médicaux à joindre «Antoine est suivi au CHU avec des médecins qui le connaissent, donc ils nous aidaient à remplir les documents, souligne-t-elle.Sans cela, on aurait eu beaucoup de mal.»
Depuis le CM2, son fils n’est plus suivi. La MDPH a considéré que ses résultats scolaires étaient suffisants pour qu’il continue en autonomie. Cette année, son fils est au lycée. « C’était une grande marche à franchir du collège au lycée, mais l’équipe enseignante a pris un relais énorme. » Sans aide, c’était à elle de prendre des rendez-vous avec le corps enseignant pour leur expliquer la situation et le handicap de son fils. Et à chaque rentrée, il faut recommencer.
Le handicap à l’école en quelques chiffres
En France, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire est passé d’environ 100 000 en 2006 à plus de 436 000 en 2022 selon Le Défenseur des Droits. Quant aux étudiants en situation de handicap dans l’enseignement supérieur, ils étaient 51 000 à la rentrée 2021, +28,1% en un an, soit 11 198 étudiants supplémentaires. La quasi-totalité de ces étudiants bénéficie d’un accompagnement au titre du handicap.
L’Académie de Normandie rappelle qu’elle accueille 23 819 enfants en situation de handicap au seins des écoles, collèges et lycées, soit 3,3% des enfants scolarisés. Ce chiffre a augmenté de 8% entre 2023 et 2024 et s’accroît en moyenne de 9% par an depuis 2015. L’Académie consacre ainsi 158 millions d’euros chaque année à la scolarisation des élèves en situation de handicap (ESH), dont 105 millions en faveur des AESH qui représentent 3 800 ETP (l’équivalent du temps plein) en 2024 et 6 000 personnes.
- ULIS : Unités localisées pour l’inclusion scolaire. Ce sont des « dispositifs ouverts » pour la scolarité des élèves en situation de handicap. Elles permettent à des élèves de poursuivre en inclusion des apprentissages adaptés à leurs potentialités et à leurs besoins et d’acquérir des compétences sociales et scolaires.
Tess Laffeter (photo archive en classe Ulis, Marylène Carre)