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Son nom gravé sur un pavé, Maurice est « rentré à la maison »

Le 16 septembre 2023, un Stolperstein, pavé de mémoire des victimes du nazisme, a été scellé à Saint-Aubin-sur-Mer, devant l’ancienne maison de Maurice Mondhard, mort en déportation en 1942.

Dans les années 1930, Suzanne et Maurice Mondhard avaient fait construire cette maison secondaire non loin de la mer. Ils résidaient à Flers, lui travaillait comme représentant commercial pour l’entreprise de bois Savare à Caen. Souvent en déplacement, il laissait sa femme élever leurs deux fils. Elle n’ignorait pas qu’il avait une maitresse. Il est fait prisonnier par les Allemands une première fois en 1940, retenu dans un camp de travail près de Hambourg, et relâché en 1941. Mais le 6 mai 1942, il est interpellé par la Gestapo au petit matin. Maurice est l’un des 180 otages français arrêtés après le déraillement d’un train par la résistance près Airan. Il a été dénoncé, peut-être à cause de ses convictions anti-nazies affichées. Il est déporté à Compiègne puis Auschwitz. Une généalogiste de la commune, Sibylle Hecht, a pu retracer ses dernières années au camp.

«Il était dans une chambrée d’une cinquantaine de personnes, dont huit Caennais. Parmi eux, les frères Lucien et Marcel Collin, qui tenaient un carnet où ils parlent de leur quotidien avec Maurice.» Sibylle Hecht a découvert des lettres de Suzanne, cherchant en vain son mari. Elle a aussi appris que Maurice, sentant son trépas se rapprocher, avait demandé à la Croix Rouge d’ordonner le virement de son solde à sa famille. En Pologne, le typhus emporte les frères Collin en juillet 1942 puis Maurice, le 15 septembre de cette même année.

«Une histoire enfouie et douloureuse»

L’histoire de Maurice est exhumée une première fois lorsque Margit achève et publie le livre de son mari Hubert, le fils ainé de Maurice, éteint en 2003. «Allons z’enfants» raconte l’exode de la famille et la disparition du père. «J’ai compris à ce moment-là qu’il y avait une histoire enfouie et douloureuse », confie Margit. Elle ressort une deuxième fois grâce aux recherches de la généalogiste menée pendant le covid. Sibylle Hecht se procure le livre d’Hubert et met la main le dossier militaire et celui de déporté de Maurice. Lorsqu’elle a fini de reconstituer le puzzle, elle contacte la famille, qui habite toujours la maison.

«J’ai rencontré une famille bienveillante, mais qui avait une autre vision de l’histoire, héritée de la parole de l’épouse.» Néanmoins, lorsque Sibylle propose de lancer la démarche pour que le nom de Maurice figure sur un Stolperstein, ces pavés créés par l’artiste berlinois Gunter Demnig pour les victimes du nazisme, Margit est enthousiaste. «Le père de Gunter était un vrai nazi, explique Sibylle. L’artiste a voulu rendre hommage aux victimes en gravant leur nom. C’est littéralement «un pavé sur lequel on trébuche», comme pour s’arrêter sur l’histoire de ces hommes.» Lors de la cérémonie de la pose du pavé, devant tous les habitants et élus, Christophe Woehrle, président deStolperstein France, déclare: «Maurice est rentré à la maison.»

Cinq nouveaux pavés à Langrune

Il existe 85 000 pavés Stolperstein en France. Le premier posé dans le Calvados en 2019, à Bretteville-L’Orgueilleuse, est dédié à la mémoire de Jean-Pierre Catherine, mort en déportation en 1945. Sa femme, Colette avait refait le chemin jusqu’au camp de Dora (raconté dans le documentaire «Colette», récompensé aux Oscars en 2021 https://grand-format.net/breve/colette-lincroyable-histoire-dune-resistante-normande-nommee-aux-oscars/). Le 2 juin 2024, toujours grâce au travail de la généalogiste, cinq autres pavés sont inaugurés à Langrune-sur-Mer, en hommage à Henri Renobert, Irène et Marcelle Raoult, Pierre Harivel et Jean Guittard.

A écouter: l’histoire de Jean-Pierre Catherine, déporté à Dora, par les élèves du collège Quintefeuille de Courseulles.