Planter deux milliards d’arbres d’ici 2050 en France, c’est l’ambitieux projet que conduit l’association originaire du Calvados Bossy-Cévert. Afin de préserver la biodiversité des effets du réchauffement climatique, Alexandre Jacquette, son président-fondateur, a adopté une méthode bien particulière en Normandie, venue tout droit du Japon : les microforêts Miyawaki. Mais cette méthode verte est-elle vertueuse ?
« Ça fait seulement dix-huit mois que nous l’avons planté !, s’extasie Alexandre Jacquette à la vue de l’épais massif de verdure qui se déploie devant lui. C’était en février 2022. Je n’étais pas revenu depuis le mois de mars 2023. » Malgré un soleil de plomb, le président et fondateur de Bossy-Cévert retire ses lunettes de soleil pour mieux contempler le résultat. « Il faudrait qu’il pleuve un peu… »
L’endroit en question n’est autre que la première « microforêt » plantée en mars 2022 par l’association selon la méthode Miyawaki. L’espace de 340 m2 s’étend le long d’une véloroute, celle de la Seine à vélo, sur ce qui était autrefois une simple pelouse entre la rivière morte, ancien bras de la Touques, et l’hippodrome de Deauville. Les peupliers qui servent de barrière naturelle entre les deux espaces, bien alignées et disposés à égale distance les uns des autres, tranchent de manière radicale avec la « microforêt ». D’un côté l’ordre, de l’autre la nature libre de ses droits, voisins d’une vingtaine de mètres.
« D’ici trois-quatre ans, ce sera un vrai point de fraîcheur grâce à l’ombre des arbres », commente l’homme de 50 ans alors que quelques cyclistes roulent sur le bitume, chauffé par les rayons du soleil. Deux dames interrompent leur marche pour se poser sur un banc au bord de la route. Aucune ombre ne se déploie sur la surface. Le seul arbre présent a été amputé d’une grande partie de ses branches en raison de l’incendie d’un bâtiment en août 2022.
« Ne pas être observateur et agir à mon échelle »
Du simple plant d’un pépiniériste à un arbre enraciné dans la terre, du chemin a été parcouru. L’association Boissy-Cévert est née du constat de l’effondrement de la biodiversité en raison de la disparition des milieux naturels et du réchauffement climatique. « L’être humain a fichu un sacré bazar. Je cherchais quoi faire pour l’environnement. J’ai créé l’association il y a deux ans pour ne pas être observateur et agir à mon échelle. »
Selon un rapport du Conseil général de l’alimentation et de l’agriculture (CGAAER),70 % des haies ont disparu des bocages français depuis 1950, soit un total d’environ 1,4 million de kilomètres en France métropolitaine. Sur la seule période 2017-2021, ce sont 23 500 kilomètres qui ont disparu chaque année. Pourtant, ces espaces végétalisés constituent des remparts face à l’érosion des sols, des réserves de biodiversité ainsi qu’une solution face aux aléas climatiques (lire l’article).
Du labo à la jungle
Tout commence en 2013 quand Alexandre Jacquette décide de planter différentes essences sur son terrain, à Cesny-les-Sources, non loin de Falaise. Dans ce lieu qu’il aime appeler son « laboratoire », le « passionné par l’environnement » s’est rendu compte de la poussée rapide des arbres, « même s’il y a eu quelques erreurs au départ ». La venue d’oiseaux et d’insectes qui en a résulté a convaincu le Normand, originaire de Valognes dans la Manche. Ce tapissier-décorateur de formation décide alors de fonder l’association Bossy-Cévert en 2021. « Dès le départ, l’idée était de reconstruire un milieu naturel et créer un tissu associatif pour réparer l’humain en même temps que la nature, explique-t-il. Un autre modèle est possible ! » Des bénévoles, parfois issus d’instituts médico-éducatifs, des écoliers ou des jeunes en difficultés viennent participer aux plantations.
Celui qui souhaite œuvrer pour la biodiversité se fraye un passage à grandes enjambées à travers la végétation et inspecte minutieusement quelques branches. Certains arbres, bien qu’ils soient encore en développement, atteignent facilement les deux mètres. Son t-shirt et son bermuda beiges lui donnent l’allure d’un explorateur, prêt à s’enfoncer dans les profondeurs de la jungle.
Densité et diversité
Pour aboutir à une telle densité d’arbres et de végétaux, Bossy-Cévert a suivi les principes de la méthode Miyawaki, du nom du botaniste japonais Akira Miyawaki (1928-2021). Seules des essences endémiques, c’est-à-dire propres à la région, sont plantées de manière extrêmement dense : à hauteur de trois plants par mètre carré de terre. Pour se faire, l’association travaille avec des pépiniéristes locaux, près de Falaise notamment, et se base sur la liste des espèces dressée par le Conseil départemental.
« L’important, c’est de travailler les strates » explique Alexandre Jacquette. Un mélange de différentes essences : noyers, coudriers, chênes, bouleaux, hêtres… A Deauville comme dans les autres « microforêts », le sol est préparé et est recouvert d’un paillage pour conserver l’humidité et protéger les pieds des plants de manière à favoriser leur développement. Un entretien est assuré par l’association et ses bénévoles dans les trois années qui suivent la plantation. Le but : « Laisser faire la nature le plus possible même s’il s’agit de forêts artificielles, créées de toutes pièces ».
Les bénévoles et salariés de l’association normande interviennent en milieu rural, souvent à la demande de particuliers, ou en milieu urbain, dans certaines communes. « On ne plante pas dans des prairies qui ont une très bonne capacité de stocker le carbone », ajoute Alexandre Jacquette. Ce sont davantage les interstices vertes présentes dans les zones commerciales qui sont privilégiées.
Pour se financer, l’association Bossy-Cévert repose principalement sur des sommes versées par des particuliers ainsi que les dons défiscalisés de certaines entreprises comme les groupes Eiffage et Vinci, spécialisés dans la construction. Ces dernières peuvent participer à la plantation et afficher ainsi leur bonne action. « Le nerf de la guerre, c’est l’argent », résume en une phrase Alexandre Jacquette pour qui la priorité est la rémunération des trois salariés de Bossy-Cévert. « Je n’ai pas de scrupules à prendre dans les poches des entreprises pour que ceux qui n’ont pas les moyens, les petites communes, puissent planter des arbres », expose le fondateur de l’association. Quand il s’agit d’en planter des milliers, à douze euros l’unité, le coût d’une telle opération grimpe rapidement .
Les résultats obtenus en dix-huit mois à Deauville semblent témoigner des vertus de la méthode Miyawaki. Néanmoins, la question divise en France concernant le développement futur des « microforêts ». Certes, elles poussent vite et sans entretien. Mais des chercheurs avancent que cela est dû à la compétition entre les arbres pour s’accaparer les ressources que sont la lumière, l’eau et les nutriments présents dans le sol. Résultat : certaines essences dépérissent. Une étude menée en région méditerranéenne rapporte un taux de mortalité de plus de 60 % chez les arbres au bout de douze ans (voir cette étude). Enfin, si elles constituent des réservoirs de biodiversité, les « microforêts » ne pourront jamais devenir des forêts (lire l’article).
Une fois son inspection terminée, avant de regagner son utilitaire blanc stationné à l’ombre dans la tranquille rue de Verdun, Alexandre Jacquette ouvre l’application « météo » de son smartphone et jette un coup d’œil aux résultats affichés. « Est-ce qu’ils prévoient de la pluie ? A priori, oui… Le week-end prochain. Tant mieux! »
Joseph le Fer (texte et photos)